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Marco Gastine filme la Marseille des Grecs

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Soumis par iNFO-GRECE le
Prix du documéntaire à Thessalonique

Comment les parents ou les grands-parents sont arrivés à Marseille. Comment ils ont ressenti cet exil. Comment ils ont essayé de s’intégrer. Comment la génération d’après a rejeté son identité grecque pour ne pas être la proie de la xénophobie des Français. Pourquoi ils n’ont pas transmis cette identité à leurs enfants.

Marco Gastine aime raconter de belles histoires. Dans son dernier film Marseille, profil grec, ce cinéaste grec d’origine française s’est penché sur la double identité des Grecs de Marseille. Descendants d’immigrés du 19e et du début du 20e siècle, ces Grecs de la deuxième et de la troisième générations sont écartelés entre deux cultures, deux identités, deux appartenances, françaises et grecques. A travers l’exil, l’oubli, le retour, Marco Gastine filme cette recherche des origines comme une épopée homérique. Son film vient de remporter le prix du meilleur documentaire au festival de Thessalonique.

A l’occasion de la sortie de son film en salles, le 17 décembre, iNFO-GRECE a rencontré Marco Gastine pour l’interroger sur l’identité grecque.

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Marc Gastine, Français et cinéaste grec

Marco, comment tu as eu l’idée de ce film ?

L’idée m’est venue tout à fait par hasard. Je voulais faire un film sur Marseille à travers le cinéma, sur le modèle de mon précédent film Athènes à la recherche de la cité perdue. Je me rends donc à Marseille chercher des producteurs. En vain. L’idée séduisait mais on m’a dit de l’oublier en France : les droits de reproduction des extraits de film coûteraient trop chers. N’ayant plus rien à faire, je vais voir les amis. Notamment je voulais rencontrer la mère d’une amie française qui était d’origine grecque. Elle vivait à Port Saint-Louis du Rhône, une petite ville industrielle à l’embouchure du Rhône, entre les flamands roses et les raffineries. C’est ainsi qu’au bout du monde, je découvre une communauté grecque méconnue. Les paysages industriels et lunaires des salines m’on fasciné. Ce n’est pas la Méditerranée, mais des corons du nord planté dans la Camargue. Et de voir des Grecs dans ces corons, tout était là. Comme dans un flash, j’avais le thème du film : ces gens dans un endroit étranger. Sans le savoir, mon amie Yétou allait devenir l’héroïne de ce nouveau film.

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Le port de Marseille

Le film retrace l’histoire de la diaspora grecque de la région marseillaise. Raconte-nous comment ces Grecs sont arrivés ici ?

Il y a en fait deux vagues d’immigration, l’une bourgeoise, l’autre prolétaire. Les Grecs qui arrivent à Marseille au 19e siècle sont de riches négociants. Ils viennent de Chio ou de Constantinople et sont spécialisés dans le commerce du blé russe ou dans le commerce internationale. Ils ouvrent des succursales partout en Méditerranée, comme à Livourne, Trieste ou Marseille. Lorsque le vent tourne avec la Turquie, beaucoup s’installent à Marseille. Ces familles qui appartiennent à la haute bourgeoisie marseillaise sont un puissant facteur de développement économique de la ville. La communauté grecque compte alors 800 personnes.
La deuxième vague d’immigration est beaucoup plus massive. Elle commence pendant la Première Guerre mondiale, lorsque l’industrie française a besoin de main d’œuvre. Tous les hommes étant au front, on va chercher des immigrés. En relation avec tout l’Orient méditerranéen, Marseille se tourne naturellement vers le Dodécanèse. Ces îles sont complètement désorganisées par la perte de leur arrière pays, l’Asie mineure. Pour fuir la misère, les Grecs émigrent déjà en Amérique ou en Australie. A partir de 1916, des bateaux entiers les emmènent directement à Port-de-Bouc, les Salins de Giraud et Port Saint-Louis du Rhône. Là ils sont embauchés comme dockers ou ouvriers dans l’industrie chimique ou de l’armement. Ces immigrés pensent venir quelques mois. Ils restent en fait toute leur vie et font venir leur famille.

Qu’est ce qui t’intéressait dans cette communauté grecque ?

Le côté ethnographique n’était pas passionnant. Toutes les fêtes de famille, les fêtes religieuses, les coutumes sont les mêmes que partout ailleurs. Elles sont même un peu surfaites, parce qu’elles ont été redécouvertes par la troisième génération à travers le phénomène Zorba.
En revanche, ce qui était passionnant, c’est l’histoire personnelle des gens. Comment les pères ou les grands-parents sont arrivés à Marseille. Comment ils ont ressenti cet exil. Comment ils ont essayé de s’intégrer. Comment la génération d’après a rejeté son identité grecque pour ne pas être la proie de la xénophobie des Français. Pourquoi ils n’ont pas transmis cette identité à leurs enfants. Enfin, comment la troisième génération a ce parcours identitaire pour retrouver ses origines. Ce sont des histoires très belles. Ces histoires de gens qui sans connaître leur pays d’origine sauf à travers leur grands-parents décident de retourner dans un endroit d’où ils ne sont jamais partis puisque leur terre natale est la France. On leur a transmis la nostalgie d’une patrie perdue, qu’ils ont construite comme un paradis perdu. Il y a une espèce d’épopée homérique à travers les générations. Pour tous ces gens, cette recherche des origines est essentielle, voire extrémiste parfois quand on voit la manière dont certaines personnes sont impliquées.

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Scène de Marseille, profil grec

Pour que tes personnages te confient leur histoire, tu as dû développer des relations particulières avec eux, non ?

De 1999 à 2003, j’ai fait un grand travail d’enquête, avec un simple bloc-notes et un magnétophone. J’interviewais les gens sur leur rapport au fait d’avoir une origine grecque. Au début je cherchais les gens, puis de fil en aiguilles, les gens venaient à moi pour me raconter leur histoire. J’étais devenu une sorte de confesseur, de prêtre. On me confiait des secrets. C’était un rôle très lourd à porter.
Ensuite j’ai établi un scénario. J’ai choisi une douzaine de personnages qui devaient être exemplaires et raconter l’histoire de tous les autres. Comme je connaissais très bien leur histoire, je savais comment les filmer. Mais il y a eu bien sûr des imprévus ou des personnages qui sont rentrés dans le film sans être invités.

Dans ton film, le retour au pays est vécu comme de véritables mini Odyssées…

Le retour au pays est très violent. C’est pour ça que c’est universel. Comme disait Proust, il n’y a pas de paradis, il n’y a que des paradis perdus. Les Grecs de Marseille ont fait de leurs îles d’origine des paradis perdus. S’ils retournent, ils ne peuvent être que déçus, même si dans un premier temps ils sont fascinés. Après, s’ils ont le courage d’affronter la réalité, ils découvrent un autre pays, un pays moderne. Et ils ne l’acceptent pas forcément parce qu’ils gardent le souvenir enjolivé de la Grèce du début du 20e siècle. Il faut aimer la Grèce d’aujourd’hui.

Est-ce la leçon à tirer de ton film ?

S’il y a une quête identitaire des gens, c’est parce qu’il y a un manque. Quand l’histoire familiale n’est pas transmise, quand il n’y a pas de contact avec le pays d’origine, cela crée des frustrations et des fantasmes. Chez les Grecs de la diaspora, il faut que ce contact se fasse avec la Grèce d’aujourd’hui et pas avec un folklore de conserve. La Grèce n'est pas seulement la danse, le sirtaki. La Grèce, c’est aussi des écrivains, des cinéastes, des scientifiques, la mode... Il faut que le contact soit toujours réactualisé. Heureusement aujourd’hui, la télévision satellite y contribue.
La leçon politique à retenir est que le contact avec le pays d’origine est nécessaire. En France, n’empêchez pas les jeunes arabes de faire le ramadan, de connaître l’histoire de leur pays, d’aller dans les mosquées s’ils le souhaitent. Ils s’intégreront beaucoup mieux. C’est comme en Grèce avec les Albanais : n’en faites pas des orthodoxes pour qu’ils s’intègrent ! Sinon, leurs enfants leurs demanderont un jour pourquoi ils sont devenus orthodoxes et leurs enfants deviendront alors peut-être anti-Grecs.

En faisant ce film, tu voulais donc clairement faire passer un message ?

Le racisme ou l’immigration ne sont pas du tout les thèmes principaux du film. Mais je n’ai pas peur de dire que mon film est didactique. En Grèce, il y a actuellement un phénomène nouveau de xénophobie pour ne pas dire de racisme. Il s’explique parce que le pays est passé de 0,1 % d’immigrés en 1988 à 10 – 12 % de la population aujourd’hui. Mon film rappelle aux Grecs qu’ils étaient eux-mêmes un jour des immigrés. A Marseille, on les traitait de sales Grecs et de sale race. Ils se sont battus et ils se sont intégrés. Aujourd’hui, il se passe exactement la même chose à Athènes avec les Albanais ou des Pakistanais. Que ce soit en Grèce ou en France, il ne faut pas considérer l’immigration comme un « problème ».

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Finalement dans l’identité grecque, qu’est ce qui perdure à travers les générations ?

L’identité est une construction individuelle. Dans une même famille, chaque enfant se construit une identité différente. Dans le film, prenons l’exemple du prêtre qui s’est installé à Symi. Il est moitié français, moitié grec. Comme il le dit lui-même, il a « tué le français en lui ». Sa famille le considère comme « un martien ». Je n’aime pas le terme « racines », je préfère parler d’origines, parce qu’on arrive tous de quelque part.
Donc qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui se transmet dans ces origines ? Eh bien, ce n’est pas ce qu’on attend. Clairement, la langue n’est pas transmise, d’autant plus qu’en France on faisait la guerre aux langues locales, alors les langues étrangères… La religion s’est un peu transmise parce que les gens y restent attachés pour le baptême, le mariage. Mais elle se perd dès qu’intervient un mariage mixte. Bizarrement la cuisine reste un peu. Certains plats se transmettent de mère en fille, comme les keftédès ou la koulouria pour Pâques. Le rapport à la mer s’est transmis, parce que ce sont des gens de Kalymnos. L’exemple du Marseillais qui bat le record mondial de plongée est fabuleux. Depuis des générations dans sa famille, ils sont plongeurs d’éponges de père en fils. Et lui répare des plateformes pétrolières à 400 m de profondeur. Il a un corps de poisson ! A croire que c’est dans les gènes. Et puis en dernière instance, ce qui s’est transmis, c’est le sens de la famille. C’est la clé du maintien d’une conscience grecque à travers les générations..

Tu as le parcours inverse de tes personnages. Il y a 26 ans, tu quittais la France pour t’installer en Grèce. Aujourd’hui tu te définis comme un Grec d’origine française. Comment devient-on grec ?

J’avais des origines grecques par ma mère mais que je ne les avais jamais cultivées. Par le hasard des choses je suis venu en Grèce pour travailler deux mois et demi. Finalement je suis là depuis plus de 25 ans. C’est vrai que, comme le dit un personnage du film, « redevenir grec c’est une lutte ». Mais dès mon arrivée en Grèce, je me suis senti bien, comme si j’avais vécu ici dans une autre vie. C’est comme une histoire d’amour, tu as la séduction, tu as la passion et puis après il faut ressentir le véritable amour si tu veux rester. Au bout d’un an ou deux, il y a un passage critique. Est-ce que tu vas t’intégrer, est-ce que tu vas travailler ? Et là, tu découvres tous les problèmes. C’est un pays difficile, surtout à l’époque, au début des années 80. Il fallait en permanence se battre contre l’administration. Travailler avec les Grecs était difficile. Les rapports pouvaient être durs. Mais si tu aimes vraiment ce pays, tu dépasses ces problèmes. Quand tu choisis ton pays, tu le choisis en fonction de toi. Les Grecs sont particulièrement chaleureux dans les rapports individuels. En Grèce, on peut se laisser aller, on peut pleurer en voyant un film. On ne cache pas ses sentiments. La Grèce est un pays de sentimentaux. Alors comme je suis sentimental, ça me convient.

Propos recueillis par
Maud Vidal-Naquet
Athènes, décembre 2004

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