A la veille des élections d'octobre dernier, nous publiions un éditorial intitulé "Dépôt de bilan" où nous dénoncions la prise en otage des électeurs grecs dans un jeu purement électoraliste de maintien au pouvoir ; mais, si nous sommes toujours prompts à pointer du doigt les travers de la démocratie "à la grecque", nous n'allons pas nous priver de souligner aussi ses qualités uniques qui devraient faire méditer dans la région et bien au-delà.
Oui, les élections législatives anticipées d'octobre 2009 avaient pour seul objet de permettre à l'un (Caramanlis) de se maintenir au pouvoir ou à l'autre (Papandreou), qui en avait fait sa "papagalia", d'y accéder. Le pauvre électeur devait trancher sans que rien n'exige une telle anticipation du calendrier électoral. Certes, on avait évoqué la… grippe H1N1, la crise financière, la fatigue de l'exécutif après deux ans de gouvernement, mais personne n'était dupe des enjeux. De la grippe à l'époque on ne savait pas grande chose, de la crise financière on ne cessait de dire que la Grèce était moins exposée que le reste du monde de par son faible niveau d'échanges internationaux. Quant à la fatigue… les ministres et le premier d'entre eux venaient de rentrer tous frais-bronzés des vacances d'été…
Mais ce qui a été dit, on ne va pas le redire, ni refaire l'Histoire, ces élections ont finalement eu lieu et ont conduit à l'alternance qu'on connaît. Une banalité. Certes, mais nous sommes dans les Balkans ! Dans quel autre pays de la région, les électeurs se déplacent-ils aussi massivement – 71 % de participation – pour exercer leur devoir de citoyen, même dans une élection sans enjeu et deux ans seulement après la précédente convocation aux urnes ? Dans quel autre pays, les élections législatives – dont tout le monde prédisait qu'elles allaient en plus entraîner l'alternance politique – se déroulent-elles sans observateurs internationaux, et qu'aucune voix ne s'élève pour dénoncer la moindre irrégularité ? Dans quel autre pays de la région, en dehors de la Grèce, les résultats électoraux sont-ils proclamés sans qu'on assiste à des affrontements entre militants gagnants et perdants ? L'instabilité et les tensions de tout ordre sont telles dans les Balkans – ethniques dans la voisine FYROM et en Serbie, claniques en Albanie, paléo-politiques en Bulgarie, politico-militaro-religieuses en Turquie – que le déroulement pacifique d'un scrutin mérite d'être souligné.
Toutefois la maturité politique ne s'arrête pas là. Que n'a-t-on prédit, au lendemain des résultats, pour le perdant – qu'il fût le socialiste PASOK ou le conservateur ND. Oh, pas grande chose. Simplement, l'explosion du parti perdant sous la pression de la rivalité entre dauphins.
Regardons plutôt ce qui s'est passé. Papandreou, le gagnant, que l'on disait dictatorial, vindicatif, clanique… Il a déjoué toutes ces mauvaises langues et s'est montré très généreux envers ses concurrents. Les rivaux Venizelos et Pangalos, qui ambitionnaient de prendre un jour sa place, n'ont pas été envoyés dans les geôles du roi mais ont été plutôt bien récompensés : la Défense pour le premier et un titre de vice-premier ministre pour le second. Caramanlis, le perdant, que l'on disait accroché au pouvoir, question d'honneur familial, de dette envers son oncle homonyme et fondateur de la formation conservatrice… Deux heures après l'annonce des résultats, il reconnaissait sa défaite et assumait courageusement ses responsabilités en démissionnant de la présidence du parti de Nea Dimokratia. Pas une démission masquée pour mieux organiser son plébiscite et reconquérir plus rapidement sa légitimité. Non, une vraie démission sans nouvelle candidature.
Les jeux étaient donc ouverts à Nea Dimokratia et les prétendants Bakoyannis, Avramopoulos, Samaras, etc., qui durant des années, avaient tant alimenté les intrigues dans les scénarios successoraux de la presse, allaient enfin pouvoir sortir les couteaux et s'adonner à l'étripage généralisé. Eh bien, rien de tout ça. Ici encore les prévisions ont été déjouées. Les quatre compétiteurs à la succession de Caramanlis non seulement ne se tirent pas dans les pattes mais prennent un malin plaisir à s'afficher partout ensemble jusqu'aux derniers jours de leur campagne électorale interne. Aux auditions par le Comité chargé de l'organisation de l'élection du nouveau président du parti, les quatre candidats s'assoient l'un à côté de l'autre à la même table, sages comme des écoliers, pour exposer chacun ses propositions. Au traditionnel défilé militaire et estudiantin de la fête nationale du 28 octobre, ils se tiennent encore côte à côte à la tribune. Et au congrès extraordinaire du parti pour la reforme du mode de scrutin interne, ils montent ensemble sur l'estrade pour saluer les congressistes !
Et pourtant, ils en ont des choses à départager, ces candidats ! Le débat d'idées et les différences s'affichent sur la place publique, les flèches assassines fusent d'un meeting politique à l'autre, mais elles ne deviennent jamais triviales. De même, les ralliements des lieutenants – Avramopoulos pour Samaras, Spiliotopoulos pour Bakoyannis – se font en ménageant les susceptibilités du camp adverse et en mettant en avant les rapprochements idéologiques plus que les affinités personnelles.
Oui le tableau est presque idyllique. On dirait que de cette élection législative anticipée – qui était une offense à la démocratie et à l'électeur – ont surgi l'esprit du respect démocratique et l'esprit olympique de la compétition pour frapper de leur grâce la classe politique grecque. On ne peut que s'en réjouir et s'en féliciter, notamment nous, Grecs en France, qui, avec nos amis français, assistons au triste spectacle de la politique française et de ses disputes incessantes à la direction du parti socialiste ou à la terreur de la main de fer qui s'abat sur la droite. Vivement que l'esprit grec se propage au-delà de ses frontières !
i-GR/AE