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Tout va bien, merci !

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Par iNFO-GRECE,

Il n'y aurait pas eu les incendies de la fin août avec les conséquences dramatiques qui ont fait la Une de tous les journaux de la planète, les élections législatives qui se sont déroulées la semaine dernière pour désigner le nouveau parlement et gouvernement grec auraient été d'une banalité des plus ennuyeuses qu'on ait eu ces dernières années. Pas d'enjeu (il s'agissait de reconduire le gouvernement qui annonçait poursuivre la politique du premier mandat) et pas de suspense (malgré son optimisme opiniâtre, l'opposition socialiste partait perdante). Cela n'a pas empêché nos confrères de Libération de titrer au lendemain des élections sur "Les travaux d'Hercule" qui attendraient le nouveau gouvernement grec puis de dresser un tableau des plus sombres de la Grèce. Réalité, spéculation ou emportement journalistique ?

Certes Libération n'est plus le grand journal de référence qu'il fut, il n'en reste pas moins un titre très lu qui jouit d'un certain sérieux. Et bien que l'emphase journalistique est un des maux dont nous-mêmes ne sommes pas toujours bien vaccinés, nous ne pouvons mettre au seul crédit de l'emportement journalistique le tableau noir qui y est dressé de la Grèce. Pourtant, à iNFO-GRECE nous n'avons pas pour habitude de ménager nos critiques à l'égard des gouvernements grecs, d'autant moins appréciées par nos autorités (grecques) qu'elles estiment avoir le monopole de l'information hors des frontières. Mais laissons chacun à ses illusions et regardons de près ce que notre confrère publie sous la plume d'une compatriote (du moins, si l'on juge par la consonance de son nom).

Passons sur le titre des "travaux d'hercule". Il y a trois ans, la référence a été utilisée avec beaucoup plus de succès à l'occasion des jeux olympiques d'Athènes. Dès l'introduction, on apprend que le premier "défi auquel devrait s'atteler" le gouvernement Caramanlis serait de "réconcilier les Grecs avec la démocratie" ! Ce qui laisse entendre que les Grecs seraient fâchés avec leur démocratie. Nous avons déjà dit combien ces élections étaient dépourvues d'enjeux. Savez-vous quel a été le taux de participation ? 74,14 % ! Il était à peine supérieur (76,5%) en 2004 quelques mois avant les JO et alors que l'alternance politique était en jeu. Certes, le vote est obligatoire en Grèce, mais tout le monde sait que l'on ne risque pas grande chose si on s'abstient.

Alors ces Grecs qui se seraient rendus "par obligation" aux urnes auraient-ils voté blanc ? Bulletins blancs et nuls confondus ne dépassent pas 2,67%. Quelle belle leçon de citoyenneté aurions-nous envie d'écrire plutôt que du divorce des Grecs avec la démocratie que prétend avoir vu le correspondant de Libération, surtout lorsqu'on écrit à destination d'un public francophone - et en majorité français - (39,56% d'abstention au premier tour des législatives de juin 2007 en France où il n'y avait plus d'enjeu, l'équipe Sarkozy/UMP étant donnée gagnante).

Mais notre journaliste ne lâche pas son morceau. Peut-être, pense-t-elle avoir trouvé le filon qui va vendre. "Jamais depuis le retour de la démocratie en 1974, la classe politique n’a en effet été aussi décriée", apprend-on, rien de moins, voire plus, puisqu'elle poursuit que "c’est désormais sur le thème du «tous pourris» que les Grecs rejettent les partis". On pourrait encore objecter les chiffres ci-dessus, on peut aussi présenter le cumul des deux grands partis "décriés" qui "se relaient au pouvoir depuis plus de trente ans" : 79,94% ! (41,84 pour les conservateurs de Nea Dimokratia (ND) et 38,10 pour les socialistes du PASOK).

Certes, chacun perd près de deux points par rapport aux élections de 2004. Quoi de plus normal pour la ND en tant que gouvernement sortant qui de plus venait de plutôt mal gérer une série d'incendies avec des dizaines de morts trois semaines seulement avant les élections. Un peu moins attendu pour le PASOK, mais est-ce vraiment une surprise alors que tout au long des trois ans de gouvernement ND, le PASOK n'a jamais réussi à devancer la ND dans les sondages et que son chef Georgios Papandreou était systématiquement distancé de près de 20 points par le leader de la ND Costas Caramanlis à la question des sondeurs sur "la personnalité la plus apte à gouverner le pays".

Passons. Notre sujet est le désaveu prétendu des grands partis alors qu'à eux deux ils réunissent 4/5e des voix. On résume : 76,5% de participation, 2,67% d'abstention, 79,94 des voix aux deux grands partis mais la journaliste de Libération n'y voit que "des Grecs qui sont allés voter en traînant des pieds". On pourrait arrêter là, et éviter le risque de paraître nous-mêmes incongrus, mais il y a tant de grossièretés par la suite que l'envie de les passer au peigne fin est irrésistible.

Continuons donc. Les Grecs manqueraient-il de choix pour donner leur voix au deux mastodontes de la politique hellénique ? Difficile de le prétendre. Laissons de côté la vingtaine de formations politiques qui se présentaient officiellement et regardons les résultats : 5 partis représentés au parlement et deux (écolos et populo-centristes) restés en dehors mais avec un score proche du 1%. Mais ce pluralisme, devient aux yeux de Libération, "la montée des extrêmes" ! Curieuse conclusion d'autant qu'elle vienne d'un journal se réclamant de la gauche et plutôt radicale que centriste.

Quels sont les partis que ont récupérés les 4 points perdus par les deux grands ? Le parti communiste en premier lieu (KKE). Certes, il souffre d'un passé stalinien et il n'a pas jamais clairement énoncé son toilettage. Mais avec 33 ans de présence dans la république parlementaire post-colonels, peut-on le traiter d'extrémiste ? Peut-être qu'il n'a pas renoncé à la dictature du prolétariat, mais s'il veut parvenir par les moyens démocratiques… Les choses sont peut-être moins claires du côté de Syriza (coalition de la gauche radicale) qui réussi une jolie performance à 5% en jouant à la fois de son passé réformateur entre le PS et le PC et en s'alliant aux groupuscules de l'extrême gauche et à la nébuleuse altermodialiste, mais de là à parler d'extrémisme. Enfin, nouvel entrant au parlement, avec 3,79%, le LAOS de Georges Karatzaferis, un transfuge de la ND qui défend l'orthodoxie et le patriotisme en guise de programme politique. Pas de quoi le taxer d'extrême droite.

L'extrême droite ? La vraie, celle qui se nourrit de nazisme et de racisme, eh bien, elle a disparu ! Elle avait obtenu 6.751 voix en 2004 (0,09%), à quoi bon se représenter ? Non, les Grecs, côté régimes autoritaires, ont déjà donné, ils n'en veulent plus. Et puisque il faut permettre aux lecteurs de comparer avec des repères qui leurs sont familiers, rappelons qu'en France, la droite de Sarkozy a dû se durcir pour limiter l'influence d'un Front national, alors que Mitterrand avait eu à pactiser avec le PC (à l'époque le dernier stalinien en Europe) afin le rendre inoffensif. Les Grecs, eux, ont réussi à se débarrasser des extrêmes en les jetant simplement aux oubliettes de l'histoire. Tant pis si ça ne fait pas des titres à sensation pour les Unes de Libé.

Rien décidément ne trouve grâce à Libération. Certes, nous pointions aussi, ici même, l'endettement des ménages grecs, mais rappelions en même temps qu'il n'a pas encore atteint la moyenne européenne. De même pour la bureaucratie et la fiscalité des entreprises. Et, pourtant nous disions en même temps que les marges de récupération de ressources sur la fraude fiscale restent encore importantes. Car, endettement et fiscalité en Grèce ne sont pas des phénomènes en soi, mais des phénomènes en tant que nouveautés dans le mode de fonctionnement des Grecs. Certes, la dette publique représente encore 105% du PIB, mais c'est un notion relative qu'il faut mettre en rapport avec d'autres données (déficit public désormais sous la barre du 3% du PIB, taux de croissance, etc.) En France, avec une dette de moitié (en parts PIB) de celle de la Grèce, le premier ministre François Fillon s'estime à la tête d'un Etat en faillite ; au Japon où la dette atteint 158% du PIB, il n'y a pas de panique.

Reste enfin, les scandales. Depuis février, un aller-retour Athènes-Londres via Berlin d'un paquet de 280 millions d'obligations de l'Etat grec permet de dégager une plus-value de 30 millions d'euro au détriment de quatre mutuelles grecques. Un peu plus de 4 millions d'euro de profits auraient ensuite emprunter des chemins illégaux : commissions occultes, financement de partis politiques, pots-de-vin ? On n'en sait rien, mais l'affaire dure depuis plus de six mois et elle est loin de faire un "scandale dévastateur", d'autant que, d'après les dernières informations, le gouvernement Caramanlis, encouragé par sa réélection, est en train l'enterrer l'affaire par un jeu de mutations et de réaffectations concernant les principaux acteurs (juges, rapporteurs, témoins et présumés coupables). Et si encore l'affaire arrivait un jour à s'éclaircir et venir devant les tribunaux, la danse des 4 millions en jeu ne serait qu'un léger "syrtaki" devant les millions par dizaines qui ont agrémenté le "vary zeïbekiko" sous le gouvernement PASOK dans l'affaire Koskotas qui avait défrayé la chronique grecque à la fin des années 80.

Ainsi va le monde, l'info, ses serviteurs et leurs hyperboles.

i-GR/AE

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