Jacques Chirac a demandé des clarifications sur la position de la Turquie concernant Chypre lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de France à l'Elysée, lundi. Ce mardi matin, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a confirmé la position de la France avertissant que "les pays qui souhaitent l'adhésion se doivent de respecter aussi leurs propres obligations". Avec aussi, les prises de position de la CDU allemande, une nouvelle ligne de fracture autour de la question turque s'annonce au sein de l'UE qui ne va pas faciliter la diplomatie grecque, obligée à rendre de son côté plus lisible sa position.
Il a un mois, la Turquie signait le Protocole d'extension de l'Union douanière aux 10 nouveaux pays de l'UE, dont Chypre, mais Ankara prenait soin de joindre une déclaration par laquelle elle précisait que sa signature n'équivalait pas reconnaissance de la République de Chypre.
Tout en assurant que la France respectera ses engagements vis-à-vis d'Ankara, le Président français a estimé dans son discours qu'"à la suite de sa déclaration unilatérale sur Chypre, la Turquie devra apporter des clarifications et donner l'assurance à l'Union à 25 de sa volonté de respecter pleinement l'ensemble de ses obligations". Des propos qui confirmaient ce que M. Chirac a dit vendredi dernier au président de la Commission européenne José Manuel Barroso, c'est-à-dire que l'attitude de la Turquie "n'est pas dans l'esprit qu'on attend d'un candidat à l'Union".
Toutefois, la Commission européenne a répété lundi qu'elle considérait que la Turquie avait déjà rempli les conditions fixées par les 25 pour entamer des négociations d'adhésion avec l'UE le 3 octobre et que, pour ce faire, elle n'était pas dans l'obligation de reconnaître Chypre a estimé le commissaire européen à l'Elargissement, Olli Rehn, alors que M. Barroso dans un entretien au quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" déclarait qu'officiellement aucun pays n'a encore demandé un report de la date de début des négociations pour l'adhésion de la Turquie.
Un nouveau bras de fer s'annonce donc entre le front des opposants à l'adhésion de la Turquie et la Commission, d'autant que la Présidence de l'UE du second semestre est assurée par la Grande Bretagne, grand défenseur de la cause turque.
En Allemagne, Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), et grand favori des prochaines élections, a été aussi de son côté très clair : "ce serait trop exiger de la capacité d'intégration de l'UE que de vouloir y faire entrer la Turquie", a-t-elle dit devant le congrès de son parti, précisant que la CDU était " "en faveur d'un partenariat privilégié", plutôt que de l'adhésion.
Dans une lettre adressée la semaine dernière à onze chefs d'Etat par Mme Merkel et Edmund Stoiber, le président du parti frère bavarois de l'Union chrétienne-sociale (CSU), il était écrit que "le refus continu de la Turquie de reconnaître la République de Chypre, un Etat membre, constitue une gêne importante à l'ouverture de négociations", une phrase en ligne droite avec les positions de Paris.
Cette nouvelle fracture ne devrait pas arranger la diplomatie grecque qui, le cul entre deux chaises, doit respecter à la fois le dogme d'"une Turquie au sein de l'UE, plus tôt qu'en dehors", et ne pas apparaître en même temps, plus pro-turc que les plus fervents amis de la Turquie. Un pas supplémentaire dans un sens comme dans l'autre qui sera immédiatement exploité par l'opposition, et qui risque de réveiller l'opinion publique locale, plutôt indifférente sur la question pour le moment.
Depuis Prague, où il était en visite officielle lundi, le Premier ministre grec, Costas Caramanlis, a fait allusion aux questions régionales, dont le cas de la Turquie, dans ses déclarations à la presse à l'issue de son entretien avec son homologue tchèque, Jiri Paroubek.
Evoquant la perspective d'adhésion de la Turquie à l'UE, M. Caramanlis a notamment souligné que la stratégie de la Grèce n'est pas modifiée et que "nous continuons à soutenir son orientation européenne, tout en tenant compte de toutes les nouvelles données". Il a encore ajouté que la Turquie devra remplir tous les critères qui lui ont été posés dans sa marche vers l'Europe, ajoutant que la Turquie ne peut créer des confusions en ce qui concerne l'essence et l'esprit de sa signature du Protocole étendant aux 10 nouveaux Etats-membres l'accord d'union douanière qui la lie déjà aux 15 anciens pays de l'UE, car ce protocole doit être applique à l'égard de tous les Etats-membres de l'UE.
Cependant, plus l'échéance du 3 octobre approche, et que la ligne des démarcations des 25 se précise, la Grèce sera acculée à choisir son camp au risque d'être piégé par les enjeux électoraux internes aux grands pays européens, qui à la dernière minute risquent de se réfugier devant le fait que "les négociations seront longues et l'issue incertaine", pour ne rien faire d'autre que de la politique électorale.
i-GR