[i] 12 IX 2010
[center] Messieurs les rédacteurs en chef du journal La Croix, [/center]
Lecteur attentif, j'ai à me plaindre : dans le numéro du 17 IX 10, p. 2, colonne « Repères », du survol historique, depuis XXe s. de la Turquie.
Petit-fils de Grecs chrétiens orthodoxes de Turquie d'Europe, dont les deux grands-pères sont morts de mort violente (l'un deux ans, l'autre quatre ans après le génocide arménien) je suis profondément déçu et blessé de lire votre « résumé historique ».
Le traité de Sèvres (10 VIII 1920) est dit « dépeçage » (terme que vous avez choisi) des territoires l'actuelle Turquie et fin de l'Empire ottoman. Après la Grande Guerre, les trois Empires centraux (allemand, austro-hongrois, et ottoman) sont vaincus. Au Congrès de la Paix, à Versailles, les grandes puissances victorieuses alliées (sauf l'américaine) veulent établir leur influence et en recueillir les avantages en Méditerranée orientale.
Vénizélos, représentant la Grèce, se heurte à l'impérialisme italien qui refuse à la Grèce le nord de l'Épire, de population grecque orthodoxe, terre hellénique s'il en fut (que ses armées ont libéré), toujours en Albanie. L'Italie « garde » le Dodécanèse (il ne redeviendra grec qu'après la Deuxième Guerre mondiale). Pourtant, le même jour que le traité de Sèvres, un traité entre l'Italie et la Grèce reconnaissait que l'Italie renonçait à ses « droits » sur l'archipel (sauf l'île de Rhodes, jusqu'à un plébiscite 15 ans après, donnant le choix aux insulaires).
Le traité de Neuilly (27 XI 1919) rend à la Grèce la Thrace occidentale. Le traité de Sèvres (10 VIII 1920) rend la Thrace orientale (province d'origine de mes deux parents), sauf Constantinople ... Ce traité consacre un droit de souveraineté hellénique sur la région de Smyrne: l'Ionie, où naquit notre civilisation, dont la langue, devenue la koïné alexandrine, sera la langue des Septante pour traduire l'Ancien Testament (six siècles avant la Vulgate! ) et diffusera la Bonne Nouvelle christique...). Après cinq ans les Ioniens-Romii (sujets ottomans grecs orthodoxes) choisiraient par plébiscite le rattachement ou non à la Grèce. Les Grecs du Pont, victimes de persécutions génocidaires, ceux de Cappadoce, resteront sujets ottomans avec tous les dangers que cela comporte pour un non-Turc non-Mahométan.
Le traité de Sèvres reconnut l'occupation de la Cilicie par les Français et des régions d'Attalia-Antalya et de Ikonion-Konya par les Italiens. L'énergique et doué père de la Turquie moderne, Kémal Atatürk, dès avril, a promu la défense contre les Grecs. La France et l'Italie (signataires à Sèvres …) lâchent l'allié grec. Elles négocient avec les Turcs, retirent leurs troupes. La France laisse armes et munitions aux Turcs, sachant pourtant qu'elles serviront contre l'allié d'hier, trahi. La révolution soviétique rappelle les troupes russes du Pont, d'Arménie, du Caucase, terres chrétiennes, peuplées de chrétiens, et laissent elles aussi leur matériel aux Turcs. Kémal ne craint plus la descente russe à Constantinople …
L'armée grecque, au combat depuis 1912, est vaincue en Asie mineure. Elle quitte, vaincue, l'Ionie. Des réfugiés essaient de l'accompagner.
Le 24 VII 1923, le traité de Lausanne, signé par la Turquie, la Grèce et les Alliés abroge celui de Sèvres. L' « échange de populations » qui s'ensuit (sur critère de la religion), déracine l'Hellénisme de toujours de toute l'Asie mineure et de la Thrace: environ 1 500 000 réfugiés.
La Turquie (« laïque » et républicaine) devient un état homogène (quelques minorités sont acceptées à Constantinople, avec le Patriarcat ). Le problème des Kurde, sans patrie, deviendra sanglant par la suite. En 1974, le nord de Chypre est envahi, est toujours occupée, après 36 ans. Sa population orthodoxe grecque (200 000) s'est réfugié au sud. Il y a 30 000 soldats turcs d'occupation. Des squatters d'Asie mineure sont implantés à Chypre.
Ma lettre est longue. Elle dit le regret que le traité de Lausanne soit passé sous silence. Il permet pourtant de comprendre le nationalisme expansionniste turc (Chypre, les Kurdes) et le déracinement du christianisme de son berceau …
Votre omission n'est pas innocente, qui laisse croire au dépeçage « sévrien » de l'Empire ottoman, et passe sous silence le démembrement et l'équarrissage « lausannois » des chrétiens-rayas ottomans …
Je suis déçu et peiné. Je me devais de vous le faire savoir.
[center]PrThomas Efthymiou
Ex-président de la Communauté hellénique de Paris et environs.
thomasefthymiou@yahoo.com[/center] [/i]