Chypre a menacé d'un veto, la Turquie par un retrait de sa candidature, et, finalement, tout le monde trouvera ses raison de rentrer satisfait à la maison après la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne à Newport, jeudi et vendredi. Une partie importante de l'agenda a été mobilisée par la question turque, après qu'Ankara eut adjoint une déclaration unilatérale à sa signature de la révision du Protocole d'union douanière avec les 10 nouveaux pays de l'UE par laquelle elle précisait que sa signature n'équivalait pas reconnaissance de la République de Chypre.
Sur fond de question turque, Newport ce fut surtout l'occasion d'une nouvelle passe d'armes entre la diplomatie française et britannique, dont les échanges ont atteint un niveau verbal élevé, selon l'avis de nombreux observateurs. "Le climat, la dynamique de la discussion d'hier [jeudi] ne différait pas d'autres discussions ayant lieu à ce niveau et dans ce cadre. Les discussions dans l'UE se font toujours dans l'intention de rechercher un dénominateur commun satisfaisant donnant réponse aux problèmes fondamentaux et aux positions de tous les Etats-membres", a voulu minimiser l'importance du duel franco-britannique le ministre grec des Affaires étrangères, Petros Molyviatis, de retour à Athènes.
Reste que, si à première vue, la présidence britannique n'a pas réussi à produire un texte de "contre-déclaration" – réponse à l'attitude turque - faisant consensus parmi les ministres des Affaires étrangères, le renvoi de l'affaire aux seconds couteaux, qu'est le Conseil des représentants permanents des Etats-membres (COREPER), arrange tout le monde dans la manière d'enterrer la question.
"La reconnaissance de la République de Chypre ne constitue pas une condition à l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, mais je peux difficilement m'imaginer que l'adhésion de la Turquie à l'UE peut être réalisable sans la reconnaissance de Chypre", a déclaré jeudi le ministre belge des Affaires étrangères, Karel de Gucht, dans une interview accordée au quotidien belge La Libre Belgique. Une phrase qui résume bien l'esprit général de Newport. Pas question de gêner la marche européenne de la Turquie avec la question chypriote, dont le problème se réglera dans le temps et avec le temps.
De même, M. Molyviatis a confirmé qu'il est clair que, "les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE doivent commencer, compte tenu naturellement qu'on considère comme certain que la Turquie a satisfait à ses obligations en signant le Protocole et qu'elle l'appliquera à tous les Etats-membres sans distinction", et qu'elles "constitueront une longue procédure d'adaptation aux critères européens, comme cela a été le cas jusqu'a présent pour tous les candidats à l'adhésion à l'UE".
L'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'UE aura dont bien lieu le 3 octobre, comme prévu, peu importe les questions soulévées par les référendums français et hollandais, l'hostilité de l'Allemange et de l'Autriche et du dernier épisode créé par la Turquie avec cette histoire de la déclaration unilatérale de non-déclaration de l'Etat de Chypre.
Dès lors, les gesticulations du ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, menaçant d'un retrait de la candidature de la Turquie à l'adhésion à l'Union européenne, étaient purement destinées à montrer à son opinion publique intérieure qu'il était un négociateur coriace, et, accessoirement, à montrer aux européens que la moindre concession sur Chypre devra être monnayée avec des pièces sonnantes et trébuchantes. Ce à quoi tout le monde est résolu à… consentir un effort.
Toutes les reformes entreprises par la Turquie pour satisfaire aux critères de l'Union européenne ont été très largement financées par l'Union européenne, ce qui constitue un bol d'air frais dans l'économie turque, et, selon ce principe, une reconnaissance de la République de Chypre devra être récompensée à la hauteur du coût politique qu'elle représente pour le gouvernement turc. Plus la procédure sera longue et les étapes nombreuses, plus la Turquie aura à gagner (d'argent). L'UE n'aura rien des Turcs sans acquitter le bakchich. C'est le principal du message turc à la communauté européenne.
Arrivé vendredi à Newport, M. Gül a, par ailleurs, rencontré son homologue grec pour un bref tête-à-tête tout à fait cordial. Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a rencontré également M. Gül, lui disant qu'il "souhaite qu'il puisse avoir une reconnaissance de la République de Chypre [par la Turquie]". Malgré la désapprobation de Paris de l'attitude turcque et la détermination française affichée à Newport à ne pas offrir une route sans péage à la Turquie, le conditionnel était plus que de mise.
"Je ne vois pas le moindre problème qui empêchera le début des négociations le 3 octobre", déclarait dans son point de presse à Newport, M. Gül, après ses entretiens vendredi après-midi. Le ministre turc des Affaires étrangères avait pris soin de préparer son arrivée par l'habituel chantage, en déclarant à l'Economist que "si on propose [à la Turquie] quoi que ce soit de moins que l'adhésion complète ou des nouvelles conditions, nous partirons. Et cette fois ce sera définitif".
"Aucun pays de l'Union européenne ne doit s'attendre à quoi que ce soit de plus de la part de la Turquie, puisque nous avons rempli toutes nos obligations", a annoncé également à Ankara le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, confirmant que les négociations pour l'adhésion débuteront bien le 3 octobre.
Tout commence mercredi avec la réunion du COREPER qui précède d'un jour la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères. La diplomatie britannique voulait que la question soit réglée au niveau des représentants permanents et qu'elle n'encombre pas le Conseil des ministres. Mais aucun consensus ne se dégage. Les ministres, sous l'insistance de la France, devront alors se saisir du dossier et envoyer une réponse à la Turquie.
Jeudi, une première version de déclaration commune proposée par la présidence britannique avait soulevé l'indignation de la délégation chypriote la jugeant "inadmissible", alors que les Grecs estimaient qu'elle devrait être subir des "améliorations sensibles". Molyviatis appelle son homologue britannique, Jack Straw. "Le Grèce ne signera pas le texte", lui dit-il. "Il faut qu'il soit clair que la déclaration unilatérale de la Turquie ne produit aucun résultat légal, qu'il soit adressé un message sans équivoque que seul le gouvernement chypriote élu est reconnu par la communauté internationale en tant qu'entité de droit international, et enfin qu'il soit mentionné nettement de plus le besoin de la mise en application du Protocole (d'union douanière) et qu'il soit prévu en même temps une surveillance de cette procédure. La "contre-déclaration" de l'UE doit faire figurer une dénonciation du refus de la partie turque de reconnaître un Etat-membre", déclarait pour sa part depuis Newport le porte-parole du ministère grec des Affaires étrangères, M. Koumoutsakos, à la radio-télévision grecque (NET).
Il n'en sera rien de tout cela dans la deuxième version présentée vendredi. "La nouvelle proposition de la présidence, malgré les améliorations apportées, bien que constituant une base pour des concertations plus approfondies, nécessite d'autres améliorations", explique M. Koumoutsakos soulignant qu'au terme d'un débat de plusieurs heures, les participants ont constaté l'absence d'un dénominateur commun. Le ministre des AE, Petros Molyviatis et son homologue chypriote, George Iacovou, proposent alors que le débat se poursuive au niveau des représentants permanents. Proposition, qui a été acceptée.
Dans la 2e version du texte présenté vendredi matin par la présidence s'il est question de la "déception" de l'UE quant au fait que la Turquie a jugé nécessaire d'adjoindre à la signature du Protocole d'union douanière une déclaration où elle précise qu'elle ne reconnaît pas la République de Chypre, il exprime néanmoins la satisfaction sur le fait que la signature du Protocole ait eu lieu. Le texte précisera également, que la déclaration turque n'a aucun sens juridique et que l'UE attend de la Turquie la pleine application de l'accord d'union douanière.
Selon nos informations, il est peu probable que les représentants permanents, qui auront à rédiger la version définitive, prennent position sur l'interprétation de l'étendue de l'accord signé qui constitue le point angulaire de la défense turque. Selon Ankara, le Protocole d'union douanière porte seulement sur l'échange des marchandises et n'est pas valable pour les services. Le secteur des ports et des aéroports faisant partie du domaine des services, ils continueront à être fermés aux bateaux et aux avions chypriotes. Une interprétation turque du Protocole - et une limitation de sa portée - que personne jusqu'ici n'a sérieusement contesté.
Rendez-vous est pris pour le mercredi 7 septembre, prochaine réunion des représentants permanents. Retour donc à la case départ, c'est-à-dire au COREPER, comme le voulaient depuis le début les Britanniques. Cela n'empêche pas Athènes d'être satisfaite : "le texte d'hier demande certains changements afin de correspondre plus fidèlement à l'esprit en général et au dénominateur commun des positions présentées par la Grèce et Chypre, mais également par d'autres ministres", a indiqué M. Molyviatis, avant d'ajouter que "nos principaux objectifs, je dois dire, figurent dans la 2e proposition de la présidence".
Quant à Nicosie, elle se réjouit du soutien et des bonnes paroles entendues pour sa cause chez les partenaires européens. Le ministre chypriote des Affaires étrangères, Giorgos Iakkovou, a expliqué que "d'abord, nous avons un texte qui ne ressemble en rien avec la première version, donc c'est une amélioration sensible de la première tentative britannique ; et, deuxièmement, il y a eu une grande discussion au Conseil des ministre où les positions chypriotes ont rencontré un large écho".
"Finalement, il n'y avait personne qui était en désaccord avec les positions chypriotes", estime le ministre chypriote, qui ne trouve que "deux ou trois délégations qui on simplement souligné l'importance en général de la Turquie dans l'avenir de l'Union. Mais pour la plupart, ils étaient d'accord avec les thèses chypriotes, et en général, et en particulier". A se demander, pourquoi alors tant de tergiversations !
i-GR/ANA/CNA