LE MONDE | 09.11.09 | 14h27
Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes
"Une situation ubuesque"
[b]Secrétaire d'Etat aux affaires européennes, vous vous rendez à Chypre, seul pays de l'UE divisé par un mur, tout en commémorant la chute du mur de Berlin. Quel est l'effet de sens ?[/b]
On fête à Berlin et à Paris la réunification de l'Europe, la liberté, la démocratie, l'espoir. A Nicosie, c'est un pays déchiré, deux communautés installées dans la méfiance, la défiance, la peur. Au moment du 20e anniversaire de la chute du Mur, il serait peut-être temps d'arrêter ça.
[b]Est-ce le signe d'une impuissance de l'Union européenne ?[/b]
L'UE, c'est un Janus aux deux visages : d'un côté, un potentiel énorme, et de l'autre, encore trop d'impuissance, parfois d'indifférence, un grand vide. Elle a montré sa capacité à faire la paix de manière spectaculaire en réussissant la réunification de l'après- guerre froide. A Chypre, pourquoi a-t-on laissé perdurer ce conflit depuis trente-cinq ans ? Comment alors expliquer au reste du monde qu'on ambitionne de créer une Europe politique ? Comment imposer notre crédibilité dans les Balkans ? Il y a un côté anachronique : à l'heure où le traité de Lisbonne est ratifié, où l'Europe se dote d'institutions pour une politique étrangère commune capable de peser sur le monde, elle semble incapable de régler ce problème et de s'en emparer. Situation ubuesque : un Etat membre de l'UE est occupé par un pays candidat ! Il faut agir.
[b]Comment ?[/b]
Le moment est propice, une petite fenêtre de paix existe. La dynamique européenne est incontestable. Les institutions sont en train d'être mises en place. Le couple franco-allemand est une force centrale d'impulsion de l'Europe. Le protocole d'Ankara (qui exige de la Turquie la normalisation de ses relations avec Chypre) doit être examiné lors du Conseil européen de décembre. Enfin, les deux "grands frères" des Chypriotes sont motivés : la Turquie, qui cherche à améliorer son image vis-à-vis de l'Europe dans la perspective de son adhésion ; la Grèce, dont le nouveau gouvernement souhaite sortir de l'impasse. Par ailleurs, il me paraît indispensable d'en finir avec le système de "garanties" hérité du XIXe siècle, qui donne un droit d'intervention sur Chypre à trois puissances protectrices (Grèce, Turquie, Royaume-Uni). C'est l'Union européenne qui doit être la seule garantie de Chypre.
[b]Le séisme géopolitique de 1989 a conduit à l'élargissement de l'UE aux nouvelles démocraties. Où doivent s'arrêter les frontières ?[/b]
On ne peut faire de prospective à très long terme, mais les élargissements post-guerre froide sont essentiellement terminés. A l'Est, l'UE n'ira pas au-delà des Balkans. Il y aura d'autres accords, mais pas d'adhésions.
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Propos recueillis par Marion Van Renterghem