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L'archipel en feu, fin du ch. II, début du ch.III "Grecs contre Turcs", de J Verne

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[i] II En face l'un de l'autre

Sans prononcer un seul mot, Nicolas Starkos monta sur le pont de la Karysta, et, d'un signe, il donna l'ordre d'appareiller.
La manœuvre fut rapidement faite. Il n'y eut qu'à hisser les voiles disposées pour un prompt départ. Le vent de terre, qui venait de se lever, rendait facile la sortie du port.
Cinq minutes plus tard, la Karysta franchissait les passes, sûrement, silencieusement, sans qu'un seul cri eût été poussé par les hommes du bord ni par les gens de Vitylo.
Mais la sacolève n'était pas à un mille au large, qu'une flamme illuminait la crête de la falaise.
C'était l'habitation d'Andronika Starkos qui brûlait jusque dans ses fondations. La main de la mère avait allumé cet incendie. Elle ne voulait pas qu'il restât un seul vestige de la maison où son fils était né.
Pendant trois milles encore, le capitaine ne put détacher son regard de ce feu qui brillait sur la terre du Magne, et il le suivit dans l'ombre jusqu'à son dernier éclat.
Andronika l'avait dit:
«Jamais Nicolas Starkos ne remettrait le pied dans la maison du père!... Jamais!»
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[center]III Grecs contre Turcs[/center]
Dans les temps préhistoriques, alors que l'écorce solide du globe se moulait peu à peu sous l'action des forces intérieures, neptuniennes ou plutoniennes, la Grèce dut sa naissance à un cataclysme qui repoussa ce bout de terre au-dessus du niveau des eaux, tandis qu'il engloutissait dans l'Archipel toute une partie du continent, dont il ne reste plus que les sommets sous formes d'îles. La Grèce est, en effet, sur la ligne volcanique qui va de Chypre à la Toscane.
Il semble que les Hellènes tiennent du sol instable de leur pays l'instinct de cette agitation physique et morale, qui peut les porter dans les choses héroïques jusqu'aux plus grands excès. Il n'en est pas moins vrai que c'est grâce à leurs qualités naturelles, un courage indomptable, le sentiment du patriotisme, l'amour de la liberté, qu'ils sont parvenus à faire un État indépendant de ces provinces courbées, depuis tant de siècles, sous la domination ottomane.
Pélasgique dans les temps les plus reculés, c'est-à-dire peuplée de tribus de l'Asie; hellénique, du XVIe au XIVe siècle avant l'ère chrétienne, avec l'apparition des Hellènes, dont une tribu, les Graïes, devait lui donner son nom, dans ces temps presque mythologiques des Argonautes, des Héraclides et de la guerre de Troie; bien grecque enfin, depuis Lycurgue, avec Miltiade, Thémistocle, Aristide, Léonidas, Eschyle, Sophocle, Aristophane, Hérodote, Thucydide, Pythagore, Socrate, Platon, Aristote, Hippocrate, Phidias, Périclès, Alcibiade, Pélopidas, Épaminondas, Démosthène; puis, macédonienne avec Philippe et Alexandre, la Grèce finit par devenir province romaine sous le nom d'Achaïe, cent quarante-six ans avant J.-C. et pour une période de quatre siècles.
Depuis cette époque, successivement envahi par les Visigoths, les Vandales, les Ostrogoths, les Bulgares, les Slaves, les Arabes, les Normands, les Siciliens, conquis par les Croisés au commencement du treizième siècle, partagé en un grand nombre de fiefs au quinzième, ce pays, si éprouvé dans l'ancienne et la nouvelle ère, retomba au dernier rang entre les mains des Turcs et sous la domination musulmane.
Pendant près de deux cents ans, on peut dire que la vie politique de la Grèce fut absolument éteinte. Le despotisme des fonctionnaires ottomans, qui y représentaient l'autorité, passait toutes limites. Les Grecs n'étaient ni des annexés, ni des conquis, pas même des vaincus: c'étaient des esclaves, tenus sous le bâton du pacha, avec l'iman ou prêtre à sa droite, le djellah ou bourreau à sa gauche.
Mais toute existence n'avait pas encore abandonné ce pays qui se mourait. Aussi, allait-il de nouveau palpiter sous l'excès de la douleur. Les Monténégrins de l'Épire, en 1766, les Maniotes, en 1769, les Souliotes d'Albanie, se soulevèrent enfin, et proclamèrent leur indépendance; mais, en 1804, toute cette tentative de rébellion fut définitivement comprimée par Ali de Tébelen, pacha de Janina.
Il n'était que temps d'intervenir, alors, si les puissances européennes ne voulaient pas assister au total anéantissement de la Grèce. En effet, réduite à ses seules forces, elle ne pouvait que mourir en essayant de recouvrer son indépendance.
En 1821, Ali de Tébelen, révolté à son tour contre le sultan Mahmoud, venait d'appeler les Grecs à son aide, en leur promettant la liberté. Ils se soulevèrent en masse. Les Philhellènes accoururent à leur secours de tous les points de l'Europe. Ce furent des Italiens, des Polonais, des Allemands, mais surtout des Français, qui se rangèrent contre les oppresseurs. Les noms de Guys de Sainte-Hélène, de Gaillard, de Chauvassaigne, des capitaines Baleste et Jourdain, du colonel Fabvier, du chef d'escadron Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, du général Maison, auxquels il convient d'ajouter ceux de trois Anglais, lord Cochrane, lord Byron, le colonel Hastings, ont laissé un souvenir impérissable dans ce pays pour lequel ils venaient se battre et mourir.
À ces noms, illustrés par tout ce que le dévouement à la cause des opprimés peut engendrer de plus héroïque, la Grèce allait répondre par des noms pris dans ses plus hautes familles, trois Hydriotes, Tombasis, Tsamados, Miaoulis, puis Colocotroni, Marco Botsaris, Maurocordato, Mauromichalis, Constantin Canaris, Négris, Constantin et Démétrius Hypsilantis, Ulysse et tant d'autres. Dès le début, le soulèvement se changea en une guerre à mort, dent pour dent, oeil pour oeil, qui provoqua les plus horribles représailles de part et d'autre.
En 1821, les Souliotes et le Magne se soulevèrent. À Patras, l'évêque Germanos, la croix en main, pousse le premier cri. La Morée, la Moldavie, l'Archipel, se rangent sous l'étendard de l'indépendance. Les Hellènes, victorieux sur mer, parviennent à s'emparer de Tripolitza. À ces premiers succès des Grecs, les Turcs répondent par le massacre de leurs compatriotes qui se trouvaient à Constantinople.
En 1822, Ali de Tébelen, assiégé dans sa forteresse de Janina, est lâchement assassiné au milieu d'une conférence que lui avait proposée le général turc Kourschid. Peu de temps après, Maurocordato et les Philhellènes sont écrasés à la bataille d'Arta; mais ils reprennent l'avantage au premier siège de Missolonghi, que l'armée d'Omer-Vrione est obligée de lever, non sans des pertes considérables.
En 1823, les puissances étrangères commencent à intervenir plus efficacement. Elles proposent au sultan une médiation. Le sultan refuse, et, pour appuyer son refus, débarque dix mille soldats asiatiques dans l'Eubée. Puis, il donne le commandement en chef de l'armée turque à son vassal Méhémet-Ali, pacha d'Égypte. Ce fut dans les luttes de cette année-là que succomba Marco Botsaris, ce patriote dont on a pu dire: Il vécut comme Aristide et mourut comme Léonidas.
En 1824, époque de grands revers pour la cause de l'Indépendance, lord Byron avait débarqué, le 24 janvier, à Missolonghi, et, le jour de Pâques, il mourait devant Lépante, sans avoir rien vu s'accomplir de son rêve. Les Ipsariotes étaient massacrés par les Turcs, et la ville de Candie, en Crète, se rendait aux soldats de Méhémet-Ali. Seuls, les succès maritimes purent consoler les Grecs de tant de désastres.
En 1825, c'est Ibrahim-Pacha, fils de Méhémet-Ali, qui débarque à Modon, en Morée, avec onze mille hommes. Il s'empare de Navarin et bat Colocotroni à Tripolitza. Ce fut alors que le gouvernement hellénique confia un corps de troupes régulières à deux Français, Fabvier et Regnaud de Saint-Jean-d'Angély; mais, avant que ces troupes eussent été mises en état de lui résister, Ibrahim dévastait la Messénie et le Magne. Et s'il abandonna ses opérations, c'est qu'il voulut aller prendre part au second siège de Missolonghi, dont le général Kioutagi ne parvenait pas à s'emparer, bien que le sultan lui eût dit: Ou Missolonghi ou ta tête!
En 1826, le 5 janvier, après avoir brûlé Pyrgos, Ibrahim arrivait devant Missolonghi. Pendant trois jours, du 25 au 28, il jeta sur la ville huit mille bombes et boulets, sans pouvoir y entrer, même après un triple assaut, et bien qu'il n'eût affaire qu'à deux mille cinq cents combattants, déjà affaiblis par la famine. Cependant il devait réussir, surtout lorsque Miaoulis et son escadre, qui apportaient des secours aux assiégés, eurent été repoussés. Le 23 avril, après un siège qui avait coûté la vie à dix-neuf cents de ses défenseurs, Missolonghi tombait au pouvoir d'Ibrahim, et ses soldats massacrèrent hommes, femmes, enfants, presque tout ce qui survivait des neuf mille habitants de la ville. En cette même année, les Turcs, amenés par Kioutagi, après avoir ravagé la Phocide et la Béotie, arrivaient à Thèbes, le 10 juillet, entraient en Attique, investissaient Athènes, s'y établissaient et faisaient le siège de l'Acropole, défendue par quinze cents Grecs. Au secours de cette citadelle, la clé de la Grèce, le nouveau gouvernement envoya Caraïskakis, l'un des combattants de Missolonghi, et le colonel Fabvier avec son corps de réguliers. La bataille qu'ils livrèrent à Chaïdari fut perdue, et Kioutagi put continuer le siège de l'Acropole. Pendant ce temps, Caraïskakis s'engageait à travers les défilés du Parnasse, battait les Turcs à Arachova, le 5 décembre, et, sur le champ de bataille, il élevait un trophée de trois cents têtes coupées. La Grèce du Nord était redevenue libre presque tout entière.
Malheureusement, à la faveur de ces luttes, l'Archipel était livré aux incursions des plus redoutables forbans, qui eussent jamais désolé ces mers. Et parmi eux, on citait, comme l'un des plus sanguinaires, le plus hardi peut-être, ce pirate Sacratif, dont le nom seul était une épouvante dans toutes les Échelles du Levant.
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