[i] [center][b][u]La soumission de Gardiki.[/u][/b][/center]
Le massacre de Gardiki est peut-être le plus horrible des crimes d'Ali pacha, celui dont il a été parlé le plus est avec l'horreur la plus unanime. On a eu plusieurs récits ; mais celui qu'on a donné M. Pouqueville, dans le III° volume de son voyage, est, à ma connaissance, le plus complet et le plus intéressant de tous. Je devrais le copier en entier, si j'avais besoin de tout dire sur cet effroyable chapitre de la vie d'Ali ; mais ce sera bien assez d'en retracer sommairement les circonstances principales.
Gardiki est, ou, pour mieux dire, fut une petite ville de l'Albanie, sur les frontières de l'Épire. Vers l'année 1768, ou peut-être un peu plus tard, cette ville fut entière avec Ali de Tébélen, lequel n'était encore alors qu'un petit bey aventurier, subsistant de menus brigandages. Dans une des rencontres de cette guerre, il fut battu et fait prisonnier, avec Khamko, sa mère, alors veuve, et avec Khaïnitsa sa sœur. La première était abhorrée, dans toute la basse Albanie, pour ses intrigues et pour ses vices, pour son ambition est pour l'ardeur avec laquelle elle excitait Ali au brigandage et au crime. Khaïnitsa était trop jeune encore pour avoir l'occasion de se faire abhorrer personnellement ; mais il fut enveloppé dans la haine que l'on portait à sa mère ; et toutes deux furent indignement outragées par les chefs gardikiotes.
Au bout de quelque temps, les trois prisonniers furent relâchés, moyennant une forte rançon, et Khamko fit prêter alors à son fils le serment d'exterminer un jour les Gardikiotes, en punition des outrages qu'elle et sa fille avaient reçus de quelques-uns.
À l'époque où Ali prêtait ce serment, il avait beaucoup à faire pour acquérir le pouvoir de le tenir ;et il ne l'accomplit pas aussitôt qu'il l'aurait pu. En 1811, Gardiki était encore florissante et libre, et même, avec Argyrocastron, la seule ville libre qui fut encore dans toute l'étendue de sa domination. Il commença par cette dernière ville, qui avait passé jusque-là pour imprenable, et se rendit presque sans résistance. Gardiki, ayant plus à craindre, se défendit mieux ; est réduit à capituler, capitula du moins à des conditions honorables. Les plus importantes étaient, 1° que les Gardikiotes seraient traités par le vizir comme ayant toujours été ses amis, et que nul d'entre eux ne serait ni recherché ni molesté pour des faits antérieurs à la capitulation ; 2°que soixante quinze beys les plus distingués du pays, et entre autre Moustapha pacha, Demir Dost, et Sali Goka, se rendraient comme otages à Iannina,où ils seraient traités avec tous les égards dus à leur rang.
Peu de jours après leur arrivée à Iannina, ses soixante et quinze otages furent jetés dans une prison pour y être étranglés au bout de quelques autres jours. Ali prit de nouveau, avec son armée, la route de Gardiki, et fit halte dans un de ses châteaux nommé Khendria, situé au sommet d'un rocher, peu loin et à la vue de Gardiki. A cette nouvelle apparition du pacha, la surprise et la consternation se répandirent parmi les Gardikiotes ; mais un héraut chargé de les rassurer ne tarda pas à apparaître,pour leur annoncer que, si le vizir revenait si vite auprès d'eux, c'était par l'extrême empressement qu'il avait assuré leur bonheur, et pour inviter toute la population mâle de Gardiki, depuis l'âge de dix ans, jusqu'à la dernière vieillesse, à se rendre sur-le-champ auprès du pacha, afin de recevoir des témoignages de son affection.
Les Gardikiotes hésitèrent à obéir : leurs alarmes n'étaient point dissipées par ce bénin message ; il y avait dans toutes ses démonstrations de tendresse de la part d'Ali, quelque chose d'étrange à quoi ils ne pouvaient croire. Mais s'ils avaient déjà fléchi : en livrant pour otage les hommes les plus puissants du pays, ils étaient comme livrés à eux-mêmes ; et leurs courages n'étaient plus montés à l'idée de la résistance. Ils se décidèrent donc à accepter l'invitation du pacha,et prirent le chemin de Khendria avec de tristes pressentiments, se retournant plus d'une fois pour regarder les murs de la ville natale, il y demeure où il venait de laisser leurs femmes et leurs filles. Toute la population mâle de Gardiki était là, au nombre de six cent soixante-dix têtes. Sur ce nombre, il n'y en avait peut-être pas cent né à l'époque où la mer est la sûre d'elle et avait été outragé, et probablement pas un seul de ce qui avait commis l'outrage.
Ali reçut les Gardikiotes de l'air tendre et ravi d'un père qui se retrouvait au milieu de ses enfants, après une longue absence. Quand il les eût bien rassurés, bien caressés, il déplia d'aller attendre dans l'enceinte d'un caravansérail voisin, où il leur dit qu'il allait les suivre, et où il pourrait s'entretenir plus commodément avec eux de ce qu'il lui restait encore à leur dire. Les Gardikiotes se rendent au caravansérail ;ils y entrent ; Ali les a suivis à la tête de ses gardes, et vient se poster à l'unique entrée de l'enceinte. Là, son projet et sa rage éclatent : il donne l'ordre à ses soldats de tirer sur les Gardikiotes, et de tirer jusqu'à ce qu'il n'en reste pas un avec un souffle de vie. Les soldats refusent d'obéir ; mais le massacre n'en aura pas moins lieu. L'infâme Athanase Vaïas, le chef des valets du palais, s'offre pour l'exécuter, avec ceux auxquels il commande. Son offre est acceptée, et aussitôt la porte et les murs du caravansérail se garnissent d'une hideuse valetaille de sérail qui, le fusil à la main, tire de tous côtés sur les Gardikiotes, que rien ne couvre, que rien n'abrite dans l'enceinte vide et nue où ils sont enfermés, et le feu ne cesse qu'au moment où il n'y a plus ni bruit ni mouvement dans cette enceinte.
Pendant que cela se passait au caravansérail de Khendria, d'autres sicaires entrés à Gardiki les armes à la main,en arrachait les femmes, après toutes sortes de violences et d'insultes, et les traînaient devant Khaïnitsa qui ….... mais je ne veux point achever le détail de ces horreurs.
Je n'ai eu de la chanson suivante qu'une seule copie, qui n'est peut-être pas complète. Il me semble qu'il doit y manquer, à la fin, un ou deux vers. Elle ne comprend pas le massacre de Gardiki, mais seulement la reddition et la capitulation qui en furent le prélude. Le poète s'est arrêté à la partie la moins pathétique et à l'intérêt purement local et politique de son sujet. Peut-être la pièce fut-elle composée dans l'intervalle de la capitulation au massacre. Du reste, la forte impression de surprise et de tristesse que causa en Albanie, et même en Épire, la soumission des deux seules villes libres que l'on eût pu croire jusque-là oubliées par Ali pacha, explique suffisamment l'existence de la chanson, et même le ton exalté et passionné du prologue. Il existe, sur le massacre de Gardiki, une ou deux autres pièces fort touchantes, que je n'ai pu me procurer.
[center][b][u]Υποταγή του Γαρδικιού[/u][/b]
Κούκοι, να μη λαλήσετε, πουλιά να βουβαθήτε !
Και σεις, καϊμέν΄Αρβανιτιά, όλοι να πικραθήτε !
Το Κάστρον επροσκύνησε, κ΄αυτή η Χουμελίτσα:
Γαρδίκι δεν προσκύνησε, δεν θε να προσκυνηση:
Μόνον γυρεύει πόλεμον, θέλει να πολεμήση.
Κ΄Αλή πασας σαν τ΄άκουσε, πολύ του κακοφάνη:
Πιάνει και γράφει μπουϊουρδί με το δεξί το χέρι:
“Σ΄εσέν΄Ισούφη κεχαϊά, σ΄εσέν΄Ισούφ αράπη:
“Καθώς ιδής το γράμμα μου, κίδής το μπουϊουρδί μου,
“Θέλω Δεμίρην ζωντανόν, κ΄αυτόν και τα παιδιά του.
“Θέλω το Μουσταφά πασάν μ΄όλην την γενεάν του.” -
“Μετά χαράς, αφέντη μου, εγώ να σε τους φέρω.”[/center]
[center] [b][u]La soumission de Gardiki.[/u][/b]
Coucous, ne chantez plus; oiseaux, soyez muets;
pauvres Albanais, affligez-vous tous:
Argyrocastron s'est soumis, et Khoumelitsa de même,
mais Gardiki ne s'est point soumis, et ne veut point se soumettre:
il préfère la guerre; il aime mieux combattre.
Ali pacha, dès qu'il l'apprend, se courrouce fort;
il se met à écrire un boïourdi; (il l'écrit) de sa main droite:
« A toi Iousouph Kékhaïa, à toi, Iousouph Arabe:
dès que tu auras vu ma lettre, dès que tu auras vu mon boïourdi,
je veux Demir (Dost) vivant, lui et ses enfants;
et je veux Moustapha pacha, avec toute sa famille. »
« Avec plaisir, mon maître, (avec plaisir,) je (vais et) vous les mène … »[/center]
NB (Th. E.): το μπουϊουρδί, μπουγιουρντί, du turc buyrultu: ordre,injonction, sommation.[/i]