Après l'annonce mardi de l'ouverture d'une enquête sur l'industriel Socratis Kokkalis, soupçonné d'espionnage industriel au profit de la police secrète de l'ex-RDA Stasi et de corruption de personnalités russes en échange du marché de la loterie nationale, le juge Giorgos Pournaras, 55 ans, a été chargé de l'affaire. Pas moins de 35 témoins devraient être entendus, mais les ramifications internationales relevées par l'enquête préliminaire du procureur Papaggelopoulos ne permettraient pas à l'enquête d'aboutir avant au moins un, voire deux ans, estiment les milieux spécialisés à Athènes.
Giorgios Pournaras devrait partir à la retraite en avril prochain mais la loi grecque lui permet de rester sur son poste jusqu'à la fin des enquêtes dont il a la charge. L'enquête risque de s'avérer assez longue dans la mesure où elle présente des nombreuses ramifications à l'étranger, notamment en Allemagne, Suisse, Russie et Chypre, avec des comptes bancaires et des bilans de sociétés off-shore à éplucher. Le juge devait recevoir dans la journée le rapport préliminaire de 110 pages établi par le procureur.
Le juge Pournaras s'était illustré dans une autre affaire, celle du Ktimatologio, la constitution du cadastre grec, qui a conduit le commissaire européen Michel Barnier à demander à la Grèce le remboursement des 57,9 millions sur le budget de 100 millions d'euros alloués par la Commission Européenne. Le secrétaire du Parti socialiste, Costas Laliotis, à l'époque ministre des Travaux Publics et de l'Aménagement, chargé du dossier, s'en était prit violemment au procureur qui avait lancé l'enquête, l'accusant de faire le jeu de l'opposition.
Cette fois, l'affaire Kokkalis n'a pas tardé à prendre aussi une tournure politique. Si gouvernement et opposition appellent la Justice à faire son travail en toute indépendance, les allusions aux dernières rencontres entre le Président d'Intracom et le Premier Minsitre M. Simitis ainsi qu'aux nombreux marchés emportés par le groupe de Socratis Kokkalis dans les appels d'offres publiques n'ont pas manqué de nourrir les commentaires. L'ancien ministre socialiste de la Justice, M. Evangelos Giannopoulos, a cru bon de son côté de souligner que "l'affaire nous la connaissons depuis 15 ans. Il a beaucoup été écrit dans les journaux et les magazines. Mais il n'y a rien à tirer".
Socratis Kokkalis est connu en Grèce à la fois comme président d'Intracom, premier groupe informatique grec, et comme président Olympiakos un des clubs historiques et des plus populaires du football grec. Jeudi matin 21 février, M. Kokkalis a reçu en visite de soutien le Président du Comité exécutif et le Président du Conseil d'Administration de l'Association des Industriels Grecs (SEB). Pressé par les journalistes, M. Kokkalis a refusé de commenter l'affaire disant que "nous en parlerons en quand le temps viendra" et il a renvoyé au communiqué diffusé dans la soirée du mardi par sa société où il fait de l'accusation une affaire de règlements de comptes personnels par "des cercles bien connus qui une nouvelle fois lancent des accusations sans substance à mon encontre. Ces politiciens et ces journaux spécialisés dans une guerre orchestrée contre moi se déguisent en informateurs et en chercheurs de la vérité", poursuit le communiqué.
Si l'accusation pour espionnage peut s'avérer difficile à conduire dans la mesure où un des acteurs de l'époque, la République Démocratique d'Allemagne n'existe plus, l'accusation corollaire de détournement et de fraude sur le dos des actionnaires peut avoir des conséquences certaines pour l'avenir d'Intracom. Dans les travaux de la Commission d'enquête du Parlement allemand qui a enquêté sur les archives de la Stasi, Intracom apparaît comme un montage à partir de capitaux publics de l'ex-Etat de la RDA. Or, l'Allemagne actuelle se considère héritière des biens de l'ancien pays communiste et l'Allemagne pourrait bien revendiquer sa part dans Intracom. Dernièrement, Kokkalis a liquidé des grands paquets d'actions en Bourse. Depuis l'annonce publique de l'ouverture d'enquête les actions d'Intracom ont été gelées après avoir atteint le limit-down dans la journée de mardi.
Au cas où l'enquête aboutirait à établir les charges annoncées, Socratis Kokkalis risque la prison ferme dans tous les cas de figure. La loi grecque prévoit un emprisonnement de 5 à 25 ans pour le délit d'espionnage, mais il pourrait aller jusqu'à la prison à perpétuité si les actes ont eu lieu en période de guerre, ce qui, du moins officiellement, est le cas de la Grèce depuis l'invasion de Chypre par l'armée turque en 1974.