Chirac demande des «clarifications» à Ankara
Devant le corps diplomatique français réuni depuis lundi à Paris à loccasion de la 13e conférence des ambassadeurs, le chef de lEtat a évoqué les grands défis auxquels les représentants de la France à létranger doivent faire face. Jacques Chirac a lancé une mise en garde à lIran. Il a appelé les Ivoiriens à organiser un «scrutin présidentiel incontestable», à la date prévue du 30 octobre. Mais il a également saisi loccasion pour se livrer à un recadrage de la position française à légard de lentrée de la Turquie au sein de lUnion européenne, à un mois du début des négociations dadhésion, le 3 octobre.
Les oreilles turques doivent siffler : les Français se distinguent encore sur le dossier de ladhésion dAnkara à lUnion européenne (UE), à un mois de louverture des négociations à Bruxelles. En deux jours, à loccasion de la réunion annuelle des ambassadeurs de France, les trois principaux personnages de lEtat chargés de conduire la diplomatie française sont intervenus pour rappeler que rien nétait fait et que ladhésion demeurait une hypothèse parmi dautres.
Cest le président de la République qui, le premier, a évoqué la question, lundi, en réitérant se demande de «clarifications» à la Turquie, après que cette dernière eut souligné que laccord étendant son union douanière à la République de Chypre, condition majeure fixée par Bruxelles à louverture des négociations dadhésion, ne valait pas reconnaissance formelle de Nicosie. Vendredi, lors dun entretien avec le président de la Commission européenne, Jacques Chirac avait estimé que cette position nétait pas ce «quon attend dun candidat à lUnion». De son côté la Commission soulignait que la Turquie nétait pas dans lobligation de reconnaître Chypre pour entamer ses négociations dadhésion avec lUE. Ce serait utile, mais ce nest pas nécessaire, suggère-t-on à Bruxelles.
«La Turquie na pas facilité les choses»
Lundi, devant les diplomates français réunis à Paris, souhaitant manifestement marquer une certaine prise de distance, le président français a rappelé que «louverture de négociations avec la Turquie nest que le début du long et difficile chemin, à lissue incertaine, que va emprunter ce grand pays qui aspire rejoindre lUnion, cest à dire adhérer à lensemble de ses valeurs et de ses règles». Mais M. Chirac a également indiqué que «des engagements ont été pris et la France sy tiendra».
Mardi, ce fut au tour du ministre français des Affaires étrangères et de la ministre déléguée aux Affaires européennes de monter au créneau sur le dossier turc pour enfoncer le clou : la France «ne veut pas ouvrir une nouvelle crise en Europe», mais «la Turquie na pas facilité les choses : il nest guère envisageable quun pays qui demande à entrer dans une communauté refuse de reconnaître lun de ses membres», déclarait Philippe Douste-Blazy, tandis que Catherine Colonna rappelait aux ambassadeurs que «adhésion ou autre solution, son avenir avec lUnion européenne ne pourra être écrit quà lissue dun long processus», rappelant que si lintégration était retenue, «les Français auront le dernier mot par référendum».
Volonté de recadrage
Au cours de ces derniers mois, Jacques Chirac avait semblé bien seul sur ce dossier. Rares, en effet, ont été les hommes politiques français à afficher clairement, comme il la fait lui-même, leur volonté dintégrer la Turquie. Sans réserves, Jacques Chirac, lui, sétait à maintes reprises prononcé en faveur de ladhésion dAnkara à lUnion européenne, moyennant le respect des modalités et procédures. Contre lavis de lessentiel de ses amis de la droite française, contre une opinion publique rétive, face au silence obstiné dune opposition divisée et calculatrice, le président, insensible aux critiques et aux sondages, ignorant toute démagogie politicienne, tenait le cap dune vision européenne généreuse, capable de surmonter tous les chauvinismes et daccueillir les Turcs.
Le président ne renonce à rien, mais ses dernières déclarations sonnent comme une volonté de recadrage, dans un contexte dopposition quasi générale au projet, fut-il lointain. Peu à peu, au cours des derniers mois, le discours du chef de lEtat avait évolué pour sadapter aux contraintes politiques, particulièrement lorsquil avait fallu tenter de convaincre les Français de voter oui à un projet de constitution européenne quils désapprouvaient, notamment en raison dun élargissement dont la décision et le calendrier leur échappaient. Le discours est alors devenu plus rassurant et compréhensif à légard des adversaires : les délais dadhésion ont été rallongés, pour bien montrer le caractère lointain de la perspective, et surtout il est désormais acquis que lentrée de la Turquie au sein de la communauté sera soumise à lapprobation du peuple français par voie de référendum.