Parmi mes hobbies, la lecture de la une des quotidiens grecs me permet de prendre la température du climat politique du pays. C'est un journal hors du temps, étranger aux titres racoleurs, qui a retenu mon attention cette semaine, Estia. Plus que centenaire, ce quotidien peut se prévaloir du titre du plus ancien journal hellénique, publié quasiment sans interruption depuis 1876 !
Dans le même immeuble depuis l'origine, avec la même maquette et sur les mêmes machines – Estia n'est passé aux rotatives modernes qu'en 1997, faute de pouvoir encore se procurer les pièces de rechange de ses linotypes ! – ce journal est le seul à être écrit avec des oxeies et des perispomenes, et en katharevousa !
Tantôt conservateur, tantôt libéral, mais reposant sur le seul soutien de ses quelques milliers de lecteurs, Estia affiche une indépendance constante vis-à-vis des centres de pouvoir, économique, politique ou social, qui fait sourire les loups impitoyables, s'incliner de respect et d'admiration les âmes sensibles, les caméléons opportunistes et les crocodiles hypocrites…. Mais s’il est un point sur lequel tous s’accordent, c’est bien celui de son ton modéré et de la pertinence de ses analyses, résultat de son détachement temporel…
Eh bien, en cette semaine occupée par les discours traditionnels de rentrée politique à la Foire internationale de Thessalonique du premier ministre et des leaders de l'opposition, Estia a eu la lumineuse idée de remonter le temps – Oh ! N'allez pas imaginer qu'ils allaient fouiller dans leurs archives centenaires, juste remonter à douze mois. Le vénérable journal a donc publié pendant deux jours consécutifs de larges extraits du discours de l'ancien premier ministre Costas Caramanlis, puis de celui de son challenger socialiste Georges Papandréou. Pour mémoire, ces discours de rentrée politique étaient aussi les principaux discours électoraux puisque des élections législatives anticipées étaient annoncées quatre jours plus tôt et programmées quelques semaines plus tard.
Des élections que le premier ministre d'alors disait conduire à contrecœur, obligé du fait que le PASOK avait annoncé sa volonté de provoquer de toute façon des élections anticipées, en février 2010, à l'occasion de l'élection du président de la République pour laquelle une majorité des deux tiers est requise.
"Cette attitude du PASOK", avait dénoncé M. Caramanlis, "a englué le pays dans six mois de période électorale avec des conséquences catastrophiques pour l'économie, alors que l'opposition avait également encouragé cette tendance en présentant d'importantes revendications, et parce que le gouvernement n'a pas eu le temps d'appliquer son programme".
Nous nous permettons de reprendre l'idée d'Estia et de publier, à notre tour, la traduction de ces deux discours, ci-après. La conclusion s'impose d'elle-même pour qui connaît la suite de la victoire de Georges Papandréou à ces élections, c'est-à-dire la plongée de la Grèce dans une crise sans précédent et sa mise sous tutelle de l'Union européenne et du Fonds monétaire international.
L'aveu et le remède
Costas Caramanlis, premier ministre à l'époque et candidat à sa succession, 05/09/2009 :
« Les conséquences de la crise [internationale, ndlr] ne laissent aucun doute sur la suite. Vont venir deux années très difficiles. Notamment 2010 sera déterminant pour la marche de notre économie. Pour cela, nous devons appliquer immédiatement les politiques qui siéent. Non seulement pour traverser la crise avec le moins de conséquences possibles, mais aussi pour installer les fondations solides qui assureront un développement à long terme. [...]
Mon intention était d'aller jusqu'au bout de mon mandat. Organiser les élections en septembre 2011 et dans l'intervalle appliquer une politique économique s'appuyant sur trois axes : contrôle plus sévère des dépenses publiques ; guerre contre l'évasion fiscale ; changements structurels. [...]
Quelques-uns pourraient demander pourquoi nous n'avons pas agi jusqu'ici de façon plus efficace sur ces axes que nous considérons décisifs pour la sortie de la crise. Je n'ai aucun problème à admettre erreurs, faiblesses et retards. Mais nous avons fait, tant dans le domaine des changements structurels que dans la limitation des dépenses publiques, des pas importants. Là où nous avons besoin de faire de grands progrès, c'est dans le domaine de la lutte contre l'évasion fiscale. [...]
Malheureusement, dans ce pays, le PASOK [parti socialiste grec, ndlr] s'est opposé et s'oppose à tous les changements structurels et à toutes les politiques visant à la restauration de la santé de notre économie. La vérité est que ceux qui ont gouverné ce pays pendant vingt ans ont créé un domaine étatique pourri, avec des mentalités et des structures qui ont développé des racines profondes qu'il n'est pas facile d'extirper. »
La promesse
Georges Papandréou, président du PASOK, 12/09/2009 :
« La proposition que nous avons entendu une semaine plus tôt [de M. Caramanlis, ndlr], était, et, est catastrophique pour le pays. Si aujourd'hui nous gelons les salaires, nous gèlerons le marché. Si nous augmentons les impôts de la classe moyenne, nous diminuerons leur pouvoir d'achat, nous aggraverons la récession et diminuerons les recettes de l'Etat. Et arrivera le cercle vicieux de l'effondrement. [...]
Au contraire, nous devons soutenir l'activité économique, le chiffre d'affaires du marché. Il faut mettre en route la machine. C'est pourquoi nous mettrons en œuvre immédiatement, dès les cent premiers jours, un plan de sortie du pays de la crise, autour de quatre axes : le soutien des revenus avec des hausses au-dessus de l'inflation ; le renforcement de l'activité économique par l'augmentation des investissements publics ; la protection et le renforcement de l'emploi et le soutien aux sans emploi ; le ménage dans les finances publiques par la chasse aux dépenses inutiles ainsi que l'amplification des rentrées fiscales. »
La suite est désormais bien connue : les milieux industriels alléchés par les travaux publics promis par Papandréou n'ont pas voulu entendre la sonnette d'alarme tirée par Caramanlis, et les classes moyennes avec leurs bataillons de fonctionnaires – puits électoral du PASOK – n'avaient aucune raison de ne pas entrevoir un nouveau bond des privilèges acquis lors des précédents gouvernements socialistes. "De l'argent, il y en a", avait promis Papandréou.
Curieusement, alors que le programme des cent jours s'est avéré inexistant, qu'en lieu et place d'une augmentation des salaires, il y a eu suppression de l'équivalent de deux mois de paie ; qu'au lieu du soutien de l'économie par les investissements publics, toute dépense publique a été gelée ; et, qu'à la place de la protection de l'emploi, le chômage a bondi de 34% en douze mois, en dépit de tout cela, les Grecs continuent à espérer à un retour à l'Etat providence socialiste et soutiennent fermement le gouvernement PASOK qui devance de 7 points la droite Nea Dimokratia dans les intentions de vote.
Tout en appliquant les prescriptions du triumvirat, Union européenne - Banque centrale européenne - Fonds monétaire international, dont il défend les vertus, Papandréou promet en même temps son contraire, une sortie prochaine du "mémorandum" et la reprise de son programme initial ! Mais le propre de la démagogie n'est-il pas de produire de l'illusion ? Quelle meilleure illustration de la puissance des promesses… Merci, Papandréou !
i-GR/AE
Faut savoir ce qu'on veut
Si je comprends bien, l'auteur de l'article reproche à Papandreou de... tenir les promesses de Caramanlis ! Il reproche à Papandreou de... ne pas avoir tenu ses promesses de renforcer les "privilèges" des fonctionnaires – "puits électoral du PASOK".
Méfiance
un journal qui utilise les oxeies et la katharevousa, n'est pas un journal nostalgique ni neutre. C'est un journal royaliste et largement d'extrême droite camouflé. Donc méfiance…
Un grec à Athènes
"...n'ont pas voulu entendre la sonnette d'alarme tirée par Caramanlis" Gardons notre sérieux. Qui a précipité le pays vers la faillite si ce n'est le précédent gouvernement? Ne faut-il pas rappeler que le gouvernement Caramanlis a laissé derrière lui un déficit public de 13,5%. Ce gouvernement a donc menti délibérément pendant son mandat afin de garder sa crédibilité. Arrivé au pouvoir, M. Papandréou n'as pu que se plier aux exigences des instances internationales, prenant des mesures loin de l'idéologie socialiste et qui pénalisent de nombreux grecs. Info-Grèce devrait me semble-t-il faire un peu plus mine d'impartialité et abandonner sa ligne partisane. Car la mauvaise foi des articles dessert son site, et plus encore la Grèce...
En réponse à Un grec à Athènes par Anonyme
Evolution de la dette grecque : la preuve par les chiffres
<p>Evolution de la dette grecque en % du PIB dans les différents gouvernements</p><p>1982 - 1988 : gouvernement PASOK dette publique héritée 34%, dette à la fin du mandat 66% PIB, soit une augmentation de 94%</p><p>1989-1993 : gouvernement ND : dette héritée 66% du PIB, dette à la fin 110%, soit une augmentation de 66%</p><p>1994-2003 : gouv. PASOK : dette héritée à 110% du PIB, dette à la fin 98%, soit une diminution de 10%</p><p>2004-2008 : gouv. ND : dette héritée 98%, dette à la fin 110%, soit une augmentation de 12%</p><p>Conclusion : premier responsable le 1er gouvernement PASOK qui double quasiment la dette en rapport au PIB, ensuite la ND poursuit sur l'exemple du PASOK avec une augmentation de 66% de la dette, alors qu'elle doit déjà emprunter pour payer la dette laissée par le PASOK d'Andreas Papandreou. Depuis 1994, on peut dire que ND comme PASOK s'efforcent tant bien que mal ( ou -10%) à gérer cet héritage. A noter également qu'en 2008 éclate la crise financière internationale avec ses conséquences sur la raréfaction du crédit bancaire et qu'en décembre de la même année le gouvernement subit une forte pression de la rue avec un mois d'émeutes au centre d'Athènes.</p><p><a href="http://spreadsheets.google.com/ccc?key=… de la dette grecque en détail les 40 dernières années<br></a> [spreadsheets.google.com]<img style="width: 600px; height: 404px" src="http://www.bitquill.net/blog/wp-content…; alt="graphique de la dette grecque en fonction des gouvernements" title="graphique de la dette grecque en fonction des gouvernements" width="600" height="404"></p>