Le différend qui oppose Athènes et Skopje sur le nom définitif de l'ancienne république yougoslave de Macédoine entre dans une nouvelle phase cette fin de semaine à l'occasion du panigyri - fête paroissiale - de St Elie dans le village de Meliti, dans le Nord de la Grèce, où le président de la Fyrom Branko Crvenkovski a annoncé sa participation, accroissant ainsi les tensions et les risques d'affrontements entre militants Macédoniens et Slavomacédoniens.
La tension a été graduellement entretenue depuis le début de la semaine où le porte-parole du gouvernement grec, Theodoros Roussopoulos, informait la presse d'une lettre du premier ministre de la FYROM, Nikola Gruevski, à son homologue grec, Costas Caramanlis, qualifié d'inacceptable par Athènes, et dans laquelle, selon M. Roussopoulos, "[Skopje] tente de soulever de nouveaux obstacles à la procédure de négociation en cours dans le cadre de l'ONU sur la question du nom de la FYROM".
A New York, le médiateur spécial du SG de l'ONU chargé de la question du nom de la FYROM, Matthew Nimetz, devait effectivement rencontrer mardi le représentant grec, l'ambassadeur Adamantios Vassilakis après avoir eu un entretien le jeudi précédent avec Nikola Dimitrov, représentant de Skopje dans les concertations.
Toujours aux Etats-Unis, Athènes et Skophe cherchaient chacun à gagner les impressions avec des annonces sur leurs capacités de lobbying respectives. Côté grec, le sénateur américain d'origine grecque, Olympia Snowe, adressait lundi une lettre au secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, demandant au gouvernement Bush de reconnaître la FYROM sous le nom qui résultera des concertations placées sous l'égide de l'ONU entre Athènes et Skopje.
Mme Snowe critique dans sa lettre la précipitation de l'administration américaine à adopter le nom de "République de Macédoine", demandant par ailleurs que Washington encourage le gouvernement de la FYROM à renoncer aux actions irrédentistes et à collaborer constructivement pour la recherche d'un règlement du nom avec Athènes. Mme Snowe rappelle par ailleurs la lettre du président américain au premier ministre, Costas Caramanlis, le 16 novembre 2004, dans laquelle George Bush "s'engageait à continuer à soutenir les efforts de l'ONU pour un règlement du nom et à accueillir toute solution qui résulterait des concertations".
Le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères du gouvernement grec, Theodoros Kassimis, se trouvait pour sa part à Washington mardi où il rencontra le sénateur Robert Menendez ainsi que Gus Bulirakis et John Sarbanis, membres de la Chambre des Représentants, avec l'accent mis sur la question du nom de la FYROM.
M. Menendez, notamment, a déclaré avoir constaté que depuis le Sommet de l'OTAN à Bucarest début avril, marqué par le refus de l'organisation d'accorder un calendrier d'adhésion à la FYROM dans les instances atlantiques, les positions de la Grèce avaient un plus grand impact au Sénat, le nombre des sénateurs en faveur des positions grecques augmentant, Obama et Snowe étant parmi les rapporteurs sur ce dossier.
MM. Bilirakis et Sarbanis, co-présidents du groupe des députés soutenant Athènes, ont souligné pour leur part que pour la première fois, leur groupe est passé à 170 membres de 120 qu'il était il y a trois ans.
Les deux résolutions, celles du Sénat et de la Chambre, invitent la FYROM à cesser sa propagande hostile et ses actions contre la Grèce, et à coopérer avec l'ONU et Athènes pour un règlement du nom.
Pendant ce temps, c'est au Canada et en Australie, où résident d'importantes communautés de Slavomacédoniens, que les réseaux nationalistes de Skopje s'activaient, en faisant de la kermesse de St Elie au village frontalier (côté grec) de Meliti, un enjeu majeur des revendications de Skopje quant à l'existence d'une minorité "macédonienne" en… Macédoine grecque et du besoin d'unification des Macédoines slaves, égéenne et bulgare sous la bannière de Skopje !
La lettre adressée ainsi lundi par le premier ministre de la Fyrom à son homologue grec prenait tout son sens et était un message adressé aux soutiens financiers de sa diaspora outre Atlantique, d'autant plus essentiels pour Skopje que son économie dépend largement des investissements… grecs.
Quelque 280 entreprises d'intérêts grecs s'activent en effet en FYROM et plus de sept sur les vingt plus grandes entreprises du pays possèdent des intérêts grecs, selon le conseiller au bureau des Affaires économiques et commerciales du Bureau de liaison de la Grèce à Skopje, Athanassios Makrandreou.
M. Makrandreou, qui s'exprimait mardi à Thessalonique à l'occasion d'un symposium organisé dans le cadre de l'initiative Interreg III de l'Union européenne, a encore précisé que les entreprises d'intérêt grec en FYROM procurent un emploi à 20.000 personnes alors que l'ensemble du capital investi des entreprises grecques en FYROM s'élève à environ 1 milliard €, les secteurs les plus concernés étant le bancaire (28% des investissement), l'énergie (25%), les télécommunications (17%), l'industrie (15%), l'alimentation et boissons (10%) et 5% autres secteurs.
En revanche, c'est un organisme privé d'éducation de la FYROM qui a racheté récemment un collège privé britannique à Londres, dont il a renommé ses départements "Département d'Etudes économiques Aghios Nicolaos, Département d'Ordinateurs Alexandre le Macédonien et Département des Beaux-Arts Philippe II". Une initiative perçue par Athènes comme provocatrice et faisant partie de la campagne de la Fyrom de semer la confusion sur l'hellénicité des références historiques et culturelles à la Macédoine d'Alexandre le Grand. Le ministre de l'Education, Evripidis Stylianidis, a dû adressé jeudi à son homologue britannique délégué à l'enseignement supérieur, Bill Ramell, ainsi qu'au commissaire européen à l'Education, Jan Figel, un rappel "des obligations découlant de l'Accord intermédiaire de 1995 (entre la Grèce et la FYROM) pour l'évitement de provocations" et dénonce les autorités de Skopje "d'utiliser des questions d'éducation dans le cadre de sa propagande irrédentiste et nationaliste inacceptable, qui empoisonne les relations bilatérales et régionales".
Cependant cette réalité passe au second plan à Skopje où la lutte pour le contrôle du pouvoir entre factions albanaise, nationalistes "macédoniens", slavophones et bulgarophiles ne s'est pas calmée avec les dernières élections anticipées dans la foulée de l'échec de Bucarest, même si le parti au pouvoir en est sorti renforcé.
La compétition entre le président de la FYROM, Branko Crvenkovski, reputé de modéré et favorable à un compromis avec la Grèce, et le premier ministre Nikola Gruevski, chef de file des nationalistes, pousse le premier à la démission mais aussi à la surenchère nationaliste envers la Grèce.
Ainsi lorsque le premier annonce sa participation aux festivités de St Elie de Meliti, devenu un rdv des quelques centaines de nationalistes Slavomacédoniens du Nord de la Grèce, le deuxième envoie carrément une liste de revendications au premier ministre grec !
Le porte-parole du gouvernement grec a aussitôt mis en garde Skopje "qui, au lieu de s'adonner à ce genre d'actions provocatrices et de tactiques qui poussent à l'impasse la procédure de négociation de plusieurs années, doit convaincre par des actes souhaiter le règlement du problème et la construction de relations de bon voisinage avec la Grèce, un pays voisin et membre de l'UE et de l'OTAN, des institutions auxquels la FYROM ambitionne d'adhérer", a prévenu M. Roussopoulos.
Dora Bakoyannis, ministre des Affaires étrangères de la Grèce, a aussi utilisé un langage dur envers Skopje dont elle dénonça le nationalisme extrême "qui sème les vents, récolte les tempêtes", a-t-elle notamment dit.
Le principal parti de l'opposition en Grèce, le socialiste PASOK, a quant à lui , estimé que la lettre adressée par le premier ministre de la FYROM, Nikola Gruevski, à son homologue grec, Costas Caramanlis, "n'est pas digne d'être commentée", ajoutant que le gouvernement de Skopje poursuit son "délire électoral".
L'exécutif grec s'est donné la semaine pour évaluer s'il devait répondre à cette lettre, et le cas échéant par quelle voix diplomatique. La crainte du gouvernement grec était qu'une réponse - quelque soit - pourrait signifier une prise en compte des revendications. Finalement, le porte-parole annonçait en milieu de semaine "qu'une telle provocation ne pourrait rester sans réponse".
Vendredi midi donc la réponse du premier ministre grec était enfin rendue publique. Dans sa lettre M. Caramanlis rappelle qu'il n'existe - ni jamais a existé - de minorité macédonienne en Grèce et que, concernant la question du nom définitif de la Fyrom, la Grèce continue à soutenir les négociations en cours sous les auspices des Nations Unies.
Le point principal de la réponse de M. Caramanlis consiste en la mise en gade du pays voisin que l'évocation d'un problème inexistant "vise à intervenir dans les affaires intérieures" de la Grèce.
Pour le reste, M. Caramanlis reproche à son homologue de Skopje de s'éloigner "beaucoup" par le contenu de sa lettre de la promotion des négociations en cours et de la notion de bon voisinage.
"Il n'existe pas de minorité 'macédonique" en Grèce. Il n'y a jamais existé. Toute allégation contraire est absolument infondé et soutenu par des arrières pensées politiciennes sans respect à la réalité historique de la région", écrit M. Caramanlis.
Concernant la restitution des biens des réfugiés de la guerre civile en Grèce passés dans la Yougoslavie communiste de l'époque - autre aspect de la lettre de M. Gruevski - le premier ministre grec rappelle que "quiconque, pour faire valoir ses droits, peut recourir devant les Tribunaux, y compris auprès du Tribunal européen des Droits de l'Homme".
Enfin, M. Caramanlis invite son homologue à faire preuve "d'un esprit constructif" puisque beaucoup de choses "dépendront de son attitude positive" et que "l'Histoire juge les leaders de leur façon de s'élever à la hauteur des provocations et de la façon dont ils prennent leurs responsabilités".
i-GR