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Anacharsis (suite,6)

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Submitted by Th. Efthymiou on

Mais la nature qui balance sans cesse le mal par le bien, fit naître, pour les détruire, des hommes plus robustes que les premiers, aussi puissans que les seconds, plus justes que les uns et les autres.
Ils parcouroient la Grèce ; ils la purgeoient du brigandage des rois et des particuliers : ils paroissoient au milieu des Grecs, comme des mortels d'un ordre supérieur ; et ce peuple enfant, aussi extrême dans sa reconnoissance que dans ses alarmes, répandoit tant de gloire sur leurs moindres exploits, que l'honneur de le protéger étoit devenu l'ambition des ames fortes.
Cette espèce d'héroïsme inconnu aux siècle suivans, ignoré des autres nations, le plus propre néanmoins à concilier les intérêts de l'orgueil avec ceux de l'humanité, germoit de toutes parts, et s'exerçoit sur toutes sortes d'objets. Si un animal féroce, sorti du fond des bois, semoit la terreur dans les campagnes, le héros de la contrée se faisoit un devoir d'en triompher aux yeux d'un peuple qui regardoit encore la force comme la première des qualités, et le courage, comme la première des vertus. Les souverains eux-mêmes, flattés de joindre à leurs titres la prééminence du mérite le plus estimé dans leur siècle, s'engageoient dans des combats qui, en manifestant leur bravoure, sembloient légitimer encore leur puissance. Mais bientôt ils aimèrent des dangers qu'ils se contentoient
auparavant de ne pas craindre. Ils allèrent les mendier au loin, ou les firent naître autour d'eux ; et comme les vertus exposées aux louanges se flétrissent aisément, leur bravoure, dégénérée en témérité, ne changea pas moins d'objet que de caractère. Le salut des peuples ne dirigeoit plus leurs entreprises ; tout étoit sacrifié à des passions violentes, dont l'impunité redoubloit la licence. La main qui venoit de renverser un tyran de son trône, dépouilloit un prince juste des richesses qu'il avoit reçues de ses pères, ou lui ravissoit une épouse distinguée par sa beauté. La vie des anciens héros est souillée de ces taches honteuses.
Plusieurs d'entre eux, sous le nom d'Argonautes, formèrent le projet de se rendre dans un climat lointain, pour s'emparer des trésors d'Aeëtès, roi de Colchos. Il leur fallut traverser des mers inconnues, et braver sans cesse de nouveaux dangers : mais ils s'étoient déja séparément signalés par tant d'exploits, qu'en se réunissant ils se crurent invincibles, et le furent en effet. Parmi ces héros, on vit Jason qui séduisit et enleva Médée fille d'Aeëtès, mais qui perdit, pendant son absence, le trône de Thessalie où sa naissance l'appeloit ; Castor et Pollux, fils de Tyndare, roi de Sparte célèbres par leur valeur, plus célèbres par une union qui leur a mérité des autels ; Pélée, roi de la Phthiotie, qui passeroit pour un grand homme, si son fils Achille n'avoit pas été plus grand que lui ; le poëte Orphée, qui partageoit des travaux quil adoucissoit par ses chants ; Hercule, enfin, le plus illustre des mortels, et le premier des demi-dieux.
Toute la terre est pleine du bruit de son nom et des monumens de sa gloire : il descendoit des rois d'Argos : on dit qu'il étoit fils de Jupiter et d'Alcmène, épouse d'Amphitryon ; qu'il fit tomber sous ses coups, et le lion de Némée, et le taureau de Crète, et le sanglier d'Erymanthe, et l'hydre de Lerne, et des monstres plus féroces encore ; un Busiris, roi d'Egypte, qui trempoit lâchement ses mains dans le sang des étrangers ; un Anthée de Libye, qui ne les dévouoit à la mort, qu'après les avoir vaincus à la lutte ; et les géans de Sicile, et les centaures de Thessalie, et tous les brigands de la terre, dont il avoit fixé les limites à l'occident, comme Bacchus les avoit fixées à l'orient : on ajoute qu'il ouvrit les montagnes, pour rapprocher les nations ; qu'il creusa des détroits, pour confondre les mers ; qu'il triompha des enfers, et qu'il fit triompher les dieux dans les combats qu'ils livrèrent aux géans.
Son histoire est un tissu de prodiges, ou plutôt, c'est l'histoire de tous ceux qui ont porté le même nom, et subi les mêmes travaux que lui. On a exagéré leurs exploits ; et en les réunissant sur un seul homme, et en lui attribuant toutes les grandes entreprises dont on ignoroit les auteurs, on l'a couvert d'un éclat qui semble rejaillir sur l'espèce humaine : car l'Hercule qu'on adore, est un phantôme de grandeur, élevé entre le ciel et la terre, comme pour en combler l'intervalle. Le véritable Hercule ne différoit des autres hommes, que par sa force, et ne ressembloit aux dieux des Grecs, que par ses foiblesses : les biens et les maux qu' il fit dans ses expéditions fréquentes, lui attirèrent pendant sa vie une célébrité, qui valut à la Grèce un nouveau défenseur en la personne de Thésée.

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