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Vie d'Ali pacha, suite 10

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Renonçant alors à conquérir le pays des Souliotes, Ali entra de nouveau en négociation avec leurs chefs, et leur offrit une trêve : elle fut glorieuse pour les montagnards ; ils restèrent en possession du territoire conquis par eux jusqu'à Dervitziana. Le Pacha leur, rendit en outre les prisonniers qu'il avait faits par trahison, et paya une somme considérable pour la rançon de ses soldats captifs.

Ali, ayant échoué dans toutes ses tentatives, contre les Souliotes, s'arma de patience, vertu qu'il possédait au plus haut degré. Il fit des alliances avec les Beys voisins, et s'occupa d'anéantir les brigands qui dévastaient une grande partie du pays. Il s'appliqua surtout à amasser des trésors, qu'il regardait non-seulement comme le nerf de la guerre, mais comme le mobile de la puissance à laquelle. il aspirait ; aussi, les habitants de l'Albanie furent-ils accablés de taxes, et virent-ils diminuer successivement la quantité d'or et d'argent monnayé en circulation. Ces inconvénients furent en partie balancés par la sûreté des routes et par la protection accordée au commerce. L'un des traits caractéristiques du système politique d'Ali, fut aussi la tolérance religieuse. D'ailleurs il ne déployait point encore dans son entier cette sévérité de caractère dont il donna depuis tant de preuves par des actes d'une cruauté réfléchie. Il commençait aussi, vers cette époque, à s'occuper de fortifier et d'embellir Janina, qui, située sur les bords d'un beau lac, se déploie sur le penchant et à la base des coteaux qui la dominent à l'occident. On la découvre en entier une lieue avant d'y arriver, par la route d'Arta, avec ses palais, ses mosquées, et sa presqu'île, qui s'avance au milieu du lac. Un vieux château, un nouveau sérail, quatorze mosquées, sept églises, un hôpital et un collège, tels étaient les édifices publics de la capitale de la moderne Épire, résidence d'Ali Pacha. Sa population, mélangée de Juifs, de Turcs, d'Albanais, de Grecs et d'Arméniens, s'élevait à plus de quarante mille âmes. Après. Constantinople et Salonique, c'était la plus, importante et la plus riche ville de la Turquie d'Europe; centre de la puissance militaire d'Ali Pacha, il y avait ses gardes, ses officiers, ses pages, ses écuyers, ses secrétaires, et un conseil ou divan.

Attentif aux événements politiques, Ali sut profiler, pour s'agrandir, de la révolte de Cara-Mustapha, Visir de Scodra ou Scutari, dans la Haute-Albanie, contre lequel il reçut l'ordre de marcher. Cara-Mustapha ayant été déclaré « fermanli », c'est-à-dire mis au banc de l'empire, Ali accourut avec tous les autres Pachas voisins, pour combattre le proscrit. Il eut l'adresse de se charger de la seule attaque qui pût réussir, s'empara d'abord de la forte position de Geortcha, et prit de force Ochrida, dont il fit égorger les habitants. Une fois en possession d'Ochrida, il engagea dans son parti les Beys voisins, maîtres de la Macédoine occidentale, naturellement jaloux de l'autorité de la Porte. La province d'Ochrida, située dans les montagnes entre la Macédoine et la Moyenne-Albanie, renferme tous les défilés par lesquels on puisse pénétrer dans le pachalick de Bérat, en venant de Constantinople. Ainsi, grâces à ses combinaisons, Ali avait presque coupé le chemin entre Constantinople et la Haute-Albanie, débordant par-là, au nord, les possessions d'Ibrahim, Pacha de Bérat, et pouvant désormais l'inquiéter de toutes parts, excepté du côté de la mer. Ali s'était donné en même temps une excellente position militaire, la forte position de Geortcha, couvrant du côté du nord une grande partie de ses domaines, tandis qu'à l'est il était maître de la chaîne entière du Pinde, qui sépare l'Épire de la Thessalie.

Toujours dirigé vers le même but, Ali empiétait et se fortifiait sans que les Souliotes y prêtassent la moindre attention. Ils se bornèrent à commettre des dégâts et des brigandages qui déshonorèrent leur cause, au lieu de saisir le moment des opérations du Pacha dans la Haute-Albanie, pour attaquer Janina, dont il avait confié la défense à ses deux fils, Mouctar et Véli, tous deux jeunes et inexpérimentés. De leur côté, les Beys, presque toujours divisés et en guerre, se nuisaient entre eux. Tel était l'état anarchique de l'Épire, que les peuples en général y appelaient par leurs vœux, et y favorisaient par leur inertie, les envahissements successifs de leur Pacha , préférant être esclave d'un seul, que de servir sous des maîtres capricieux, dissolus et hautains.

A la guerre contre le Visir de Scodra, dont Ali seul sut tirer avantage, et que la Porte maintint dans ses honneurs, n'ayant pu le soumettre, succédèrent les mouvements de Passevend-Oglou, qui éleva bientôt l'étendard de la révolte, sur les remparts de Vidin. L'empire ottoman semblait toucher à sa dissolution sous le règne de Sélim, prince faible et pacifique. L'esprit de révolte s'emparait successivement de tous les Pachas. Plus avisé, Ali ne songeait encore qu'à se fortifier et à s'agrandir, lorsqu'un événement inattendu attira toute son attention et généralement celle de l'Épire.

La guerre de la révolution et la conquête de l'Italie par Bonaparte, amenèrent en 1797 le traité de Campo-Formio , entre la France et l'Autriche. En vertu de ce traité, le directoire français , après avoir vendu l'indépendance de la république de Venise , respectable par son antiquité et par sa sagesse, l'effaça du rang des puissances, et s'empara des îles Ioniennes avec leurs dépendances de terre ferme, savoir : Prevesa, Vonitza, Parga et Butrinto. Cette nouvelle, qui retentit dans la Grèce, parvint bientôt à la cour d'Ali Pacha. Au lieu d'un gouvernement qui avait vieilli au milieu de l'Europe, sans se douter de sa décrépitude, Ali allait avoir dans son voisinage une puissance colossale qui s'était érigée en république militaire, turbulente et conquérante. Le 5 juillet 1797 le général Gentili, consommant au nom de la France l'occupation, arbora le drapeau tricolore sur les donjons de Corfou, dont il trouva les fortifications garnies de 510 bouches à feu. L'arrivée des Français fit une grande impression dans les mers d'Ionie. Leur voisinage inspira d'abord de vives inquiétudes au Pacha de Janina; Il lui importait singulièrement que les Français n'adoptassent pas le système politique qu'avaient suivi les Vénitiens, à l'égard de l'Épire. Les Vénitiens établis à Corfou et sur les rivages opposés , ayant remarqué la tendance à l'anarchie, de la noblesse albanaise, avaient organisé une ligue des Beys de la côte et de toutes les peuplades indépendantes qui, divisées par des intérêts particuliers, ne manquaient jamais de se réunir contre les empiétement des Pachas. Ainsi, depuis Butrinto jusqu'à Prevésa, Venise même dans ses derniers temps, couvrait ses possessions de terre ferme par les confédérations informes de la Chimère, de Conispolis et de Philates qui tenaient en bride le pacha de Delvino, le plus limitrophe. D'un autre côté, au moyen des Beys de Margariti et de Paramithia, elle arrêtait sans coup férir les entreprises du Pacha de Janina ; et pour contenir les Beys mahométans, elle faisait agir à son gré les peuplades chrétiennes de Souli et de l'Acrocéraune, de sorte qu'elle avait une prépondérance marquée dans les affaires de l'Albanie. Bien plus, vers l'an 1788, la république de Venise avait obtenu un firman qui défendait au Pacha de l'Épire, d'élever aucune batterie à la distance d'un mille italien de la mer, de sorte qu'il ne pouvait pas même fortifier sa maison de douane , à Salamona, au fond du golfe d'Ambracie. Cette disposition fut vigoureusement maintenue, tant que Venise exista comme puissance. On sent quel parti les Français auraient pu tirer d'une semblable politique. Ali Pacha démontra facilement à la Porte-Ottomane que les avantages possédés sans inconvénients par une puissance pacifique deviendraient funeste à l'empire turc , s'ils passaient entre les mains d'une puissance ambitieuse et conquérante. 11 fut bientôt rassuré par les démonstrations et par les premières démarches des Français. Le général Gentili, d'après les instructions de Bonaparte, alors général en chef de l'armée d'Italie, fit partir pour Janina, l'adjudant général Roza chargé de sonder Ali, et de le gagner à la cause de la France. Ali combla d'honneurs et de présents l'émissaire de Bonaparte, qui venait fraterniser avec le Pacha de l'Épire; il le serra dans ses bras et reçut de ses mains la cocarde tricolore. Toutes les fois qu'il paraissait à sa cour, il l'accueillait avec les honneurs qu'on rend aux Pachas, et se disait hautement son ami. L'ayant admis dans son intimité , il lui fit épouser une jeune Grecque , appelée Zoïtza, et assista aux cérémonies du mariage. L'émissaire français poussa la crédulité jusqu'à se persuader qu'il était appelé à jouer un rôle important sous les auspices d'Ali. Plus adroit que le missionnaire de Bonaparte, le rusé Arnaute, en répondant avec une effusion simulée à l'apôtre des nouvelles doctrines, profita habilement de son inexpérience; il lui persuada sans peine qu'il était et qu'il serait toujours le meilleur ami des Français. Il traita sur ce pied avec le gouvernement des îles Ioniennes , et se plaignant des procédés hostiles des Vénitiens qui n'avaient jamais cessé d'assister sourdement ses ennemis, ou plutôt ceux de la Porte, il demanda expressément qu'on se désistât de cette politique peu loyale. Le gouverneur ne manqua pas de se départir des sages maximes de Venise, et se montra même disposé à faire des concessions au Pacha, pour peu qu'il voulût prêter les mains aux approvisionnements de Corfou. Des convois de bœufs filèrent aussitôt vers la côte. [/i]

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