À Athènes où elle est née, très jeune elle s'inscrit au Conservatoire National où elle suit des cours de chant auprès de G. Georilopoulou. Elle fréquente ensuite l'Atelier d'Art Vocal de Spyros Sakkas. Remarquée par la Fondation Mousigétis, elle part, boursière, à la Guildhall School of Music and Drama à Londres. Aujourd'hui Savina Yannatou fait la synthèse de ses expériences dans un mélange original de musique traditionnelle orientale et d'improvisation vocale inspirée du jazz occidental.
Encore étudiante elle travaille dans "Lilipoupoli" de Manos Hadzidakis, une émission radio pour enfants qui fera date dans l'histoire de la radio grecque. C'était l'époque où le grand compositeur était le directeur du 3e programme de l'ERT (équivalent de France-musique). Ce que Savina garde de cette époque c'est qu'elle était… "petite encore", nous confie-t-elle. "Cette émission malgré ou grâce à l'exigence de Manos était très populaire. Aujourd'hui encore on continue de jouer Lilipoupoli. Comme je vous ai dit, j'étais très jeune à l'époque, j'étais débutante et je n'avais pas de relations particulières avec Hadzidakis. Nous étions plusieurs personnes à intervenir dans l'émission". – Quel est le souvenir que vous gardez de Hadzidakis ? "Moi, je garde l'image d'un homme très gentil, avec beaucoup d'humour et plein d'imagination. Il avait un talent terrible, pas seulement en tant que compositeur, mais aussi en tant qu'homme dans sa capacité à comprendre ses collaborateurs et à se faire comprendre par eux. Sous sa direction le 3e programme était devenu tout simplement une radio magnifique".
Et, voilà que Savina est lancée dans la chanson dite "de qualité". Mais alors que sa voix commence à être connue et reconnue du grand public, elle se tourne vers la musique médiévale dont elle visite toutes les époques, la Renaissance, le Baroque, avant de se passionner pour les improvisations vocales. A la même époque, à Thessalonique les Primavera en Salonico suivent, eux aussi, des voies de traverse : musiques traditionnelles qu'ils revisitent avec les accents de la modernité occidentale. Leur rencontre donnera un cycle de chants populaires sépharades. Les juifs Sépharades s'étaient massivement installés à Thessalonique après leur expulsion d'Espagne par l'Inquisition de 1492. Leurs chansons étaient toujours écrites en Ladino, leur ancien dialecte espagnol. "Je m'intéressais à la musique médiévale et à l'improvisation vocale quand on m'a proposé d'interpréter les chants sépharades", nous raconte Savina. "Ils ont eu bien raison parce que cela m'a permis de découvrir un domaine qui correspondait à mes recherches".
Une quête permanente d'un pont entre l'Orient et l'Occident, une corde pour relier la musique modale de l'Orient et celle qui lui correspond en Occident, musique du Moyen Age et musique populaire polyphonique de la Méditerranée. "Ma voix n'est pas une voix traditionnelle", nous dit savina. "Ce qui m'intéresse c'est la relation entre le traditionnel et le moderne d'une part, entre l'Orient et l'Occident de l'autre. Dans l'espace qui le relie il y a une grande marge de créativité".
Avec Primavera en Salonico elle enregistre deux autres recueils, "Chant de la Méditerranée" et "Vièrges Marie du Monde". Pour "Chants de la Méditerranée", ils s'amusent avec le jeu interminable de dissemblances et de ressemblances, avec cet amalgame d'étrangeté et de familiarité qui caractérise les cultures méditerranéennes. Mais un jeu qui autorise la subjectivité, l'interprétation personnelle dans le plus grand respect de la tradition. "C'était un tour du bassin méditerranéen, de l'Espagne à Israël, en passant par la corse, la Sardaigne, l'Italie du Sud, la Grèce bien sûr, la Turquie, mais aussi la rive sud, du Maroc à la Palestine". Un cosmopolitisme musical que Savina poussera encore plus loin jusqu'en Afrique, les Caraïbes et l'Amérique du Sud, avec les "Vierges Marie du Monde". Ici le sacré prend le dessus: lamentations qui s'élèvent vers le Christ, rituels paléochrétiens bouillonnant de vie où "douleur et émotion célèbrent la perfection de l'existence humaine et le salut".
Un universalisme qui, à partir de 1996, conduit Savina sur les routes des concerts internationaux: l'Allemagne, la Belgique, les Pays Bas, la Grande-Bretagne… Elle chante les chants séfarades sur les haut-lieux du judaïsme, en Israël, en Pologne, à Nuremberg. Elle amène le parfum de la Méditerranée à Berlin, à New York, à Chicago, à Buenos Aires et dans un mois à Paris.
Comment appréhende-t-elle le public français ? "C'est la première fois que je chante à Paris, mais je suis confiante. L'année dernière j'étais à Marseille. Je donnais un concert dans le cadre de Festival des Suds. J'ai eu un accueil exceptionnel. Un des meilleurs publics que j'ai eu à l'étranger" –Est ce que vous pouvez nous donner une idée du programme que vous allez présenter à Paris ? "Il sera principalement composé des chants de la Méditerranée…", -C'est devenu votre spécialité ? "Non, pas vraiment. C'est qui m'intéresse dans ces musiques c'est leur musicalité, la liberté d'improvisation vocale qu'elles permettent. Je vais d'ailleurs présenter dans le concert des travaux plus personnels…"
Parce que si Savina a plongé dans la musique traditionnelle comme personne d'autre de sa génération, elle l'a fait avant tout comme artiste contemporain, comme chanteur mais aussi comme compositeur. En 2000, elle présente ses propres compositions dans "Rosas das rosas", après avoir composé pour le théâtre (Médée en 1997 joué par le Théâtre National Grec). Elle s'intéresse pour la danse, pour l'art vidéo… - Comment vous est venu cet intérêt pour l'improvisation ? Cela ne va pas de soit pour un chanteur grec… "Pour trouver les origines de mon intérêt pour l'improvisation il faut regarder du côté du jazz, du free jazz… J'ai été introduite dans cet espace par Nikos Touliatos en 1992, puis j'ai travaillé avec Peter Kowald, un musicien allemand. Il existe en Grèce un petit milieu qui s'intéresse sérieusement au jazz et fait un travail très intéressant. Ce que j'essaie de faire aujourd'hui c'est marier cette modernité avec la musique traditionnelle".
- Donc pour les projets à venir… "Mmm, il y a beaucoup de projets mais je n'ai pas encore fait le tri. Il n'y a rien de défini encore, de fixé. Mais quelque soit la direction que tout cela va prendre, il y a une chose que je ne veux pas qui se perde : l'équilibre entre mes intérêts pour la musique traditionnelle, la musique grecque d'aujourd'hui et l'école d'improvisation issue du jazz contemporain. Je souhaite mener les trois en parallèle, en même temps".
Entretien A. E.
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