[i] Les deux princes ne furent pas plutôt en âge de régner qu'ils reléguèrent Œdipe au fond de son palais, et convinrent ensemble de tenir, chacun son tour, les rênes du gouvernement pendant une année entière. Étéocle monta le premier sur ce trône sous lequel l'abîme restait toujours ouvert, et refusa d'en descendre. Polynice se rendit auprès d'Adraste, roi d'Argos, qui lui donna sa fille en mariage, il lui promit de puissants secours.
Telle fut l'occasion de la première expédition où les Grecs montrèrent quelques connaissances de l'art militaire. Jusqu'alors on avait vu des troupes sans soldats inonder tout à coup un pays voisin, et se retirer après des hostilités et des cruautés passagères. Dans la guerre de Thèbes, on vit des projets concertés avec prudence, et suivies avec fermeté ; des peuples différents, renfermés dans un même camp, et soumis à la même autorité, opposant un courage égal aux rigueurs des saisons, aux lenteurs d'un siège, et au danger des combats journaliers.
Adraste partagea le commandement de l'armée avec Polynice, qu'il voulait établir sur le trône de Thèbes ; le brave Tydée, fils d'Oenée, roi d'Étolie ; l'impétueux Capanée ; le devin Amphiaraüs, Hippomédon, et Parthénopée. À la suite de ces guerriers, tous distingués par leur naissance et par leur valeur, parurent, dans un ordre inférieur de mérites et de dignité, les principaux habitants de Messénie, de l'Arcadie, et de l'Argolide.
L'armée, s'étant mis en marche, entra dans la forêt de Némée, où ses généraux instituèrent des jeux qu'on célèbre encore aujourd'hui avec la plus grande solennité. Après avoir passé l'isthme de Corinthe, elle se rendit en Béotie, et força les troupes d'Étéocle à se renfermer dans les murs de Thèbes.
Les Grecs ne connaissaient pas encore l'art de s'emparer d'une place défendue par une forte garnison. Tous les efforts des assiégeants se dirigeaient vers les portes ; toute l'espérance des assiégés consistait dans leurs fréquentes sorties ; les actions qu'elles occasionnaient avaient déjà fait périr beaucoup de monde de part et d'autre; déjà le vaillant Capanée venait d'être précipité du haut d'une échelle qu'il avait appliquée contre le mur, lorsqu'Étéocle et Polynice résolurent de terminer entre eux leurs différents. Le jour pris, le lieu fixé, les peuples en pleurs, les armées en silence, les deux princes fondirent l'un sur l'autre; et, après s'être percés de coups, ils rendirent les derniers soupirs sans pouvoir assouvir leur rage. On les porta sur le même bûcher ; et, dans la vue d'exprimer, par une image effrayante, les sentiments qui les avait animés pendant leur vie, on supposa que la flamme, pénétré de leur haine, s'était divisée pour ne pas confondre leurs cendres.
Créon, frère de Jocaste, fut chargé, pendant la minorité de Laodamas, fils d'Étéocle, de continuer une guerre qui devenait de jour en jour plus funeste aux assiégeants, et qui finit par une vigoureuse sortie que firent les Thébains. Le combat fut très meurtrier ; Tydée et la plupart des généraux argiens y périrent. Adraste, contraint de lever le siège, ne put honorer par des funérailles ceux qui étaient restés sur le champ de bataille ; il fallut que Thésée interposât son autorité pour obliger Créon à se soumettre au droit des gens qui commençait à s'introduire.
La victoire des Thébains ne fit que suspendre leur perte. Les chefs des Argiens avaient laissé des fils dignes de les venger. Dès que les temps furent arrivés, ces jeunes princes, connus sous le nom d'Épigones, c'est-à-dire Successeurs, et parmi lesquels on voyait Diomède, fils de Tydée, et Sthénélus, fils de Capanée, entrèrent, à la tête d'une armée formidable, sur les terres de leurs ennemis.
On en vint bientôt aux mains; et les Thébains, ayant perdu la bataille, abandonnèrent la ville, qui fut livrée au pillage. Thersander, fils et successeur de Polynice, fut tué quelques année après, en allant au siège de Troie. Après sa mort, deux princes de la même famille régnèrent à Thèbes ; mais le second fut tout à coup saisi d'une noire frénésie ; et les Thébains, persuadés que les Furies s'attacheraient au sang d'Oedipe tant qu'il en resterait une goutte sur la terre, mirent une autre famille sur le trône. Ils choisirent trois générations après, le gouvernement républicain, qui subsiste encore parmi eux.
Le repos dont jouit la Grèce après la seconde guerre de Thèbes ne pouvait être durable. Les chefs de cette expédition revenaient couverts de gloire ; les soldats, chargés du butin. Les uns et les autres se montraient avec cette fierté que donne la victoire ; et, racontant à leurs enfants, à leurs amis empressés autour d'eux, la suite de leurs travaux et de leurs exploits, ils ébranlaient puissamment les imaginations, et allumaient dans tous les cœurs la soif ardente des combats. Un événement subit développa ces impressions funestes.
Sur la côte de l'Asie, à l'opposite de la Grèce, vivait paisiblement un prince qui ne comptait que des souverains pour aïeux, et qui se trouvait à la tête d'une nombreuse famille, presque toute composée de jeunes héros : Priam régnait à Troie ; et son royaume, autant par l'opulence et par le courage des peuples soumis à ses lois que par ses liaisons avec les rois d'Assyrie, répandait en ce canton de l'Asie le même éclat que le royaume de Mycènes dans la Grèce.
La maison d'Argos, établie en cette dernière ville, reconnaissait pour chef Agamemnon, fils d'Atrée. Il avait joint à ses États ceux de Corinthe, de Sicyone, et de plusieurs villes voisines. Sa puissance, augmentée de celle de Ménélas, son frère, qui venait d'épouser Hélène, héritière du royaume de Sparte, lui donnait une grande influence sur cette partie de la Grèce qui de Pélops, son aïeul, a pris le nom de Péloponnèse.
Tantale, son bisaïeul, régna d'abord en Lydie ; et, contre les droits les plus sacrés, retint dans les fers un prince troyen nommé Ganymède. Plus récemment encore, Hercule, issu des rois d'Argos, avait détruit la ville de Troie, fait mourir Laomédon, et enlevé Hésione, sa fille.
Le souvenir de ces outrages, restés impunis, entretenait dans les maisons de Priam et d'Agamemnon une haine héréditaire implacable, aigrie le jour en jour par la rivalité de puissance, la plus terrible des passions meurtrières. Pâris, fils de Priam, fut destiné à faire éclore ces semences de division.
Pâris vint en Grèce, et se rendit à la cour de Ménélas, où la beauté d'Hélène fixait tous les regards. Aux avantages de la figure, le prince troyen réunissait le désir de plaire, et l'heureux concours des talents agréables. Ces qualités, animées par l'espoir du succès, firent une telle impression sur la reine de Sparte, qu'elle abandonna tout pour le suivre. Les Atrides voulurent en vain obtenir par la douceur une satisfaction proportionnée à l'offense ; Priam ne vit dans son fils que le réparateur des torts que sa maison et l'Asie entière avait éprouvés de la part des Grecs, il rejeta les voies de conciliation qu'on lui proposait. (à suivre). [/i]