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Elargissement de l'UE : les retards de la Turquie à appliquer les reformes soulignés par la Commission

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Par iNFO-GRECE,

Une journée-étape hier que tous les pays les Balkans et la Turquie attendaient avec impatience puisque la Commission européenne présentait ses rapports de suivi décrivant les développements politiques et économiques intervenus dans ces pays ainsi que leur capacité à transposer et à mettre en œuvre la législation de l'UE. iNFO-GRECE présente les principaux points des différents rapports notamment les passages concernant les relations des pays voisins avec la Grèce et Chypre.


La Commission a adopté une stratégie d’élargissement globale qui s’adresse aux pays candidats que sont la Croatie et la Turquie, ainsi qu’aux pays candidats potentiels des Balkans occidentaux fondée sur trois principes: consolider les engagements de l’Union européenne en matière d’élargissement, appliquer des conditions équitables et rigoureuses, et mieux communiquer sur l’élargissement. "La force d’attraction de l’Union contribue à la transformation démocratique et économique des pays concernés. Tous les citoyens européens ont intérêt à ce que leurs voisins soient des démocraties stables et des économies de marché prospères", a dit, Olli Rehn, commissaire chargé de l’élargissement, lors de la présentation de la stratégie d’élargissement.

Les relations entre l’UE et la Croatie et la Turquie sont entrées dans une nouvelle phase avec l’ouverture des négociations d’adhésion le 3 octobre 2005. "Ces négociations permettront aux deux pays de démontrer leur détermination et leur capacité à mener à bien les changements nécessaires et à satisfaire à toutes les conditions d’adhésion", estime la Commission en présentant les rapports.

Turquie et Croatie

Concernant la Turquie, le rapport juge qu'elle continue à remplir suffisamment les critères politiques et que la transition politique est en cours avec d'importantes réformes législatives, en vigueur à présent, et qui devraient aboutir à des changements structurels, notamment dans le système judiciaire où les six textes de loi mentionnés par la Commission dans sa recommandation de 2004 sont entrés en vigueur (loi sur les associations, nouveau code pénal, loi sur les cours d'appel intermédiaires, code de procédure pénale, législation concernant la création de la police judiciaire, loi sur l'exécution des peines et des mesures de sécurité).

Cependant, note le rapport, le rythme des réformes s’est ralenti en 2005 et l'application des reformes reste inégale. Concernant, par exemple, les violations des droits de l'homme, si la Commission note qu'elles sont en baisse, elle souligne avec insistance qu'elles se poursuivent et qu'il est urgent de mettre en œuvre la législation déjà en vigueur et, dans certains domaines, de prendre d’autres initiatives législatives. A niveau de la protection des minorités, bien que le cadre législatif applicable à la lutte contre la torture et les mauvais traitements est en place, des rapports font toujours état de telles pratiques et les auteurs de ces crimes restent toujours impunis. De plus, des actions en justice, fondées sur le nouveau code pénal, continuent d’être intentées à l'encontre de ceux qui expriment des opinions de manière non violente. Dans une Turquie qui se défini comme une république laïque, l'armée exerce encore une grande influence et les minorités religieuses non musulmanes sont parmi les plus opprimées.

Sur le plan social, la violence à l’encontre de ces dernières reste très préoccupante, note le rapport, et en dépit d’une plus grande tolérance à l’égard des manifestations culturelles où des langues autres que le turc sont utilisées, l’exercice des droits culturels est encore précaire. Quant à la situation économique et sociale dans le sud-est du pays, elle n’a pas réellement changé tandis que la situation des personnes déplacées à l'intérieur des frontières est dans l’ensemble restée identique.

Finalement, c'est dans le secteur de l'économie que le plus de progrès ont été accomplis, notamment dans le secteur bancaire et dans l'assainissement des finances publiques.

Le rapport recommande à la Commission européenne de continuer d’accorder une assistance financière substantielle à la Turquie pour la soutenir dans son processus d'adhésion. Un montant de 300 millions d’euros est mis à la disposition de la Turquie en 2005, ce montant passant à 500 millions d’euros en 2006. A cela s'ajoutent les prêts accordés par la Banque européenne d'investissement (BEI) où rien que hier 100 millions d'euro de prêt étaient annoncés.

Concernant la Croatie, le principal obstacle que constituait sa non coopération avec le Tribunal pénal international (TPI) ayant été levé, le rapport est globalement positif, soulignant ici et là des retards dans la mise en place ou dans l'application des reformes, notamment dans l'appareil judiciaire et la discrimination des Serbes et des Roms. Enfin, la corruption reste un problème sérieux qui continue à préoccuper la Commission.

Balkans

La perspective de l’adhésion à l’UE a été ouverte à tous les pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-et-Herzégovine, Serbie-et-Monténégro et Kosovo), une fois les conditions nécessaires remplies. Chacun des pays progressera vers ce but en fonction des avancées effectuées dans la réalisation de ces exigences, note le rapport de la Commission qui rappelle que les pays des Balkans occidentaux doivent également satisfaire aux conditions du processus de stabilisation et d’association, comme la coopération régionale et la collaboration avec le TPIY.

L’Albanie obtient un quitus pour les progrès s’agissant de satisfaire aux normes européennes, la Commission recommandant "des efforts de réforme supplémentaires vigoureux pour combler les lacunes qui affectent la compétitivité". La gestion d'un secteur public "médiocre" est pointée du doigt ainsi que le manque "des résultats concrets en matière de lutte contre la corruption".

La Bosnie-et-Herzégovine, laquelle doit signer prochainement un accord de stabilisation et d’association avec l'Union Européenne, souffre de "structures gouvernementales complexes, d’un pouvoir décisionnel fragmenté et d’un manque de ressources et de personnel qualifié". La Commission souligne l'amélioration de sa coopération avec le TPIY.

En Serbie-et-Monténégro, le rapport note la poursuite du resserrement budgétaire, la réduction du déficit commercial, la diminution de la dette extérieure, et des progrès supplémentaires en matière de restructuration et de privatisation du secteur bancaire. Cependant, l’inflation et la pression salariale se sont accrues et l'environnement des affaires reste difficile. Sur le plan politique, le rapport demande aux dirigeants politiques d'"adopter une approche constructive vis-à-vis du Kosovo".

Le Kosovo, qui, sous administration intérimaire des Nations unies, tout en n'étant pas (encore ?) un Etat, est quasiment traité comme tel dans le rapport qui, s'il souligne les progrès sur le plan administratif en faveur de la mise en oeuvre des normes de l’ONU, ne manque pas de pointer le non respect de l’État de droit et les problèmes de crime organisé et de corruption généralisée "très préoccupants".

FYROM - ancienne République yougoslave de Macédoine

Enfin, la Commission européenne a adopté hier un avis sur la demande d’adhésion de l'ancienne République yougoslave de Macédoine à l'Union européenne par lequel elle recommande l’octroi du statut de pays candidat. La Commission considère que les négociations en vue de l'adhésion de ce pays à l'Union européenne devraient être ouvertes dès lors qu’un niveau suffisant de conformité aux critères d’adhésion aura été atteint. L’ancienne République yougoslave de Macédoine avait soumis sa demande d’adhésion à l’UE le 22 mars 2004.

"Quelques années seulement après une grave crise sécuritaire, l’ancienne République yougoslave de Macédoine est aujourd’hui une démocratie stable et un État pluriethnique qui fonctionne. C’est une performance remarquable", a dit le commissaire Olli Rehn présentant l'avis de la Commission.

Le statut de candidat est une reconnaissance politique d’une relation plus étroite avec l’Union européenne, mais il ne signifie pas automatiquement qu’un pays peut entamer des négociations d’adhésion, précise-t-on toutefois à Bruxelles. Pour ce faire, le pays concerné doit atteindre un niveau suffisant de respect global des critères d’adhésion.

La petite république de Skopje avance donc petit à petit dans son rapprochement avec l'Europe au grand dam d'Athènes qui menace de recourir à l'exercice de son droit de veto si Skopje persiste dans l'intransigeance concernant la résolution du différend autour de l'appellation définitive de la république par un nom communément accepté et tenant compte des susceptibilités de la Grèce sur l'historicité du terme "Macédoine". "L'ancienne République yougoslave de Macédoine "est engagée dans la coopération régionale. Des efforts soutenus s’imposent dans ce secteur, notamment en vue de résoudre la question du nom qui se pose avec la Grèce, dans l’intérêt des relations de bon voisinage", souligne l'avis de la Commission dans la seule phrase consacrée au sujet.

Grèce - Chypre -Turquie. Réactions

En Grèce aussi on attendait avec impatience la publication des rapports de la Commission concernant les voisins où on guettait la façon dont la Commission évaluait leurs différends avec Athènes, notamment en ce qui concerne la Turquie et la FYROM/Skopje.

Maigre consolation, dans les 150 pages relatives à la Turquie, le mot "Grèce" n'apparaît que 17 fois et seulement deux concernant les relations spécifiques entre les deux pays. On note toutefois 32 fois l'occurrence du mot "Chypre".

La politique de dialogue maintenue par la Grèce, donne un bon passeport à la Turquie et la Commission de noter, page 9, que les relations avec la Grèce se sont poursuivies positivement avec la signature d'une série d'accords bilatéraux et des mesures de construction de confiance. Ainsi, la visite du Premier ministre grec à Ankara en avril 2005 est prise en compte dans cette évaluation de même que les visites des commandants militaires grecs en Turquie et turcs en Grèce. Autre signe positif pour la Commission, l'inauguration d'un pipeline de gaz naturel entre Karacabey (Turquie) et Komotini (Grèce).

L'organisation des compétitions sportives conjointes des militaires des deux pays ou les interminables rencontres au niveaux des sous-secrétaires des ministères des Affaires étrangères sont pour le rapport des marques positives de l'amélioration des relations de la Turquie avec la Grèce. Mais le caractère superflu de ce rapprochement n'échappe pas au rapport. Malgré 31 tours de rencontres exploratoires depuis 2002, les deux parties ne sont pas parvenues à un accord sur la délimitation des frontières, note-il. Enfin, le rapport note que la présidente du Parlement grec a exprimé en avril 2005 le point de vue que la Turquie pourrait abandonner le principe de "casus belli" en cas d'extension des eaux territoriales grecques, tel qu'adopté par le Parlement turc en 1995. Mais, bien que le ministre turc des Affaires étrangères, M. Gül, a dit ne pas avoir d'objection aux retrait de cette référence, il n'y a eu aucune suite depuis.

A Chypre, note le rapport, la Turquie continue de supporter les efforts du Secrétaire général des Nations Unies pour aboutir à un règlement viable du problème. Mais le rapport ne mentionne pas que ces efforts sont quasi-inexistants depuis le rejet de la proposition Annan par le peuple chypriote lors du référendum de mai 2004. Enfin, la Commission espère une réponse positive de la Turquie dans l'extension des Accords dits d'Ankara sur l'extension douanière aux 10 nouveaux membres de l'Union, dont Chypre. Or, cette réponse est déjà connue et négative. Le rapport note que sur les principes généraux concernant la libre circulation des biens, aucun progrès n'a été remarqué et que "les restrictions imposés aux navires et aux avions chypriotes [ à utiliser l'espace aérien turc ] empêchent la libre circulation des biens entre la Turquie et Chypre", alors que les restrictions dans les communications entre les autorités de l'aviation civile turques et chypriotes sont toujours en vigueur et que l'interdiction d'accoster dans les ports turcs aux bateaux battant pavillon chypriote ou servant le commerce chypriote n'est toujours pas levée.

Par ailleurs, le rapport déplore le manque de transparence tant dans le rôle joué que dans les délibérations du Conseil national (turc) de sécurité, c'est-à-dire des militaires. Le rapport note également le rôle joué par la Turquie en Chypre avec le maintien des tribunaux militaires dans la zone occupée (Nord de Chypre) et les problèmes relatifs à la restauration des droits et des propriétés des Chypriotes grecs déplacés lors de l'invasion de l'île en 1974 qui restent irrésolus.

De façon générale, conclue le rapport, l'alignement de la Turquie avec la politique étranger commune et la politique de sécurité de l'UE (PESC) a continué et la Turquie doit faire tout effort pour soutenir des positions de l'Union européenne dans les forums internationaux. La Turquie a été activement impliquée dans des efforts de maintien de la paix et de stabilisation aux Balkans. Elle a également contribué à la stabilisation de ses régions voisines comprenant le Caucase, Asie centrale aussi bien que le Moyen-Orient. Les relations bilatérales avec des voisins ont continué à s'améliorer, en particulier avec la Syrie et l'Iran où la Turquie a employé son influence pour convaincre la direction de ce pays à respecter la demande de la communauté internationale. Pour ce qui concerne l'Irak, la Turquie a continué à exprimer des inquiétudes concernant la situation. En même temps, la Turquie offre une contribution active à la stabilisation du pays (Irak, ndlr) en particulier par des efforts diplomatiques envers les voisins de l'Irak. En ce qui concerne l'Arménie, bien que la frontière soit encore fermée et aucune relation diplomatique n'a été établie encore, les contacts officiels ont continué à avoir lieu et devraient être intensifiés en raison de la coopération et de la réconciliation entre les deux pays. En ce qui concerne la Grèce, les relations ont continué à se développer franchement. La Turquie devrait cependant éviter toute source de friction avec ses voisins et s'abstenir à n'importe quelle action qui pourrait affecter négativement le processus du règlement pacifique des conflits de frontière. La participation de la Turquie à la PESC continue à présenter certaines difficultés. En effet, la Turquie continue à bloquer la participation de la Chypre et de Malte dans la coopération stratégique UE-OTAN. De même, la Turquie s'oppose toujours à l'accession de Chypre à l'accord de Wassenaar. La Turquie doit encore signer les statuts de la Cour pénale internationale.

"Les questions d'intérêt grec et chypriote sont couvertes de façon très satisfaisante par le rapport de suivi de la Commission européenne sur la Turquie alors qu'il est fait mention pour la première fois -dans un document officiel de l'UE- de la question du casus belli", a déclaré mercredi le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Georges Koumoutsakos, commentant les documents publiés par la Commission sur la Turquie et la FYROM et soulignant qu'"il s'agit d'un succès qui résulte d'un effort diplomatique constant et systématique, silencieux -peut être- mais efficace". "La même chose est valable pour l'avis de la Commission sur la FYROM qui inclut les visées de la Grèce", a-t-il ajouté.

Dans un communiqué du ministère des AE publié mercredi, il est notamment souligné que "la Grèce désire une fois de plus mettre l'accent sur le fait que l'aboutissement heureux des efforts déployés par le pays voisin va dans l'intérêt de la région, des relations greco-turques, mais aussi du peuple turc. Nous soutenons cette perspective".

M. Koumoutsakos relève encore que les "documents publiés aujourd'hui par la Commission sur la Turquie font suite et viennent renforcer ce qui a été décidé au Sommet européen de décembre dernier, la contre-déclaration de l'UE du 21 septembre et le cadre de concertations du 3 octobre".

En ce qui concerne la FYROM et ses visées européennes, M. Koumoutsakos affirme que l'avis de la Commission a toujours été la position de la Grèce et "nous restons fermes sur celle-ci en ayant prouvé nos dispositions constructives. Seule l'obtention d'un règlement accepté mutuellement facilitera la future amélioration des relations bilatérales, la stabilité régionale ainsi que la perspective européenne du pays voisin".

Depuis Londres où il se trouver pour assister à un dîner organisé par la Franternité grecochypriote en honneur de l'indépendance chypriote, le ministre des Affaires étrangères de Chypre, Giorgos Iakovou, n'a pas commenté directement les rapports de la Commission mais s'en est pris une nouvelle fois à la présidence britannique de l'Union européenne qui selon lui est tellement favorable à la Turquie au point de "donner l'impression que la Turquie est déjà le 26 membre de l'Union". 45 députés, eurodéputés et membres du Parlement des Lords appartenant aux trois partis politiques de la Grande Bretagne assistaient au dîner.

A Ankara, le ministre turc des Affaires étrangères, Abdulhah Gül, a fait comprendre qu'aucune concession de la Turquie sans contrepartie n'est à attendre : "L'expérience montre que les seuls efforts de la Turquie ne suffisent pas pour un règlement essentiel de la question chypriote", a-t-il dit avant d'ajouter que la Turquie a fait tout effort possible et qu'"il existe des choses qu'elle ne peut pas faire seule", rappelant la ligne turque selon laquelle, la marche d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et la question chypriote sont deux choses indépendantes. En bref, l'Europe peut toujours parler, la Turquie fera ce que lui plaît.

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