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La question turque au Parlement français : consensus pour un partenariat privilégié plutôt qu’une adhésion

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Par iNFO-GRECE,

Il n'y avait pas grand monde pour plaider le « oui » hier après-midi au Palais Bourbon où les députés français étaient convoqués pour débattre de la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne en perspective du sommet du Conseil européen du 17 décembre prochain. Mais, surtout, avec à peine le quart des députés présents, il n'y avait pas grand monde tout court. La perspective d'une Turquie installée dans le banquet européen a beau passionné les Français et les états majors des partis, les députés se faisaient désirer, hier, dans l'hémicycle parisien. C'est qu'il était annoncé qu'il n'y aurait pas de balance pour mesurer le poids des mots.

Si dans les rangées de l’hémicycle il y avait beaucoup de sièges vides, dans les tribunes du public, il y avait un spectateur très attentif, l’ambassadeur de la Turquie en France. Uluç Özülker estimait, la veille, s’exprimant devant les journalistes de la presse diplomatique française que les Français « déliraient » à propos de la question turque, lui qui s’attendait à les trouver beaucoup plus « cartésiens. » « Il y a simplement le désir de parler, de comprendre, de débattre », n’a pas manqué de lui rappeler hier le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier, pensant probablement que ces principes qui précèdent une décision éclairée avaient encore besoin d‘être cultivées chez cet ambitieux candidat, prompt à donner des leçons à son jury avant même de s’asseoir à sa table d’élève !

« Ni l’Europe ni la Turquie ne sont prêtes aujourd’hui pour l’adhésion », a lancé le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, expliquant qu’ « aujourd’hui la Turquie est très loin de l’Europe sur le plan politique, économique et social » mais se gardant de prononcer le mot qui fâche « et sur le plan culturel. » Car les plus farouches opposants aussi bien que les soutiens de la perspective européenne de la Turquie, c’est bien sur le fait culturel qu’ils fondent leur argumentation. « L’adhésion de la Turquie, ce n’est pas un pas vers l’unité de l’Europe, mais vers sa dispersion » a prévenu le président de l’UDF François Bayrou, tandis qu’à gauche, le Vert Noël Mamère plaidait « résolument pour l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne […] car l’Europe l’Europe a besoin de la Turquie pour bâtir un modèle de cohésion multiculturelle et pour apporter une réponse à la guerre de civilisation . »

Du côté du PS où Laurent Fabius avait pris la tête des opposants à la perspective d’une Turquie membre de l’Union européenne, c’est au président du groupe parlementaire Jean-Marc Ayrault qu’incombait la tâche de présenter la position des socialistes, beaucoup plus divisés sur la question turque que la droite. La critique de la gestion de la question par le gouvernement a permis d’éviter que le grand écart ne soit très douloureux. « L’ouverture de négociations avec la Turquie est un droit légitime », a dit M. Ayrault estimant aussi que « claquer la porte à la Turquie serait .interprété comme un manquement à la parole de notre nation » puisque « depuis cinquante ans, la France a soutenu l'adhésion. » Mais Monsieur Ayrault estime aussitôt que malgré la réforme de son code pénal, la reconnaissance de la minorité kurde, et la suppression de la torture, la réalisation de ces reformes n’est toujours pas au rendez-vous et que les conditions ne sont pas réunies et que « la Turquie demeure très éloignée des normes sociales. » Il reste que M. Ayrault est convaincu que l’élargissement de l’Union européenne à la Turquie sera « enrichissant » pour les européens et pour la création d’une Europe multiculturelle, c’est pourquoi il sera favorable à l’ouverture des négociations d’adhésion.

En ce qui concerne le gouvernemet, l’exercice du Premier ministre était particulièrement délicat, entre interpréter la penser du Président Chirac soucieux d’éviter l’isolement de la France dans les débats européens et satisfaire l’opinion majoritaire de son parti l’UMP hostile à l’adhésion. Il aété beaucoup écrit ici et là que Chirac était favorable à l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie, mais il n’y a pas de chef d’Etat européen qui s’est affiché plus agacé que le Président français devant l’empressement des Turcs à forcer la décision de l’Europe en leur faveur.

Jacques Chirac semble surtout préoccupé de l’isolement de la France sur la scène internationale en cas d’une position hostile de la France alors que les autres chefs d’Etat suivraient aveuglement les prescriptions de la Commission préconisant l’ouverture immédiate des négociations sur l’adhésion quitte à… interrompre le processus en route si la Turquie ne respectait pas ses engagements. Mais chaque jour plus gaullien, le Président Chirac pourrait se saisir de la réticence de l’opinion publique européenne pour proposer un changement de la formulation de la question turque au Conseil européen du 17 décembre prochain. De « négociations sur l’adhésion de la Turquie » à « négociations sur l’adhésion ou sur un statut de partenariat privilégié. » Un « ou » qui permettrait de donner une alternative à l’issue des négociations, autre que l’arrêt brutal et très improbable du processus d’adhésion.

L’idée du partenariat privilégié plutôt que de l’adhésion, chère à l’ancien président de l’UMP Alain Juppé, a été défendu hier par deux personnalités très proches du Président Chirac : Jean-Louis Debré et le président du groupe UMP Bernard Accoyer. Et, même si le Premier ministre mettait hier en garde contre « un non anticipé, prématuré », on l’a attendu aussi dire « affirmons clairement que son adhésion [de la Turquie] à l’Union européenne n’est pas possible aujourd’hui, ni demain, ni dans les prochaines années. » Elle aurait aussi l’avantage de réchauffer les relations de l’UMP avec l’UDF, dont le président François Bayrou est très fâché du fait que le gouvernement a refusé le vote qu’il réclamait pour la séance de hier. Bayrou s’est longuement entretenu hier avec le président de la Commission des Affaires étrangères Edouard Balaldur lequel, contrairement à ce que nous annoncions avant le débat, il s’est positionné plutôt pour le partenariat privilégié : « Je souhaite qu’on envisage avec la Turquie, comme comme désormais avec tous les pays candidats […] une situation de partenaire privilégié. Pour y parvenir, il faudrait que le Conseil européen du 17 novembre ne ferme aucune voie », a-t-il notamment dit.

La dernière option dont dispose Jacques Chirac est de laisser faire le Conseil européen et au moment opportun de s’abriter derrière l’opinion publique française laquelle il pourrait consulter par voie référendaire s’il sent que d’autres pays européens pourraient consulter de cette façon leur peuple. « Le Président de la République s’est engagé, la volonté de la nation sera respectée puisque le peuple de France aura, par référendum, le dernier mot », a annoncé dans son discours hier M. Raffarin.

Pour cela, il faudrait que la future Constitution européenne soit ratifiée et que la nécessaire révision constitutionnelle française accélérée. A cette occasion, il pourrait y être introduit un article prévoyant que l’adhésion d’un nouveau pays soit validée par voie référendaire.

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