par Athanassios Evanghelou
Yorgos Lanthimos est né à Athènes en 1973. Il a étudié la réalisation cinématographique et télévisuelle à l’école Stavrakou à Athènes. Depuis 1995, il signe la mise en scène de longs-métrages, pièces de théâtre, clips vidéo et a réalisé un grand nombre de publicités pour la télévision. Il a fait partie du groupe artistique qui a conçu et réalisé la cérémonie d’ouverture et de clôture des jeux olympiques d’Athènes en 2004. Son deuxième long-métrage, Canine, est déjà un film culte. Il a remporté le prix Un certain regard au Festival de Cannes 2009, point de départ pour d'autres distinctions internationales. De passage à Paris, il s'entretient avec le fondateur d'iNFO-GRECE, Athanassios Evanghelou.
Si, comme moi, vous avez manqué les cinq premières minutes du film, difficile d'y entrer par la suite. On se croirait plutôt dans une pièce d'Ionesco que dans un film de cinéma. "Maman, passe-moi le téléphone…" et elle tend la salière ! Mais au fur et à mesure que les minutes passent, on se laisse prendre au jeu magnifique des comédiens, piégés par les dialogues déversés au compte-gouttes, par les silences qui traînent comme ces corps ambulants dans l'hallucinante "douceur" de vivre de cet enclos muré, et par les regards perdus dans le vide qui en disent beaucoup plus que les mots tus… On se laisse bercer par l'immobilité de la caméra et le semblant de vie qui rôde dans cette routine assassine, jusqu'à ce qu'un cri strident ne nous sorte de la torpeur ou qu'une image d'une violence insoutenable ne nous fasse détourner le regard. C'est du Lanthimos : simple, posé, mesuré, comme si de rien n'était, jusqu'à ce que ça dérape ! Un absurde si réel.
Canine / Κυνόδοντας
Prix Un certain regard, Cannes 2009
Un père, une mère et leurs trois enfants vivent dans une maison en pleine campagne. Un haut mur entoure la maison. Les enfants ne l’ont jamais quittée. Ils ont été élevés, divertis, ennuyés et éduqués comme leurs parents l’entendaient : sans aucune influence du monde extérieur. Les enfants croient que les avions qui survolent leur maison sont des jouets et que les zombies sont des petites fleurs jaunes. La seule personne à pouvoir pénétrer dans la maison est Christina, agent de sécurité dans l’entreprise du père. Il s’arrange pour que Christina vienne à la maison pour qu’elle assouvisse les besoins sexuels du fils. Toute la famille adore Christina, particulièrement la sœur aînée. Un jour, Christina lui offre comme cadeau un serre-tête décoré de pierres qui brillent dans le noir et en échange, elle lui demande quelque chose.
Réalisation : Yorgos Lanthimos
Scénario : Yorgos Lanthimos, Efthimis Filippou
Avec : Christos Stergioglou (le père), Michèle Valley (la mère), Angeliki Papoulia (la fille aînée, Christos Passalis (le fils), Mary Tsoni (la fille cadette) et Anna Kalaïtzidou (Christina)
Depuis mai 2009, Canine a participé à une vingtaine de Festivals à travers le monde et obtenu une dizaine de récompenses, dont le prix Un certain regard au Festival de Cannes, et, le dernier en date, avant publication de la présente interview, Meilleur Film au 20th Stockholm International Film Festival, le 29 novembre 2009.
Le film sort en France le mercredi 2 décembre 2009, distribué par MK2, dans 12 salles dont 3 à Paris, au Mk2 Beaubourg, Mk2 Hautefeuille et MK2 Quai de Seine.
i-GR – Canine a reçu le prix Un certain regard au Festival de Cannes en mai dernier. Pour un certain regard, Canine, ça en est un !
Yorgos Lanthimos – Ce fut une immense joie, un grand honneur. C'est ce qui peut arriver de mieux à un film. J'ai beaucoup d'estime pour les films qui ont été primés dans cette section par le passé.
i-GR – Effectivement, vous succédez à Kiyoshi Kurosawa et à Wang Chao ! Mais, Un certain regard reste quand même une section pour films dits "difficiles"…
Y. L. – Ce qui m'intéresse, c'est de provoquer le débat. Ce n'est pas un film à thèse, je n'aime pas imposer mon point de vue.
i-GR – Néanmoins, dans cette allégorie sur le pouvoir de l'éducation, vous choisissez la face négative de l'éducation, celle de la perversion et de la manipulation à volonté des individus.
Y. L. – Mon devoir, c'est parler des dangers dans la société. Les bonnes choses existent, elles sont là où elles sont ; qu'on en jouisse !
i-GR – Même si ce n'est pas évident de retracer la genèse d'une idée, est-ce qu'il y a, tout de même, un point de départ pour Canine ?
Y. L. – Je me suis interrogé sur le sens de la famille, sur l'avenir… Est-ce que la famille pourrait cesser d'exister un jour ? Jusqu'où peut aller l'Homme ? A partir de là, jusqu'où peut-on transformer un homme ? Le même questionnement est valable au-delà de la famille. On peut l'appliquer à la politique, à la société, etc. Le danger ne provient pas seulement de la famille.
i-GR. – Et, pour illustrer le dérapage d'une maîtrise absolue sur l'éducation, vous choisissez de l'exprimer à travers la sexualité. Est-ce vraiment là que ça se passe ou est-ce un effet de mode ?
Y. L. – Bien sûr, il n'y a pas que la sexualité qui intervient, mais la sexualité est chose très proche de la nature. D'une certaine, façon, incontrôlable.
i-GR – … et, quelque part, rassurant de voir que quelle que soit la maîtrise d'un système sur les individus, ils trouveront toujours une échappatoire. C'est ce que vous croyez ?
Y. L. – Chacun pense avec sa propre réalité. Ce que j'attends, c'est que chacun interprète mon film à sa façon, à travers ses propres expériences, son vécu à lui… Qu'il y ait une interaction avec le spectateur. Je ne veux pas lui imposer un point de vue.
i-GR – Le prix Un certain regard est doté d'une aide au distributeur français du film. En France, c'est MK2 qui va le distribuer. Est-ce que l'obtention du prix vous a aidé pour la distribution du film dans les autres pays ?
Y. L. – Bien sûr, d'autant que le film a obtenu d'autres prix par la suite. Canine est vendu dans une quinzaine de pays dont les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l’Espagne, la Norvège, l’Australie, etc.
i-GR – Et, en Grèce ? Comment a-t-il été accueilli ?
Y. L. – Le film a fait 25 000 entrées en 4 semaines d'exploitation, ce qui est très bien pour les données locales.
i-GR – A l'heure où nous parlons, se déroule le Festival du Film de Thessalonique, le plus grand rendez-vous du cinéma grec. Mais, vous n'y êtes pas…
Y. L. – Il n'y a pas que moi… Il n'y a aucun Grec à Thessalonique !
i-GR – C'est-à-dire ?
Y. L. – La plupart des metteurs en scène et les producteurs du pays ont décidé de ne pas y aller et de s'abstenir des prix d'Etat pour faire un peu pression.
i-GR. – Vous voulez dire que l'intervention de l'Etat grec dans le Cinéma n'est pas satisfaisante ? Alors que le Centre du Cinéma grec (EKK) est le principal financeur des films… Qu'est-ce que l'Etat peut faire de plus ?
Y. L. – Certes, mais c'est justement ce que nous voulons changer. Qu'il y ait une nouvelle loi qui favorise les productions cinématographiques et l'investissement privé. Actuellement, il n'y a aucune incitation aux producteurs pour qu'ils investissent dans le cinéma. Il faudrait envisager des allégements fiscaux pour ce type d'investissements. Mais il y a aussi d'autres problèmes. Une contribution de 1,5% prévue pour les chaînes de TV qu'elles ne versent pas. Il y a, enfin, les dépenses de fonctionnement du Festival de Thessalonique qui sont disproportionnées par rapport aux sommes investies dans la production.
i-GR – En même temps, la plupart des films présentés à Thessalonique laissaient à désirer, tant par leur qualité artistique que par les sujets abordés… Et, passé le Festival, le public n'était pas au rendez-vous. On produit actuellement en Grèce, à peine une dizaine de longs-métrages par an. Nous sommes loin de la centaine qu'on y produisait du temps de l'âge d'or du cinéma grec, dans les années 60.
Y. L. – Bien entendu, en Grèce, des films comme le mien ne peuvent gagner de l'argent. Mais l'important est que des films se fassent, qu'ils existent. C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de mauvais films. Cela est dû en grande partie au mode de financement et au fonctionnement du Centre du Cinéma grec. Lorsque l'Etat est le seul partenaire, à terme, il n'y a pas beaucoup de variété dans la production. Puis, en Grèce, il n'y a pas d'éducation cinématographique. Il n'y a pas une Académie du Cinéma digne de ce nom.
i-GR – Néanmoins, Canine a été financé grâce à la contribution du Centre du Cinéma...
Y. L. – Oui. Mais, le film a reçu au total beaucoup moins d'argent qu'il en avait besoin. Les liquidités proviennent surtout de l'EKK et d'une société de production de films publicitaires pour laquelle je travaille. Et, surtout, la contribution d'un tas de personnes, amis, techniciens, organismes divers, théâtres, qui ont participé chacun à sa façon, qui en facilitant telle chose, qui en fournissant des décors ou des costumes…
i-GR – Canine est votre deuxième film… Il y a eu auparavant Kinetta.
Y. L. – Kinetta, c'est le nom d'une petite ville à l'Ouest d'Athènes. Elle est au bord de la mer. C'était une ville balnéaire, jusqu'à ce qu'une raffinerie de pétrole s'y installe. Depuis, les plages, les hôtels, ont été désertés. C'est dans ce désert que vivent trois personnes.
i-GR – Et, avant Kinetta ?
Y. L. – J'ai fait quelques vidéos pour le théâtre, des vidéos pour la danse, des petits films expérimentaux, des photos, etc., et beaucoup de pubs. Comme nous l'avons dit, le cinéma ne fait pas vivre en Grèce.
Aggeliki Papoulia dans le film Canine.
i-GR – Le succès international de Canine devrait vous permettre d'envisager l'avenir plus sereinement…
Y. L. – Ça ne me préoccupe pas tant que ça. Cela va me permettre surtout de continuer à faire ce que je fais.
i-GR – Un nouveau film en vue, donc…
Y. L. – Oui, j'ai commencé à travailler avec le même scénariste, Efthimis Filippou. Il n'y a rien de concret pour le moment, d'autant que mes voyages pour la promotion de Canine me retiennent loin d'Athènes. Nous essayons de gérer deux ou trois histoires différentes de gens.
Propos recueillis par A. E.
© photos DR et Y. L.
Canine, un film de Yorgos Lanthimos