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Anacharsis (9)

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Soumis par Th. Efthymiou le

Tout sembloit alors favoriser ses voeux. Il commandoit à des peuples libres, que sa modération et ses bienfaits retenoient dans la dépendance. Il dictoit des lois de paix et d'humanité aux peuples voisins, et jouissoit d'avance de cette vénération profonde, que les siècles attachent par degrés à la mémoire des grands hommes. Cependant il ne le fut pas assez lui-même, pour achever l'ouvrage de sa gloire. Il se lassa des hommages paisibles qu'il recevoit, et des vertus faciles qui en étoient la source.
Deux circonstances fomentèrent encore ce dégoût. Son âme qui veilloit sans cesse sur les démarches d'Hercule, étoit importunée des nouveaux exploits dont ce prince marquoit son retour dans la Grèce. D'un autre côté, soit pour éprouver le courage de Thésée, soit pour l'arracher au repos, Pirithoüs, fils d'Ixion, et roi d' une partie de la Thessalie, conçut un projet conforme au génie des anciens héros. Il vint enlever dans les champs de Marathon, les troupeaux du roi d'Athènes ; et quand Thésée se présenta pour venger cet affront, Pirithoüs parut saisi d'une admiration secrète ; et lui tendant la main en signe de paix: " soyez " mon juge, lui dit-il: quelle satisfaction" exigez-vous? Celle, répond Thésée, de vous " unir à moi par la confraternité des armes. " ces mots, ils se jurent une alliance indissoluble, et méditent ensemble de grandes entreprises. Hercule, Thésée, Pirithoüs, amis et rivaux généreux, déchaînés tous trois dans la carrière, ne respirant que les dangers et la victoire, faisant pâlir le crime et trembler l'innocence, fixoient alors les regards de la Grèce entière. Tantôt à la suite du premier, tantôt suivi du second, quelquefois se mêlant dans la foule des héros, Thésée étoit appelé à toutes les expéditions éclatantes. Il triompha, dit-on, des Amazones, et sur les bords du Thermodon en Asie, et dans les plaines de l'Attique; il parut à la chasse de cet énorme sanglier de Calydon, contre lequel Méléagre, fils du roi de cette ville, rassembla les princes les plus courageux de son temps; il se signala contre les centaures de Thessalie, ces hommes audacieux, qui, s'étant exercés les premiers à combattre à cheval, avoient plus de moyens pour donner la mort, et pour l'éviter. Au milieu de tant d'actions glorieuses, mais inutiles au bonheur de son peuple, il résolut avec Pirithoüs, d'enlever la princesse de Sparte et celle d'Epire, distinguées toutes deux par une beauté qui les rendit célèbres et malheureuses; l'une, étoit cette Hélène, dont les charmes firent depuis couler tant de sang et de pleurs ; l'autre, étoit Proserpine, fille d'Aidonée, roi des Molosses. Ils trouvèrent Hélène exécutant une danse dans le temple de Diane; et l'ayant arrachée du milieu de ses compagnes, ils se dérobèrent, par la fuite, au châtiment qui les menaçoit à Lacédémone, et qui les attendoit en Epire: car Aidonée, instruit de leurs desseins, livra Pirithoüs à des dogues affreux qui le dévorèrent, et précipita Thésée dans les horreurs d'une prison, dont il ne fut délivré que par les soins officieux d'Hercule. De retour dans ses états, il trouva sa famille couverte d'opprobres, et la ville déchirée par des factions. La reine, cette Phèdre dont le nom retentit souvent sur le théâtre d'Athènes, avoit conçu pour Hippolyte, qu'il avoit eu d' Antiope, reine des Amazones, un amour qu' elle condamnoit, dont le jeune prince avoit horreur, et qui causa bientot la perte de l'un et de l'autre. Dans le même temps, les Pallantides, à la tête des principaux citoyens, cherchoient à s'emparer du pouvoir souverain qu' ils l'accusoient d' avoir affoibli: le peuple avoit perdu dans l'exercice de l'autorité, l'amour de l'ordre, et le sentiment de la reconnoissance. Il venoit d'être aigri par la présence et par les plaintes de Castor et de Pollux, frères d' Hélène, qui, avant de la retirer des mains auxquelles Thésée l'avoit confiée, avoient ravagé l' Attique, et excité des murmures contre un roi qui sacrifioit tout à ses passions, et abandonnoit le soin de son empire, pour aller au loin tenter des aventures ignominieuses, et en expier la honte dans les fers. Thésée chercha vainement à dissiper de si funestes impressions. On lui faisoit un crime de son absence, de ses exploits, de ses malheurs ; et quand il voulut employer la force, il apprit que rien n' est si foible qu' un souverain avili aux yeux de ses sujets. Dans cette extrémité, ayant prononcé des imprécations contre les Athéniens, il se réfugia auprès du roi Lycomède, dans l' île de Scyros ; il y périt quelque temps après, ou par les suites d' un accident, ou par la trahison de Lycomède, attentif à ménager l'amitié de Mnesthée, successeur de Thésée.

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