[i] [b][u][center]L'esprit municipal ; caractère général de l'histoire grecque[/center][/u][/b].
C'est par le régime municipal que la société grecque se constitua. L'esprit nouveau de liberté qu'elle apportait dans le monde, ne pouvait fonder d'abord de grandes sociétés. Si l'on rejetait le despotisme de l'Orient, il fallait renoncer aussi à la grande et calme unité des sociétés orientales. Le morcellement régna donc sur cette terre où déjà la nature, avant l'homme, avait tracé tant de divisions, et que les montagnes et la mer avaient tant découpée. Chaque agglomération d'hommes forma un État; chaque cité fut souveraine. Quelques institutions religieuses rappelèrent aux villes leur fraternité, mais sans diminuer en rien l'indépendance de chacune d'elles.
L'esprit municipal était si puissant chez le peuple grec, qu'il domina le génie de tous ses hommes d'État. La Grèce eut d'admirables législateurs ; mais leurs lois n'étaient faites que pour une cité, et se seraient trouvées impuissantes à régir une nation entière.
Le patriotisme des Grecs ne s'étendait guère au-delà des limites de la cité. Comme peu d'hommes avaient la conception nette de la patrie commune, peu d'hommes aussi s'attachaient et se dévouaient à elle. Toutes les affections et toutes les forces étaient données à la cité. Dans la guerre médique, Sparte aurait volontiers livré toute la Grèce pour ne défendre que le Péloponnèse. Hérodote ne songe pas à blâmer ces Ioniens qui, à Salamine, se montrèrent plus acharnés que les Perses eux-mêmes à combattre les Grecs. Thucydide n'est pas non plus très sévère pour ces Spartiates et ses Athéniens qui envoyaient à la fois des ambassades au grand roi ; Aristophane marquait sans la flétrir cette politique d'Athènes sur son théâtre. L'esprit politique des Grecs ne se haussa longtemps qu'à l'idée de cité. Corinthe ne comprenait pas qu'elle eût rien de commun avec Mégare, ni Argos avec Sparte, ni Mégalopolis avec Mantinée. Entre deux villes voisines et il semblait le plus souvent qu'il ne pût y avoir que de la haine.
Une des conséquences de l'extrême division était une suite ininterrompue de guerres sanglantes. Mais la guerre n'amenait jamais l'unité. Une ville avait-elle été conquise, il fallait la détruire ou l'asservir ; car les vaincus n'entraient pas dans l'État et n'avaient aucune part dans la cité. Les Grecs ne comprirent que fort tard qu'un État pût être composé de deux villes jouissant de droits égaux et ayant par toutes deux au gouvernement commun. Très habiles à donner des lois à un cité, s'ils venaient à agrandir leur puissance, la science du gouvernement leur faisait défaut ; et l'on asservissait les villes, faute de savoir les administrer. Or, comme aucune ville ne s'est trouvée assez forte pour imposer à la Grèce un gouvernement absolu, la Grèce n'a jamais pu être unie.
Menacée par des empires puissants, Elle sut plusieurs fois se confédérer. Mais ces essais, tentés en vue d'un danger présent, duraient tout au plus autant que ce danger même. Bientôt nul ne tenait plus à cette alliance que ceux qui avaient intérêt à la transformer en empire : les autres, qui s'étaient montrés empressés à former la confédération, l'étaient encore plus à la rompre, sous prétexte que leur liberté courait des risques. L'esprit de municipalité détruisait rapidement ce que le danger et la prudence d'un moment avaient produit. La Grèce, toujours hésitante entre le besoin d'avoir un pouvoir central et l'amour de la liberté particulière, ne put jamais ni établir l'un ni assurer l'autre, et flotta toujours entre le morcellement et la sujétion. [/i]