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Démodocos ou la rythmique du grec ancien au théâtre

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Les Grecs ont inventé un théâtre susceptible d'être toujours actualisé. Le devoir de l'adaptateur est de mettre la comédie au présent

Les Grenouilles sont nées au moment d'une crise à Athènes après la mort d'Euripide et de Sophocle, dix ans auparavant. Vers 405, il y a la nostalgie des bons vieux auteurs ; Dionysos va devoir se rendre aux enfers chercher des poètes du passé pour remplacer les pièces sans saveur qui se jouent à Athènes.

"Aujourd'hui, il faut aller aussi chercher les vieux poètes pour faire revivre le théâtre", nous dit Philippe Brunet, fondateur du théâtre Démodocos. Allons donc pour des Grenouilles qui chantent quoi ? du Samuel Beckett. Mais, sur l'autre bord du fleuve Styx, on chante toujours en grec ancien.

"On a transposé les acteurs politiques à ceux de notre actualité", continue Philippe Brunet. "Le devoir de l'adaptateur est de mettre la comédie au présent". Pas étonnant alors d'entendre Pluton interpeller l'actuel Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Les Grenouilles, que Démodocos est en train de répéter, est créée avec des costumes contemporains dans une traduction nouvelle de Sylvie Brunet, mélangeant du grec ancien, du grec moderne et du français dans un souci constant de respect du rythme des vers anciens. Car la métrique grecque est la spécialité du créateur de Démodocos.

Philippe Brunet

"Nous n'utilisons pas la prononciation érasmienne, fausse et mal vécue des Grecs. C'était une adaptation pour enseigner le grec aux Français et aux Anglais. On connaît aujourd'hui pas mal de choses sur la phonétique qui nous permettent de corriger les déformations introduites par Erasme. On sait mieux interpréter les diphtongues, les esprits, les accents, les chanter en ascendant ou en descendant; moi ce qui m'intéresse, c'est la musicalité de cette langue et c'est la-dessus que je travaille", nous explique Philippe.

Démodocos existe depuis 1995. En 1997, ils montent Orestie, puis en 2001 ils créent à Tours les Perses, joués aussi l'année dernière en Avignon dans la partie off, pendant le célèbre festival. "Les Grenouilles sont en quelque sorte la synthèse de 9 ans d'activité", dit Philippe. Car l'idée d'avoir une troupe qui "joue en grec ancien" est aussi… ancienne que le rapport de Philippe Brunet avec les lettres grecques.

Aujourd'hui, enseignant du grec ancien à l'Université de Rouen, il est passé auparavant par l'Université de Tours où il a formé une première troupe. Les graines semées à Tours ont donné lieu au 1er Festival de Théâtre Antique en V.O., qui vient d'avoir lieu la semaine du 28 avril au 3 mai 2003. Organisé par Bastien Gérard, autre membre de Démodocos, le Festival donne à voir et à entendre sur six jours "la richesse de la culture antique, grecque et latine", avec une exposition autour d’Eric Pide, un banquet romain, la projection du dernier film des ethnologues Jean Rouch et Bernard Surugue le rêve plus fort que la mort, des concerts variés et surtout les représentations de trois spectacles en grec ancien et en français (les Bacchantes, les Perses et les Grenouilles).

Nous sommes pour l'instant dans les sous-sols d'une église à l'extrémité du quartier chinois de Paris. Spécialité française, l'église n'a que le nom et la façade pour elle, pour le reste, il s'agit d'une fourmilière associative, autre spécialité française où dès que cinq personnes se réunissent pour une partie de pétanque, ils pensent d'abord à créer une association. Enfin, pas plus étonnant que d'entendre du grec ancien au cœur de ce quartier asiatique, lui-même formant un des plus gros arrondissements de Paris. Puisque finalement, ce sera notre oreille qui nous servira de guide dans le dédale de salles du complexe associatif. Ce dimanche après-midi, jour de la Pâque chez les Grecs, c'est la répétition des chœurs. On s'attend à trouver quelques têtes d'étudiants au teint pâle, des rats de bibliothèque en quelque sorte. Surprise, nous tombons devant un joyeux groupe d'enfants qui porte fièrement sa grenouille colorée sur la coiffe et se presse autour des acteurs cachés derrière leurs masques.

"L'étudiant reste assis. Il ne chante pas, il ne parle pas", nous explique Philippe. "Beaucoup de comédiens du chœur sont des gens qui n'ont jamais parlé, ni appris le grec ancien, ou qu'ils l'apprennent en amateurs". On constate facilement qu'ils prennent d'autant plus de plaisir à le chanter que pour la plupart il s'agit d'une véritable découverte… d'un trésor. Un peu comme Véronique Faux : "J'apprenais seule le grec ancien, en relation avec mon activité professionnelle, lorsque j'ai rencontré Philippe Brunet dont j'ai alors suivi les cours. En 1997, j'ai assisté à l'une des représentations d'Agamemnon et ce fut le coup de foudre pour cette langue si belle, un choc si violent que j'en ai été émue aux larmes". Voilà comment après quelques années passées dans le choeur à scander et à chanter, on devient présidente de Démodocos.

"Les Grecs ont inventé un théâtre susceptible d'être toujours actualisé", poursuit Philippe. "J'utilise les masques pour la première fois. J'ai été surpris de constater leur force expressive. Un des problèmes du théâtre grec aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas de travail de cœur, qui est souvent réduit au seul rôle du coryphée. Or sans cette présence, on ne peut plus saisir la musicalité de la langue. Car faire exister le théâtre grec, c'est aussi faire entendre cette musicalité et plus générallement c'est faire entendre le grec, cette langue parlée dès avant Homère".

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Philippe Brunet entre la présidente et le vice-président de Démodocos

Et pourtant, c'est un travail qui reste quasiment inconnu des Grecs de France et encore plus ignoré en Grèce. "Il y a quelques Grecs qui collaborent, qui nous aident", corrige Philippe. Anastassios Koutsoukos, ancien étudiant en France et actuellement enseignant de Lettres à Chalcis, assure le lien avec la Grèce en tant que vice-président de la troupe. "On a pu aller quelques fois en Grèce. En 1996, nous avons joué à Rethymnon et à Chania, puis grâce au soutien de l'Ambassade de France en Grèce, et de l'Unesco, notamment le président de la section du Pirée Ioannis Maronitis, nous étions le 29 novembre dernier au Pirée. La Compagnie grecque du Gaz naturel d'Athènes avait aussi soutenu notre pièce. De plus, nous avions eu l'honneur que l'attaché culturel de l'Ambassade de France en Grèce, Mme Fanny Aubert Malaurie représentant l'Ambassadeur Jean Maurice Ripert, introduise la manifestation à laquelle nous participions. Si nous arrivons à réunir les moyens nécessaires, nous allons essayer d'y retourner le 15 juin prochain à l'occasion du Festival International des Cultures du Monde, organisé par la section piréote de l'Unesco", conclue Philippe.

Il est certain que ce type d'échanges pourrait se multiplier d'autant qu'en France un certain nombre de manifestations essaient de maintenir vivant le théâtre antique, lui donnant une scène pour rencontrer le public à l'exemple de Tours, que nous avons déjà mentionné, où plusieurs troupes d'Europe se réunissent pour présenter leur travail. Et ce, à un moment où l'enseignement du grec en France se trouve dans une pente dangereusement descendante.

INFO-GRECE/AE
Paris

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