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Interprétation suisse du Traité de Lausanne, en 2004, par H-L Kieser, dans "Mémoire vive"

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[i] [center] [b]Macro et micro histoire autour de la Conférence sur le Proche-Orient
tenue à Lausanne en 1922–23
Hans-Lukas Kieser (2004)[/b] [/center]
 
La signature du Traité de Lausanne le 24 juillet 1923 dans le Palais de Rumine fut, selon la perspective adoptée, un jour de gloire ou de deuil, de triomphe ou d’humiliation. Ses retombées se font toujours sentir dans la ville de Lausanne sous la forme de manifestations presque annuelles de la part de descendants des perdants.
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[center][u]Interpréter la Conférence de Lausanne[/u][/center]
Le récit "turquiste" de la Conférence se présente brillant: commandé par le héros Mustafa Kemal (Atatürk), le jeune mouvement nationaliste, issu d’un État ottoman vaincu dans la Grande Guerre, défia dans une "guerre de libération" (1919-1922) les vainqueurs "impérialistes" et remporta dans le territoire réclamé la victoire contre les concurrents minoritaires "traîtres" grecs, arméniens et Kurdes alévis. Il posa ainsi les fondements pour l’homogénéité, la stabilité et le redressement nationaux. C’est à Lausanne qu’il fit approuver ces acquis par l’Occident.

Cette optique fut immédiatement reprise par les ethno-nationalistes allemands qui admiraient la construction énergique de la "nouvelle Turquie pour les Turcs" (tel le slogan des turquistes) et la révision du Traité "dictatorial" de Sèvres (1920) qu’avait réussie l’ancien allié. La droite en Italie et en France partageait l’admiration, tandis que la jeune URSS, dans sa cause anti-occidentale, était de connivence avec les kémalistes victorieux. Dès la Guerre froide au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la version kémaliste fit aussi partie du discours des diplomates et des orientalistes américains qui valorisaient ainsi le nouvel allié.

Pour les perdants aussi bien que pour les humanitaires internationaux, l’ombre de la Conférence était écrasante. Le Traité acceptait tacitement les faits de guerre: le génocide des Arméniens ottomans, le massacre d’Assyriens ottomans, la déportation de Kurdes ottomans (1915—1916) et l’expulsion des Ottomans gréco-orthodoxes (1914 et 1919—1922), commise au profit de la turquification de l’Anatolie. Le nouveau gouvernement d’Ankara cachait à peine sa naissance au sein du parti jeune-turc, directement responsable des crimes perpétrés entre 1914—1918. Le Traité complétait les faits de guerre par un transfert de populations jusqu’alors inouï, celui de Grecs musulmans (356 000) et d’Ottomans anatoliens de confession orthodoxe (290 000, avec ceux déjà expulsés comptant environ 1,5 millions de personnes). Avec quatre générations de retard, on a tout récemment commencé à déplorer publiquement ce transfert, même en Turquie. Pour ce qui est des crimes antérieurs, le négationnisme et l’apologie parfois grotesques, mais tacitement autorisés par le Traité, prévalent toujours largement.

La Conférence sur le Proche-Orient scella l’islamisation démographique de l’Asie Mineure par une élite nationaliste plus ou moins athée, mais qui avait su rassembler les masses sous la bannière de l’Islam. Peu après son triomphe à Lausanne elle changea de rhétorique, abolit en mars 1924 le Califat, rompit sa promesse de provinces kurdes autonomes et construisit la République de Turquie sur la base idéologique d’un turquisme séculier et unitariste. Tout en étant politiquement opposé à l’Europe occidentale, ce turquisme se hâtait après la Conférence d’effectuer une révolution sociale et culturelle à l’européenne en même temps qu’il tentait de justifier le passé proche par une mission civilisatrice réussie. Le cœur de la révolution sociale fut l’introduction du Code Civil suisse en 1926 qui abolit complètement la charia, un des piliers de l’Empire ottoman. Pour les partisans du Califat, la Conférence de Lausanne signifiait une grave défaite.
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