Français par sa mère, Grec par son père, à 37 ans, Patrick Mouratoglou est une figure incontournable du tennis. Meilleur espoir français à 15 ans, il fonde, en 1996, dans les Yvelines (France), la Mouratoglou Tennis Academy, première école dans son genre en Europe. Avec une méthode d'enseignement personnalisée, qui fait exploser le potentiel réel du joueur, il s'impose dans le tennis de haut niveau. Son plus beau fleuron, le Chypriote Marcos Baghdatis est désormais un familier des courts internationaux. Les talents de la MTA n'ont pas fini de nous surprendre. Entretien.
i-GR – Comment avez-vous réussi à hisser en une décennie la MTA au rang des cinq meilleures académies de tennis au monde ?
Patrick Mouratoglou – Des académies, comme Bollettieri, pour ne citer que la plus importante, existaient déjà aux Etats-Unis. En France, il n’y en avait pas. Lorsque j’ai créé la mienne, en 1996, j’ai observé que tout fonctionnait sur un même mode : la sélection naturelle. Le principe est simple : on prend un maximum d’individus que l’on soumet à un entraînement identique. A la fin, il en sort forcément quelque chose : certains réussissent, quand une multitude échoue. Je me suis dit que si l’on était capable de choisir des joueurs ayant un réel potentiel en vue d’un travail personnalisé, on devait obtenir des résultats extraordinaires. Tel était mon projet de départ, à contre-courant des idées en vogue dans le tennis à l’époque. Au début, personne n’y a cru, mais dès l’obtention des premiers résultats, on a compris que ma démarche n’était pas absurde, qu’elle avait un sens. J’ai observé le tennis de haut niveau. J’ai tenté de saisir ce qui fait la performance ou ne la fait pas. De bons joueurs de tennis, il en existe des milliers. La différence entre un champion et un joueur simplement talentueux, c’est l’état d’esprit. L’essentiel se passe dans la tête. L’esprit, le mental entraînent tout le reste. Les champions d’aujourd’hui comme les sœurs Williams, Sharapova ou Rafael Nadal ou encore Lleyton Hewitt nous le démontrent tous les jours.
i-GR – Définissez-nous ce qu’est « un état d’esprit de champion »…
P. M. – C’est une psychologie particulière. Un champion a une ambition démesurée. Il est possédé par la rage de vaincre. Il n’a pas peur de l’avenir. Il a une immense confiance en lui, il affronte les choses tous les jours et ne se cache pas derrière des excuses. Regardez Richard Williams : il a inculqué cet état d’esprit à ses deux filles, Serena et Venus. Je l’ai rencontré récemment. Nous avons longuement discuté : ce qui l’intéressait, ce n’était pas tant le tennis, mais d’armer ses filles pour la vie, de leur donner les moyens de réussir quoi qu’elles entreprennent. Pour obtenir ce résultat, il n’a rien laissé au hasard, il leur a consacré 100 % de son temps. Il avait annoncé à leur naissance qu’il en ferait des n° 1 mondiales. Il l’a fait. Les voir jouer toutes les deux les finales des grands chelems est vraiment surréaliste.
i-GR – A 15 ans, vous étiez l’un des meilleurs espoirs du tennis français. Pourquoi avez-vous arrêté ?
P. M. – Le tennis est toute ma vie. Ça l’a toujours été. Je ne me voyais pas faire autre chose, mais à 15, 16 ans, mes parents ont voulu que je fasse des études. Ils estimaient que le sport était trop aléatoire. Ils préféraient avoir des certitudes pour mon avenir. Ils ont donc souhaité que je mette un terme à l’entraînement intensif, car le tennis de haut niveau et les études traditionnelles étaient incompatibles et continuent à l’être d’ailleurs. Par la force des choses, j’ai dû arrêter.
i-GR – Vous le regrettez ?
P. M. – Ah oui ! Je le regrette encore aujourd’hui. J’ai eu l’impression qu’on me volait mon avenir, qu’on me volait ma vie en quelque sorte. Et puis, finalement, j’ai pu transformer cette frustration en quelque chose de positif. Maintenant, j’aide les joueurs à réaliser ce que je n’ai pu faire. C’est une manière de vivre mon rêve. J’ai de moins en moins de regrets, mais avec cette question à jamais sans réponse : aurais-je pu devenir un champion de tennis ?
i-GR – Un champion qui s’appelle Mouratoglou. Les Grecs auraient été contents…
P. M. – Sans doute. C’est un nom qui vient d’Asie mineure. Mon père est grec, d’Athènes. Il a quitté la Grèce à l’âge de 13 ans, quand ses parents ont décidé de venir vivre en France. Il s’est marié avec une Française. Je connais bien la Grèce parce que mon père y a une maison dans les Sporades. Jusqu’à 15 ans, j’y suis allé chaque année. Maintenant que mes enfants sont assez grands pour voyager, j’ai bien l’intention d’y retourner régulièrement. Avec le temps qui passe, j’éprouve une certaine nostalgie. La Grèce, c’est toute mon enfance. J’y suis très attaché, je m’y sens bien, même si je suis né en France, avec une culture 100 % française. Puis, ma rencontre avec le joueur chypriote Marcos Baghdatis a été déterminante. Le côtoyer tous les jours était une façon de retrouver mes racines grecques.
i-GR – Vous avez travaillé avec votre père avant de créer votre académie.
P. M. – Mes grands-parents se sont installés en France avec peu de moyens. Mon père était brillant, il a fait Polytechnique. Il s'est lancé très tôt dans la création d'entreprises et a réalisé de grands projets immobiliers. Il y a une quinzaine d’années, il s’est intéressé à la production d’énergies renouvelables. Comme j’avais fait des études de commerce, j’ai travaillé cinq ans avec lui. Son entreprise, devenue une filiale à 50 % du groupe EDF, EDF Energies Nouvelles, est entrée en bourse en novembre dernier. Effectivement, mon expérience de gestion d’entreprise auprès de mon père m’a été très utile pour monter ma propre société. Sa principale activité est le tennis, avec, d’une part, l’Academy et ses joueurs et, d’autre part, les diverses activités périphériques.
i-GR – Vous créez donc la PMSportsGroup.
P. M. – La PMSportsGroup comprend plusieurs structures : à côté de la MTA, j’ai créé, en 1999, la Mouratoglou Management For Players dont l’objectif est de valoriser l’image des joueurs et de négocier pour eux des contrats publicitaires. Depuis 2003, je suis actionnaire de la Once Upon A Time Tennis Kid’s Cup, la OUATT, le plus important tournoi de jeunes du monde en nombre de participants. Tous les joueurs, logés sur place, seuls ou avec leur famille, prennent leurs repas élaborés par un nutritionniste et s’entraînent à la Mouratoglou Tennis Academy dont les locaux se trouvent au sein du Liberty Country Club que j’ai racheté, en juin 2004, et totalement rénové. Il se trouve dans les Yvelines, à trente kilomètres de Paris.
i-GR – Comment sélectionnez-vous vos joueurs ?
P. M. – Je me rends dans les tournois du monde entier. Je voyage avec mes coaches. Mon métier est de connaître les joueurs, les meilleurs jeunes de moins de 12 ans, de moins de 14, de moins de 16, etc. Un grand nombre de joueurs viennent aussi à moi. Chaque semaine une quinzaine arrivent pour être testés, avec l’espoir d’intégrer l’Academy. Je reçois environ mille demandes par an. Le monde du tennis est un petit milieu, on se connaît tous plus ou moins. Les joueurs qui m’intéressent sont peu nombreux : des joueurs avec du potentiel, il y en a plein mais des gens exceptionnels, il y en a très peu. Ce sont ceux-là qui m’intéressent. Je veux leur donner des grands chelems, des tournois mondiaux.
i-GR – Combien de joueurs avez-vous en ce moment ?
P. M. – Quinze. J’ai constitué mon premier groupe de qualité, en 1998, deux ans après la création de l’Academy. Je les ai pris très jeunes, il me faut du temps pour les amener au top niveau. On ne saurait donc comparer mes résultats avec ceux de la Bollettieri, qui existe depuis quarante ans.
i-GR – Marcos Baghdatis fait partie de ce groupe ?
P. M. – Marcos, je l’ai repéré dans un tournoi. C’était en 1999, en France. Il avait 13 ans. Il participait aux Petits As, où il avait terminé quart de finaliste. Je ne manque jamais ce championnat du monde des 12–14 ans, de même que l’Orange Bowl, à Miami, autre championnat du monde juniors. J’ai donc vu Marcos qui n’était pas exceptionnel en termes de niveau. Par contre, j’ai décelé en lui un potentiel et un charisme vraiment exceptionnels, qui m’ont beaucoup plu. J’ai proposé à son père de le prendre une semaine à l’Academy pour faire connaissance et voir si l’on pouvait travailler ensemble. Ma proposition tombait à pic car, au même moment, le père de Marcos cherchait à le sortir de Chypre, où les joueurs sont trop peu nombreux et où l’on a du mal à trouver des coaches compétents. Il s’était dit : « Pour que mon fils réussisse, il faut qu’il parte. S’il reste à Chypre, il n’y arrivera pas ». Marcos est venu ici faire une semaine d’essai. Son père a considéré que c’était vraiment ce qu’il lui fallait. Il me l’a confié. Je l’ai entraîné personnellement, pendant un an. J’étais tout le temps avec lui sur le court et en dehors du court, je l’accompagnais dans les tournois. Marcos a maintenant 22 ans. C’est une relation exceptionnelle, une belle aventure tennistique et une belle amitié qui continuent.
i-GR – Mais, dernièrement, la presse chypriote a parlé d’un retour au pays...
P. M. – Après tant d’années en France, il a envie de voir sa famille, ses amis ; il retourne régulièrement chez lui. Il s’entraîne aussi de temps en temps à Chypre. On lui envoie un préparateur physique de l’Academy pour un travail spécifique. Mais les trois-quarts de son temps d’entraînement se passent ici. Marcos est un garçon très sensible. Il cherche son équilibre. Il est différent d’un Nadal qui fonce tout droit sans se poser de questions ! Il a beaucoup souffert de la séparation d’avec ses parents. Il s’est dit, je vais réussir puis je vais rentrer chez moi. C’est ce qu’il a fait. Nous avons longuement discuté ensemble pour essayer de trouver un nouvel équilibre. Avant, il vivait ici 365 jours par an, il y travaillait tout le temps, il ne décompressait jamais. Il avait besoin de s’évader, de se changer les idées, de vivre en dehors de ce cadre de travail. Pour lui, Chypre c’était parfait. Quand il est sur son île, il est au soleil, avec ses amis, il peut aller à la plage, il se détend complètement, puis, il se remet au travail en se donnant à fond. Il ne faut pas oublier que Marcos, comme tous les autres gosses qui sont à l’Academy, sont fous de tennis, ils sont contents d’être ici. Ils savent qu’ils ont une chance unique. Marcos, classé 19e, en ce moment, a un potentiel de top 5 mondial. Maintenant qu’il a passé cette période où il avait besoin de trouver ses marques dans sa nouvelle vie, il va aller de l’avant.
i-GR – De quels autres joueurs vous occupez-vous ?
P. M. – D’une Ukrainienne de 23 ans, Julia Vakulenko, 40e mondiale. Avant qu’elle ne rejoigne l’Academy, son meilleur classement avait été 70e. En janvier, elle était 120e, elle est donc montée de 80 places en six mois. Elle a failli battre Svetlana Kuznetsona, la 3e mondiale, à Wimbledon, elle a mené 6/4, 4/2, balle de 5/2, avant de perdre le second set, puis le troisième 6/3. Elle a battu Kim Clijsters et Amélie Mauresmo. Elle est très accrochée, en pleine progression. Elle peut être dans les meilleures. Elle n’a plus de points à défendre. J’ai également la Française Aravane Rezai, 20 ans, 50e mondiale. En mai dernier, elle s’est imposée, en demi-finale du tournoi d’Istanbul, 6/2, 6/4 face à l’ancienne n° 1 mondiale, la Russe Maria Sharapova. Elle a également battu l’Américaine Venus Williams. J’ai donc aujourd’hui deux joueuses classées dans les 50 meilleurs mondiaux. Du côté des juniors, je travaille avec l’actuelle championne du monde, Anastasia Pavlyuchenkova, 15 ans, et la numéro 3 mondiale junior, la Biélorusse, Ksenia Milevskaya. En ce moment, nous avons à l’Academy un groupe vraiment exceptionnel. On fera le bilan à la fin de l’année.
i-GR – Comment se passe une journée d’entraînement ?
P. M. – Tout dépend des joueurs. Je fais du sur mesure. Certains doivent être entraînés plus que d’autres. Grosso modo, ils s’entraînent 4 heures au tennis, ils ont 2 heures de préparation physique, des soins kiné – et école pour les plus jeunes qui suivent des cours par correspondance. Des professeurs viennent à l’Academy pour les aider, ils leur apportent un soutien scolaire. Quand la famille est ici, c’est elle qui prend soin des études de leur enfant. Sur le plan purement sportif, j’ai une dizaine de coaches. Je connais évidemment tous les joueurs. On travaille ensemble pour déterminer le programme de chacun. Je forme également mes coaches en contrôle continu, j’interviens directement, ou bien je leur signale les choses que j’ai vues. C’est comme ça que ça marche.
i-GR – Ce qui au bout du compte doit revenir assez cher…
P. M. – Les enfants, eux, ne paient pas. S’ils réussissent un jour, ils me rembourseront. Sinon, l’investissement est considéré comme perdu – mes autres activités me permettent de générer des fonds. Les joueurs, par contre, paient selon leurs gains provenant des tournois. S’ils n’en ont pas, ils ne paient pas non plus. En fait, ils établissent un contrat de longue durée avec la Mouratoglou Management for Players, qui prend en charge tous les frais d'entraînement, d’hébergement, de nourriture et de déplacement dans les tournois du joueur et de son coach. Ces frais sont minorés par les contrats avec les équipementiers et par des aides fédérales. Dans 90 % des cas, je deviens leur agent, en prenant le même pourcentage qu’un agent classique : 20% sur les contrats publicitaires que nous leur trouvons. J’ai également un site Internet www.coretennis.net, qui me permet de donner tous les résultats, de tous les tournois, dans le monde entier, de toutes les catégories d’âge. Cette base de données est proposée aux fédérations et aux spécialistes du métier.
i-GR – Vous êtes aujourd’hui un acteur majeur dans le milieu du tennis. Vous surfez sans complexe entre le business, le management du mental et l'entraînement sportif. Ce n'est pas très courant en France…
P. M. – C'est vrai, je dérange un peu. Ma méthode n’est pas très française... Mais les résultats sont là. Dès que l’on sort du ronron habituel, on est montré du doigt… jusqu’au jour où ça marche !
Propos recueillis par
Cassandre Toscani