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L'arcipel en feu, Chap. IV, Triste maison d'un riche (suite)

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Soumis par efthymiouthomas le

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– Oui! ajouta Hadjine, là où il faut être!»
Pourquoi Elizundo avait-il fait cette question à propos d’Andronika? Personne ne le lui demanda. Il n’eût certainement répondu que d’une façon évasive. Mais cela ne laissa pas de préoccuper sa fille, peu au courant des relations du banquier. Pouvait-il donc y avoir un lien quelconque entre son père et celle Andronika qu’elle admirait?
D’ailleurs, en ce qui concernait la guerre de l’Indépendance, Elizundo était d’une absolue réserve. A quel parti allaient ses vœux, aux oppresseurs ou aux opprimés? il eût été difficile de le dire, – si tant est qu’il fût bomme à faire des vœux pour quelqu’un ou pour quelque chose. Ce qui était certain, c’est que son courrier lui apportait au moins autant de lettres expédiées de la Turquie que de la Grèce.
Mais, il importe de le répéter, bien que le jeune officier se fût dévoué à la cause des Hellènes, Elizundo ne lui en avait pas moins fait bon accueil dans sa maison.
Cependant, Henry d’Albaret ne pouvait y prolonger son séjour. Remis maintenant de ses fatigues, il était décidé à faire jusqu’au bout ce qu’il considérait comme un devoir. Il en parlait souvent à la jeune fille.
«C’est votre devoir, en effet! lui répondait Hadjine. Quelque douleur que puisse me causer votre départ, Henry, je comprends que vous devez rejoindre vos compagnons d’armes! Oui! tant que la Grèce n’aura pas retrouvé son indépendance, il faut lutter pour elle!
– Je partirai, Hadjine, je vais partir! dit un jour Henry d’Albaret. Mais, si je pouvais emporter avec moi la certitude que vous m’aimez comme je vous aime…
– Henry, je n’ai aucun motif de cacher les sentiments que vous m’inspirez, répondit Hadjine. Je ne suis plus une enfant, et c’est avec le sérieux qui convient que j’envisage l’avenir. J’ai foi en vous, ajouta-t-elle en lui tendant la main, ayez foi en moi! Telle vous me laisserez en partant, telle vous me retrouverez au retour!»
Henry d’Albaret avait pressé la main que lui donnait Hadjine comme gage de ses sentiments.
«Je vous remercie de toute mon âme! répondit-il. Oui! nous sommes bien l’un à l’autre… déjà! Et si notre séparation n’en est que plus pénible, du moins emporterai-je cette assurance avec moi que je suis aimé de vous!… Mais, avant mon départ, Hadjine, je veux avoir parlé à votre père!… Je veux être certain qu’il approuve notre amour, et qu’aucun obstacle ne viendra de lui…
– Vous agirez sagement, Henry, répondit la jeune fille. Ayez sa promesse comme vous avez la mienne!»
Et Henry d’Albaret ne dut pas tarder à le faire, car il s’était décidé à reprendre du service sous le colonel Fabvier.
En effet, les choses allaient de mal en pis pour la cause de l’indépendance. La convention de Londres n’avait encore produit aucun effet utile, et l’on pouvait se demander si les puissances ne s’en tiendraient pas, vis-à-vis du sultan, à des observations purement officieuses, et par conséquent toutes platoniques.
D’ailleurs, les Turcs, infatués de leurs succès, paraissaient assez peu disposés à rien céder de leurs prétentions. Bien que deux escadres, l’une anglaise, commandée par l’amiral Codrington, l’autre française, sous les ordres de l’amiral de Rigny, parcourussent alors la mer Egée, et, bien que le gouvernement grec fût venu s’installer à Egine pour y délibérer dans de meilleures conditions de sécurité, les Turcs faisaient preuve d’une opiniâtreté qui les rendait redoutables.
On le comprenait, du reste, en voyant toute une flotte de quatre-vingt-douze navires ottomans, égyptiens et tunisiens, que la vaste rade de Navarin venait de recevoir à la date du 7 septembre. Cette flotte portait un immense approvisionnement qu’Ibrahim allait prendre pour subvenir aux besoins d’une expédition qu’il préparait contre les Hydriotes.
Or, c’était à Hydra qu’Henry d’Albaret avait résolu de rejoindre le corps des volontaires. Cette île, située à l’extrémité de l’Argolide, est l’une des plus riches de l’Archipel. De son sang, de son argent, après avoir tant fait pour la cause des Hellènes que défendaient ses intrépides marins, Tombasis, Miaoulis, Tsamados, si redoutés des capitans turcs, elle se voyait alors menacée des plus terribles représailles.
Henry d’Albaret ne pouvait donc tarder à quitter Corfou, s’il voulait devancer à Hydra les soldats d’Ibrahim. Aussi, son départ fut-il définitivement fixé au 21 octobre.
Quelques jours avant, ainsi que cela avait été convenu, le jeune officier vint trouver Elizundo et lui demanda la main de sa fille. Il ne lui cacha pas qu’Hadjine serait heureuse qu’il voulût bien approuver sa démarche. D’ailleurs, il ne s’agissait que d’obtenir son assentiment. Le mariage ne serait célébré qu’au retour d’Henry d’Albaret. Son absence, il l’espérait du moins, ne pouvait plus être de longue durée.
Le banquier connaissait la situation du jeune officier. l’état de sa fortune, la considération dont jouissait sa famille en France. Il n’avait donc point à provoquer d’explication à cet égard. De son côté, son honorabilité était parfaite, et jamais le moindre bruit défavorable n’avait couru sur sa maison. Au sujet de sa propre fortune, comme Henry d’Albaret ne lui en parla même pas, il garda le silence. Quant à la proposition elle-même, Elizundo répondit qu’elle lui agréait. Ce mariage ne pouvait que le rendre heureux; puisqu’il devait faire le bonheur de sa fille.
Tout cela fut dit assez froidement, mais l’important était que cela entêté dit. Henry d’Albaret avait maintenant la parole d’Elizundo, et, en échange, le banquier reçut de sa fille un remerciement qu’il prit avec sa réserve accoutumée.
Tout semblait donc aller pour la plus grande satisfaction des deux jeunes gens, et, il faut ajouter, pour le plus parfait contentement de Xaris. Cet excellent homme pleura comme un enfant, et il eût volontiers pressé le jeune officier sur sa poitrine!
Cependant, Henry d’Albaret n’avait plus que peu de temps à rester près d’Hadjine Elizundo. C’était sur un brick levantin qu’il avait pris la résolution de s’embarquer, et ce brick devait quitter Corfou, le 21 du mois, à destination if Hydra.
Ce que furent ces derniers jours qui se passèrent dans la maison de la Strada Reale, on le devine sans qu’il soit nécessaire d’y insister. Henry d’Albaret et Hadjine ne se quittèrent pas d’une heure. Ils causaient longuement dans la salle basse, au rez-de-chaussée de la triste habitation. La noblesse de leurs sentiments donnait à ces entretiens un charme pénétrant qui en adoucissait la note un peu sérieuse. L’avenir, ils se disaient qu’il était à eux, si le présent, pour ainsi dire, leur échappait encore. Ce fut donc ce présent qu’ils voulurent envisager avec sang-froid. Tous deux en calculèrent les chances, bonnes ou mauvaises, mais sans découragement, sans faiblesse. Et, en parlant ainsi, ils ne cessaient de s’exalter pour cette cause, à laquelle Henry d’Albaret allait encore se dévouer.
Un soir, le 20 octobre, pour lu dernière fois, ils se redisaient ces choses, mais avec plus d’émotion peut-être. C’était le lendemain que le jeune officier devait partir.
Soudain, Xaris entra dans la salle. Il ne pouvait parler. Il était haletant. Il avait couru, et quelle course! En quelques minutes, ses robustes jambes l’avaient ramené, à travers toute la ville, depuis la citadelle jusqu’à l’extrémité de la Strada Reale.
«Eh bien, que veux-tu?… Qu’as-tu, Xaris?… Pourquoi cette émotion?… demanda Hadjine.
– Ce que j’ai… ce que j’ai!… Une nouvelle!… Une importante… une grave nouvelle!
– Parlez!… parlez!… Xaris! dit à son tour Henry d’Albaret, ne sachant s’il devait se réjouir ou s’inquiéter.
– Je ne peux pas!… Je ne peux pas! répondait Xaris, que son émotion étranglait positivement.
– S’agit-il donc d’une nouvelle de la guerre? demanda la jeune fille, en lui prenant la main.
– Oui!…Oui!
– Mais parle donc!… répétait-elle. Parle donc, mon bon Xaris!… Qu’y a-t-il?
– Turcs… aujourd’hui… battus… à Navarin!»
C’est ainsi qu’Henry d’Albaret et Hadjine apprirent la nouvelle de la bataille navale du 20 octobre.
Le banquier Elizundo venait d’entrer dans l’a salle, au bruit de cet envahissement de Xaris. Lorsqu’il sut ce dont il s’agissait, ses lèvres se serrèrent involontairement, son front se contracta, mais il ne témoigna ni satisfaction ni déplaisir, tandis que les deux jeunes gens laissaient franchement déborder leur cœur.
La nouvelle de la bataille de Navarin venait, en effet, d’arriver a Corfou. A peine se fut-elle répandue dans toute la ville qu’on en connut presque aussitôt les détails, apportés télégraphiquement par les appareils aériens de la côte albanaise.
Les escadres anglaise et française, auxquelles s’était réunie l’escadre russe comprenant vingt-sept vaisseaux et douze cent soixante-seize canons, avaient attaqué la flotte ottomane en forçant les passes de la rade de Navarin. Bien que les Turcs fussent supérieurs en nombre, puisqu’ils comptaient soixante vaisseaux de toute grandeur, armés de dix-neuf cent quatre-vingt-quatorze canons, ils venaient d’être vaincus. Plusieurs de leurs navires avaient coulé ou sauté avec un grand nombre d’officiers et de matelots. Ibrahim ne pouvait donc plus rien attendre de la marine du sultan pour l’aider dans son expédition contre Hydra.
C’était là un fait d’une importance considérable. En effet, il devait être le point de départ d’une nouvelle période pour les affaires de Grèce. Bien que les trois puissances fussent décidées d’avance à ne point tirer parti de cette victoire en écrasant la Porte, il paraissait certain que leur accord finirait par arracher le pays des Hellènes à la domination ottomane, certain aussi que, dans un temps plus ou moins court, l’autonomie du nouveau royaume serait faite.
Ainsi en jugea-t-on dans la maison du banquier Elizundo. Hadjine, Henry d’Albaret, Xaris, avaient battu des mains. Leur joie trouva un écho dans toute la ville. C’était l’indépendance que les canons de Navarin venaient d’assurer aux enfants de la Grèce.
Et tout d’abord, les desseins du jeune officier furent absolument modifiés par cette victoire des puissances alliées, ou plutôt – car l’expression est meilleure, – par cette défaite de la marine turque. Par suite, Ibrahim devait renoncer à entreprendre la campagne qu’il méditait contre Hydra. Aussi n’en fut-il plus question.
De là, un changement dans les projets formés par Henry d’Albaret avant cette date du au octobre. Il n’était plus nécessaire qu’il allât rejoindre les volontaires accourus à l’aide des Hydriotes. Il résolut donc d’attendre à Corfou les événements qui allaient être la conséquence naturelle de cette bataille de Navarin.
Quoi qu’il en fût, le sort de la Grèce ne pouvait plus être douteux. L’Europe ne la laisserait pas écraser. Avant peu, dans toute la péninsule hellénique, le croissant aurait cédé la place au drapeau de l’indépendance. Ibrahim, déjà réduit à occuper le centre et les villes littorales du Péloponnèse, serait enfin contraint à les évacuer. [/i]

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