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Odysseas Boudouris, un "non" au mémorendum de la crise

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Un député grec dans la tourmente de la crise
Entretien avec le député socialiste Odysseas Boudouris

Εικόνα
Odysseas Boudouris

La crise en Grèce a mis en déroute les hommes politiques grecs, accusés d'être les premiers responsables de la situation dans laquelle se trouve le pays, au bord de la faillite. C'est pourtant la même classe politique qui est appelée à sortir la Grèce de l'impasse en infligeant des sacrifices inouïs à la population. Dans ce contexte, une nouvelle génération de politiciens pense que son heure est venue de prendre la relève. Une génération qui se trouve tiraillée entre une radicalisation électoralement payante et le réalisme exigé pour la gestion de la crise. Nous avons rencontré un d'eux, le député socialiste Odysseas Boudouris, quelques heures avant le vote historique où les députés grecs étaient appelés à approuver l'accord de la Grèce avec ses partenaires internationaux pour un deuxième plan de soutien au pays.

Anelique Kourournis – Odysseas Boudouris, vous êtes député du parti socialiste (PASOK), vous avez à plusieurs reprises souligné, déclaré, expliqué pourquoi vous voterez contre le mémorandum, nous sommes à la veille du vote, est-ce que votre position est toujours la même ?

Odysseas Boudouris – Oui, ma position n'a pas changé. Depuis plusieurs semaines, j'explique que je ne peux pas voter des mesures concernant  la diminution du salaire minimum dans le secteur privé parce que cela n'a rien à voir avec l’enjeu de notre nouveau prêt, de l’accord qui doit être passé qui concerne le déficit du secteur public. Maintenant, l’évolution des dernières semaines et des derniers jours montre un problème d’une ampleur beaucoup plus grave : ce problème c’est que désormais nous avons à faire à une négociation qui s’est déroulée sur une base  complètement intenable dans la mesure où nos partenaires déclarent ouvertement qu’ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement qui représente aujourd’hui la Grèce et que c’est précisément cette raison qui les conduit à imposer des mesures qui à l’origine n’étaient pas prévues dans les décisions du sommet du 26 octobre.

Cela a, d’ailleurs, été très clairement confirmé par le Premier Ministre lui même qui a reconnu que, effectivement, il y avait des retards, il y avait beaucoup de mesures qui n'avaient pas encore été appliquées, c’est à dire que tout ce que nos partenaires reprochent en fait au gouvernement grec c’est quelque chose que chacun reconnaît donc on est en fait dans une situation ou la Grèce, le peuple grec, la nation grecque est représentée dans une négociation internationale par un gouvernement qui n’a ni le respect de nos partenaires ni non plus le respect ou le soutient du citoyen grec. Il est clair que dans ces conditions aucun accord mutuellement profitable en tout cas profitable pour la partie grecque  ne peut être conclu et surtout aucun accord ne pourra être appliqué par un gouvernement qui n’a plus l’autorité morale et politique. On ne peut pas gouverner simplement avec le journal officiel et la police, ce n’est pas possible.

A. K. – Il y a deux jours le ministre des finances a dit « nous avons le choix entre une humiliation et une plus grande humiliation, entre des sacrifices et des plus grands sacrifices, et, hier, le premier ministre a dit que nous avons le choix entre des grands sacrifices ou le chaos. Est-ce un choix qui se pose à vous ?

O. B. – Tel qu'il nous est présenté, c'est comme avoir le choix entre la guillotine et la mort instantanée ou le lent étranglement. J’ai une première remarque : un gouvernement qui arrive et qui propose un choix de ce genre à son pays c’est un gouvernement qui doit démissionner immédiatement, ce n’est pas possible. Ce n’est pas simplement une question de signature de l’accord, pas simplement des mesures très dures, c’est la signature de l’échec. C’est la signature d’un chemin qui va nous conduire à l’effondrement total. Pourquoi ?

Parce que chacun sait que ces mesures vont entraîner un plus grand déficit, une récession économique, donc en fait le prêt qu’on nous a donné va devenir encore plus lourd, l’idée qu’on avait allégée la dette grecque avec la restructuration est une idée fausse, nous avons payé 14 milliards d’intérêt l’année dernière, nous payerons 14 milliards l’année prochaine. Parce que nous avons fait une restructuration d’environ 100 ou 110 milliards mais nous avons contracté un nouveau prêt de 130 milliards. Donc en fait le poids de la dette reste le même, les reformes structurelles n’avancent pas, les mesures de développement économique n’existent pas. La signature de l’accord c’est comme si on décidait de nous enfermer dans un asile d’incurables et on donne la clef à nos partenaires pour faire de nous ce qu’ils veulent. De l’autre côté, l’idée que, si nous refusons ce choix inacceptable, nous allons être conduits du jour au lendemain à la faillite, est fausse. Pour une raison simple. Non seulement ça ne rapporterait rien à nos partenaires mais ils entoureraient, eux aussi, le risque d'une catastrophe économique dans la zone euro, probablement aussi importante que notre catastrophe à nous. Et ça ce n’est moi qui le, ce sont les milieux économiques en Allemagne, en France et à Bruxelles. Mais, le gros problème, j'y reviens, c’est le problème de la crédibilité de la partie grecque.

Il ne peut pas y avoir d’accord, en tout cas, à mon avis, pas d’accord qui puisse être ratifié par la représentation nationale lorsque cet accord a été obtenu par un gouvernement qui n’a pas de crédit politique. Il y a une marge de négociation qui est encore tout à fait jouable si, nous, en tant que Grecs, nous pouvions désigner une représentation nationale qui soit crédible.

Est c’est là un aspect qui est assez tragique, tragicomique, dirais-je. Imaginez, qu’un accord, une loi qui va entraîner des conséquences incalculables pour la Grèce, passe au parlement un dimanche après-midi dans une procédure d’urgence ou les députés n’ont pas droit à la parole. C’est quelque chose qui est terrible. Donc, il faut abandonner cette procédure, faire une session plénière au parlement où le gouvernement vient et s’explique sur la raison de ces nouvelles mesures par rapport à celles qui avaient été décidées selon les accords du sommet du 26 octobre et le parlement, les députés, les directions des partis politiques doivent arriver à un accord pour un gouvernement qui ait un minimum de crédibilité.

Si on n’arrive pas a ce résultat, je pense que ce qui est honnête par rapport au peuple grec c’est d’aller aux élections.

A. K.  – Il y a deux question qui se posent, la première, vous avez dit que les reformes n’avançaient pas, pourquoi n’avancent-elles pas ? Et la deuxième : vous demandez  des élections, oui mais il est peu probable qu’elles permettent la formation d'un gouvernement fort. Nous aurons un gouvernement de coalition encore plus bancal que ce qu’on a actuellement.

O. B. – Sur les reformes qui n’avancent pas le diagnostic est simple, c'est beaucoup moins évident pour la thérapie : le système grec est un système essentiellement clientéliste. C’est quelque chose que nous connaissons très bien ici, qui a des raisons historiques. Georges Papandreou l’avait très bien diagnostiqué, malheureusement il n’a pas eu la pugnacité, il n’a pas eu la volonté politique de briser ce système clientéliste. Donc ce modèle du gouvernement clientéliste  est quelque chose qui a perduré pendant les deux ans de la présidence de Papandreou.

En ce qui concerne le résultat des prochaines élections, il aurait fallu certaines reformes qui n’ont malheureusement pas été faites dont l’une d’entre elles est le changement  de la loi électorale. Le parti socialiste a un projet de loi électorale qui est tout à fait correct et adapté, malheureusement, justement sous la pression du système clientéliste, Georges Papandreou a fait marche arrière, il ne l’a pas promu lorsqu'il dirigeait le gouvernement. Quand au résultat qu'on peut espérer de ces élections, il est clair qu’il n’y a pas de solution dans la continuité. Je pense que un des gros problèmes de la situation actuelle c’est que la classe politique qui est responsable de la présente situation c’est cette même classe qui est appelé aujourd’hui à donner la solution. Ce n’est pas possible, il faut qu’il y ait un changement, il faut qu’il y ait une nouvelle génération.

A. K.  – Vous-même, vous avez voté dans le passé les mesures d'austérité. Vous avez voté pour le premier mémorandum puis pour le deuxième encore en octobre. Quel est le bilan que vous faites maintenant de ce vote ?

O. B. – C’est un argument qu'on m'oppose souvent : vous avez voté une fois, deux fois, pourquoi refuser aujourd'hui ? C’est un argument stupide. Si vous êtes un jour opéré parce que vous avez un problème de santé, et si la première opération n’a pas marché vous pouvez éventuellement faire une deuxième opération, mais à un moment il faut se rendre compte que quelque chose ne marche pas. Moi j’ai effectivement voté le premier mémorandum parce que j’avais, et j’ai la certitude qu’il fallait une politique d’austérité, il fallait des mesures mais parallèlement il fallait faire les reformes, c’était la condition pour sortir de la crise. Les mesures d’austérité ont été appliquées, les reformes n’ont pas été appliquées. Il ne faut pas persévérer dans cette impasse. Dans le premier mémorandum on donnait une perspective, on disait dans deux ans on va sortir sur les marchés, etc., là on donne même pas cette perspective.

Je pense que seul un vrai sursaut, un sursaut de la classe politique soutenu par une grande majorité de l’opinion publique, avec des propositions concrètes, peut nous sortir de là. Les propositions concrètes c’est qu’il faut renégocier, il faut dire aux européens « si vous nous obligez à une logique de "perdant-gagnant", nous on va jouer "perdant-perdant". Et nous allons effectivement perdre, mais vous allez perdre aussi. Alors, soyons raisonnables, jouons "gagnant-gagnant".  Cela veut dire que, oui, nous prenons des mesures dures, mais en même temps nous avons un plan de redressement économique et un gouvernement qui est capable de réaliser les reformes pour lesquelles il s’engage.

A. K.  – Alors, imaginons que ce soir ce mémorandum soit voté, qu'est-ce qui va se passer après.

O. B. – J’ai bien peur que la Grèce sera entraînée dans une dépression profonde qui sera une dépression économique, bien entendu, mais aussi une dépression sociale et une politique qui va durer des années.

Bien sûr les peuples et les nations ne meurent jamais et au bout d’un moment  ils se ressaisissent et repartent de l'avant, mais avant que cela n'arrive, la casse va être terrible.

A. K.  – Et, de toute façon, on fera faillite, c'est ça?

O. B. – De quelle faillite parlez-vous, de la faillite des citoyens ou la faillite des banques ?

Le ministre du travail a dit que nous avons accepté une réduction du salaire minimum de l’ordre de 22% parce que c'était un moindre mal,  car en cas de  faillite la réduction des salaires serait de l’ordre de 50, voir 60%. Le problème c’est qu’avec les nouvelles mesures qui entreront en vigueur en juin prochain, avec la récession qui en résultera, on aura 22% maintenant, 22% en juin, 22% l’année prochaine, ça sera finalement la même chose.

A. K.  – Et si le mémorandum n’était pas voté ?

O. B. – Si ce n’est pas voté, je ne peux pas exclure complètement le scénario catastrophe. C’est vrai, il y a des gens qui disent "mais vous prenez un risque". Bien sûr qu’on prend un risque. Mais on ne peut pas ne pas prendre de risque. Moi je pense que si ce n’est pas voté, il y a un message qui va passer. Et ce message c’est qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. A l’heure actuelle, la volonté de nos partenaires européens, et en particulier des allemands, c’est de transformer la Grèce en un protectorat.

Leur idée c’est que les Grecs n’y arrivent pas, donc ils veulent commander à leur place. C’est pourquoi ils avaient lancé l’idée d’un commissaire européen chargé de la Grèce. Cette idée était évidemment extravagante, elle a été retirée. Sauf que c'est ce qui va se passer dans les faits. C'est ce qu'il y a derrière le projet de mettre l’argent qui va nous être prêté sur un compte qui ne sera pas géré par le gouvernement grec et, aussi, si l’accord se fait sur base du droit anglo-saxon où ceux qui nous prêtent auront la possibilité de se servir, si je peux dire, directement dans la caisse de l’état grec. Ca, c’est, si vous voulez le mauvais scénario.

Le bon scénario c’est qu'on s’en rende compte que ceci n’est pas acceptable, que cela conduise à un refus de la part des Grecs. Je pense qu’il y a une possibilité d’un bon scénario, que la raison domine enfin chez nos partenaires européens, que d’autres partenaires européens qui ne sont pas d’accord avec la politique dictée actuellement par Angela Merkel finissent par réagir, et que de notre côté aussi nous réagissions, je répète, pour avoir une représentation dotée de crédibilité.

A. K.  – Ce qui implique des reformes qui soient réalisées et pas seulement promises.

O. B. – Oui, tout à fait, mais les reformes ne seront pas faites la semaine prochaine. L’objectif serait qu’il y ait un consensus sur un gouvernement resserré ; il faut qu’on ait un gouvernement avec 10-15 ministres, tout au plus, des ministres qui soient compétents, chacun dans son domaine, pas des ministres qui sont nommés parce que ils ont une place dans un appareil de parti. La plupart des ministres sont aujourd'hui préoccupés par les élections qui vont venir, par le fait de savoir qui va être à la direction du parti socialiste, etc., donc ils ne peuvent pas travailler sérieusement.

Je ne suis pas contre l’idée qu’il y ait un contrôle permanent sur la réalisation de ce programme mais en même temps il faut une sorte de mini plan Marshal, comme il en a été question au mois de juillet, dans ce cas là on peut sortir de la crise : les banques seront payées, mais aussi il y aura un redressement économique pour les citoyens grecs.

A. K.  – Le PASOK vous représente-il toujours ?

O. B. – Le PASOK, quel PASOK ? C’est ça la question. A l’heure actuelle, dans les sondages, le PASOK qui avait obtenu 44% aux élections de 2009, recueille moins de 10%. Il y a des sondages qui donnent le PASOK à 8%, en cinquième position devancé par les différents partis de gauche, etc. La majeure partie du PASOK à l’heure actuelle est en dehors du PASOK.

A. K.  – C’est une question de personnes ou d’institutions ?

O. B. – La politique qui a été mené par la direction du parti s’identifie avec la direction du gouvernement. C’est une autre tare du système grec, on n'arrive pas à scinder, à différencier les gens qui s’occuperont du gouvernement des gens qui s’occuperont du parti. Mais globalement, si vous voulez, cette génération d’hommes politiques a conduit le PASOK dans une impasse. Il faut qu’il y ait une relève, rapidement.

A. K.  – Vous vous voyez naturellement faisant partie de cette relève ?

O. B. – Oui, éventuellement. Mais cette relève n'est pas seulement au niveau des candidats. Il faut qu’il y ait des gens qui soient prêts à nous supporter. Si le PASOK reste un PASOK à 8%, je pense qu’il n’y aura pas de force de renouveau. Le PASOK va rentrer dans une phase de décadence historique et tout sera terminé. Ce qui se joue à l’heure actuelle, et c’est pour ça que je prends fermement position pour le refus de cet accord, c’est que si nous acceptons cet accord, aux yeux de la population grecque et de nos propres électeurs, nous sommes politiquement morts. Donc, pour moi ça n’aurait aucun intérêt de revendiquer quoi que ce soit par la suite.

A. K.  – La crise aura été une aubaine pour l’extrême droite grecque en lui permettant de rentrer dans le gouvernement. Que pensez-vous ?

O. B. – Le commentaire sur l’extrême droite en Grèce il faut le faire en disant que l’extrême droite du LAOS et de Karatzaferis et très différente de l’extrême droite du Front national en France, par exemple.

C’est un parti qui est issu de ce qu’on appelle la droite populaire de la Nouvelle Démocratie qui en Grèce est extrêmement minoritaire à cause de certains événements, comme la dictature, etc. Ils défendent une ligne populiste qui s’est alimentée beaucoup du problème de l’immigration mais aussi de beaucoup de propositions de bon sens. Ce n’est pas un hasard si Karatzaferis refuse d’être classé à l’extrême droite et que dans l'enceinte du parlement il se place au centre. Il considère qu’il est le centre. C’est vrai et pas vrai en même temps. Karatzaferis voulait entrer au gouvernement parce que pour lui c’était une sorte de légitimation. Donc c’était très important pour lui de l’obtenir. Malheureusement pour lui, il n’a pas tenu compte du fait qu'une partie de sa force dans l’électorat c’est  que justement il n’était pas identifié au système politique. C’était en quelque sorte le rebelle. Maintenant,  il fait lui aussi partie du système.

Tout cela, c’est surtout une affaire interne à la droite. Je ne pense pas que le parti de Karatzaferis soit une menace ; en revanche, je suis très inquiet de l’évolution de certains autres groupuscules, en particulier du Xrysi Avgi, l’Aube Dorée, qui elle est un parti réellement d’extrême droite, fasciste, raciste, etc., et qui a l’heure actuelle atteint des pourcentage qui pourrait lui permettre de rentrer au parlement. Ça, c’est un réel danger.

Propos recueillis par Angelique Kourounis
Athènes, février 2012

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