Succès incontestable dimanche soir à la Grande Salle de la Mutualité à Paris pour Glykeria, la nouvelle diva du laïko et du rebetiko, la musique populaire grecque. Le centre de Paris a vibré à la grecque comme jamais auparavant, et devant ce public chaleureux, la jeune chanteuse grecque qui montait pour la première fois sur une scène française s'est sentie aussitôt à l'aise donnant le meilleur d'elle-même avec une générosité exceptionnelle.
Et pourtant, pour les organisateurs de Phonie-Graphie, une association pour la promotion du grec moderne qui fêtait ses 10 ans de présence dans la capitale française, le pari n'était pas gagné d'avance. Certes, le tout grec communautaire de Paris était là : l'Ambassadeur de Grèce en France M. Karaïtidis, le Consul général M. Pazios, le président de la Communauté M. Tsapis, et bien d'autres éponymes. Mais qui parierait que Glykeria remplirait les 2000 places de la Mutualité ? A quelques jours du concert les doutes commençaient à gagner même les organisateurs. Petit signe encourageant, à la Boutique iNFO-GRECE, où on pouvait se procurer les billets via Internet, et malgré les difficultés techniques du site ces derniers temps, on enregistrait un record de ventes pour un concert grec organisé à Paris. Le public connaissait donc la... chanson.
Il est 17h55 et à l'approche de l'angle de la rue Monge et de la rue Saint Victor, nous observons un petit attroupement d'une cinquantaine de personnes. On hâte alors le pas en se disant que le public est déjà rentré et le concert n'allait pas tarder à commencer. En fait, ce n'étaient que les fidèles sortant des vêpres de la petite église de Saint Nicolas du Chardonnet. On n'avait pas encore vu la file d'attente qui s'allongeait encore sur une centaine de mètres devant la Maison de la Mutualité avoisinante. C'est finalement avec une demi-heure de retard que Glykeria montera sur scène !
Seuls les lecteurs d'iNFO-GRECE, grâce à l'interview que la chanteuse grecque avait accordé à Athanassios Evanghelou un mois auparavant à Athènes, savaient que non seulement le concert de la Mutualité était son premier en France, mais que c'était aussi son premier voyage à Paris ! Alors lorsque Glykeria veut rendre hommage à un vagabond Grec, que la France a adopté pour en faire son grand troubadour, en entonnant dans un français parfait "avec ma gueule de métèque" de Georges Moustaki, la salle est déjà débout. "Vous avez passé la journée à vous entraîner au français", nous la taquinons après le concert. "Pas du tout. J'avais de cours de français au Lycée. C'est loin maintenant, mais j'étais bonne en prononciation", nous répond-elle fière de son coup.
L'ensemble du concert est de la même veine. Glykeria se donne sans compter, une disponibilité qui établi immédiatement le courant avec le public : "Glykeria on t'aime", on entend ici et là du fond de la salle. Au programme une première partie avec hit-mix de classiques de Theodorakis et de Hatzidakis. Ce n'est pas ce que nous avons aimé le plus. Probablement sur les conseils des experts parisiens qui estimaient que pour chauffer la salle il fallait des succès connus. Mais nous voilà trente ans en arrière, nostalgie, nostalgie quand tu nous tiens... Glykeria s'exécute avec application, succès garanti mais convenu. Parce que la salle, hors mis les premiers rangs de têtes dégarnies, est pleine à craquer de jeunes. C'est l'autre surprise de la soirée. Une invitation aux experts-conseils à réviser leur appréciation du public. Parce que si Glykeria est inconnue chez les quinquagénaires, visiblement elle a des nombreux fans parmi les jeunes. Et ces jeunes s'impatientent de voir Glykeria dans son répertoire. Des Grecs, des Français, parfois les deux à la fois, qui honorent de la sorte la musique populaire grecque qu'autrement on croirait figée dans les icônes des années soixante. Vassilis Fotopoulos, guitariste du groupe, n'a que faire de ces susceptibilités, lorsque il chante trois morceaux au début de la deuxième partie. Direct, voix sûre, il prend le pouls de la salle et donne le tempo avant le retour de Glykeria. Ces jeunes, vibrant de chœur avec la diva, rendent toute la dimension à ce qui la musique populaire grecque a de meilleur aujourd'hui. "Ca y est", lâche soulagé Stelios Fotiadis, son mari et directeur d'Eros Music, première maison discographique indépendante en Grèce. En ancien étudiant à Paris, il est l'accompagnateur obligé pour la première sortie de Glykeria en France.
Avec maestria Glykeria établi les liens entre le entehno, la musique savante composée, le rebetiko immortalisé par Stavros Xarhakos et le laïko des tavernes, quand elle entreprend "kaneis edo den tragouda/personne ne chante ici" de Papazoglou. Sa voix se libère. Chaude, puissante, tantôt grave, tantôt festive, authentiquement grecque, couleur anatolite... La salle est en transe, des danses s'improvisent dans les allées. Et Glykeria aux anges, elle a réussi son passage à Paris qui n'a plus rien d'un examen : elle est dans son élément, elle est avec le public auquel elle se donne sans compter. Au point que, quand un vieux monsieur, poussé par le chagrin de l'émigration et le mal du pays demande à Glykeria de chanter "Min lysmonate ti hora mou/N'oubliez pas mon pays" issu de Axion Esti de Theodorakis, Glykeria l'interprète à capella, priant le public de l'aider en l'accompagnant "parce que ce n'est pas de mon répertoire". Mais le public l'écoute religieusement, en silence, pour laisser à la fin éclater sa joie dans un tonnerre d'applaudissements ; joie d'avoir passé une soirée qui restera dans les anales parisiennes.
Seul regret, qu'une fille pareille ne soit pas couverte de fleurs ! Un seul bouquet offert à la fin du concert, venu des organisateurs. Misère ! Probablement que diplomates, businessmen et autres sponsors de la soirée estimaient qu'ils avaient déjà assez donné. Peu importe, ils ont permis au concert d'avoir lieu et à Nikos Graikos de Phonie-Graphie de prendre le risque de cette organisation ; une organisation menée de main de maître par Nikos Moraïtis que, lui, n'est pas à son premier essai à Paris. On lui doit notamment les concerts de Notis Mavroudis, de Maria Farantouri et de Savina Yannatou ces deux dernières années. Le public leur en est redevable, à tous ceux, organisateurs ou sponsors, qui ont contribué à la réussite de la soirée. Au passage, Bonne Anniversaire à Phonie-Graphie, qui dans un intermède du concert a soufflé ses dix bougies. Chaque année cette association initie des centaines de parisiens au grec moderne tout en proposant quelques conférences éclectiques sur la culture grecque. Et merci bien sûr à Glykeria qui s'est envolée lundi matin pour Athènes pour commencer dès mardi les répétitions pour la saison hivernale à Sfaintona (sur la Leoforos Alexandras, à Athènes). "Vous reviendrez à Paris ?" "Avec grand plaisir, si on m'invite encore. Mais quoi qu'il en soit je pars ravie de l'accueil du public parisien. Je ne m'y attendais pas à ce point. Il faut organiser des soirées comme cela, au moins une fois par an, pour permettre aux gens d'écouter de la musique grecque et de la sentir en vrai !"
i-GR/AE