“Malgré que j'aie accepté leur obligation de me convertir à l'Islam, à leurs yeux j'étais toujours une étrangère. Et, une étrangère, ils veulent qu'elle soit encore plus soumise que les femmes arabes.”
« C'est une histoire vraie », me dit-elle en me tendant un exemplaire du livre qu'elle sort de son sac à main. A peine ai-je le temps d'observer la grande silhouette enroulée dans le tchador noir que ma voisine – mieux au courant – s'interpose, cachant mal sa gêne : « et vous avez gardé le prénom de votre mari ! » « Oh oui, l'éditeur avait vraiment insisté, il pensait que cela vendrait mieux. » Je comprends alors que, pas seulement, il s'agit d'une histoire vécue mais aussi de l'histoire personnelle de cette ancienne étudiante grecque en France, devenue depuis hôtesse de l'air pour vols VIP sur les lignes de l'Arabie Saoudite. Εφιαλτικές Νύχτες. Nuits de cauchemar, dans le désert de l'Arabie. Effectivement au top des ventes en Grèce.
Alexandra Symeonidou-Al-Madil y raconte son histoire d'un amour foudroyant avec un pilote de ligne arabe. Une histoire qui a mal tourné et qui l'oblige neuf mois plus tard de fuir dans le désert, un enfant de 5 mois dans son ventre. Alexandra rêvait de vivre à Paris, ce fut le huis clos des femmes de Jeddah, régime islamique de rigueur. Pour une grecque, ça en était trop. La résistance augmente alors au fur et à mesure que les pressions s'accumulent et que les… coups pleuvent.
iNFO-GRECE : Vous êtes d'abord venue faire des études en France… Comment finit-on, comme ça, à vivre en épouse islamique en Arabie Saoudite ?
Alexandra Symeonidou : C'était presque naturel que je vienne poursuivre mes études en France, puisque j'apprenais le français dès mes plus jeunes années. Mes parents s'intéressaient de près à notre apprentissage des langues. J'avais un professeur suisse.
i-GR : Ils avaient une raison particulière ?
A. S. : Non, mon père venait de Constantinople, il était arrivé après la catastrophe de l'Asie Mineure en 1924. Ma mère était, elle, d'Athènes depuis quatre générations…
i-GR : C'était une décision difficile de partir en France ?
A. S. : Non, pas vraiment. Il a fallu l'encouragement de quelques amis pour que je me décide. Je me suis inscrite à l'Université d'Aix en Langues et civilisation anglo-américaine…
i-GR : Pas très habituel pour une grecque venant faire des études en France…
A. S. : En effet, mais je m'étais dit que de toute façon étant en France, j'allais apprendre automatiquement sur la civilisation française. Alors, autant que j'en profite pour apprendre autre chose à l'Université. Puis, une fois en Licence, je me suis inscrite en 2 e année d'Etudes Politiques.
i-GR : Que vous avez interrompues…
A. S. : Avec le décès de mon père, j'ai dû rentrer à Athènes. Je suis revenue en France quelques années plus tard pour faire des études de Relations publiques. Pendant un moment j'ai travaillé à l'Office du Tourisme grec, avenue de l'Opéra.
Publié chez un des grands éditeurs grecs en août 2004, Efialtikes Nychtes a été chaleureusement accueilli par la presse grecque et il est rapidement devenu un best seller dans le pays. Depuis, Alexandra est sans cesse invitée pour livrer son témoignage en direct dans des réunions de femmes, ce qui ne lui a pas empêché d'écrire une suite qui devrait paraître prochainement. Une adaptation pour le cinéma est en cours d'élaboration et Alexandra, connaissant bien la France pour y avoir fait ses études supérieures, ne désespère pas de trouver un éditeur pour la traduction française.
i-GR : C'est votre premier contact avec les métiers du tourisme ?
A. S. : En fait, j'ai beaucoup voyagé quand j'étais à Paris. A chaque occasion, pour parfaire la langue, ou pour des stages, je voyageais en Angleterre, en Espagne… »
Alexandra se remémore avec nostalgie ses années estudiantines. La vie semble lui sourire. Une place s'ouvre à Luxembourg, dans une des institutions de la Communauté européenne. Après le concours, elle reçoit le billet aller. Il ne sera jamais utilisé. Alexandra a peur d'aller vivre « dans un petit Etat comme celui-ci. »
A. S. : Bien sûr, après, j'ai changé d'avis, mais il était trop tard !
Dans un pays comme la Grèce où tout le monde rêve d'un poste de fonctionnaire pour ses enfants, son milieu ne comprend pas son refus. « Votre mère ? » « Pas tant… Surtout, les autres parents, l'éntourage, les amies… »
Elle décide alors de repartir à l'étranger. Le premier prétexte sera le bon. Une petite annonce pour un emploi d'hôtesse de l'air sur les lignes de l'Arabie Saoudite. La suite est dans Nuits de cauchemar. Amour fou avec un pilote arabe. Conversion dans l'Islam. Mariage. Relations tumultueuses avec la belle-mère et l'Enfer de la vie des femmes en Arabie Saoudite.
i-GR : Ce ne doit pas être évident de raconter son histoire personnelle. Aviez-vous d'autres expériences d'écriture ?
A. S. : J'ai toujours aimé écrire. Un peu l'entraînement des langues, un peu mes lectures. Avec mon fils, en l'accompagnant dans ses devoirs, j'ai redécouvert un plaisir de lire et d'écrire que ma vie professionnelle avait un peu mis entre parenthèses.
i-GR : Quel est le regard que vous portez sur votre aventure, maintenant qu'elle est ‘couchée sur le papier' ?
A. S. : Mon histoire a commencé idéalement, comme une histoire d'amour. Mon ‘ex' était une personne cultivée, avec des études aux Etats-Unis. Cela me mettait en confiance et je pensais qu'en faisant abstraction de nos différences culturelles, cet amour était possible.
i-GR : Cependant, vous n'en avez pas vraiment fait abstraction, puisque vous avez dû vous convertir à l'Islam.
A. S. : En m'installant en Arabie Saoudite, les choses ont brutalement changé. Malgré que j'aie accepté leur obligation de me convertir à l'Islam, à leurs yeux j'étais toujours une étrangère. Et, une étrangère, ils veulent qu'elle soit encore plus soumise que les femmes arabes. Je devais en permanence faire face à une opposition à tout ce que je voulais entreprendre.
i-GR : Et pourtant ça commence comme un conte de fées. Voyages, grands hôtels, la magie de l'Orient…
A. S. : Il y avait des signes précurseurs, mais je ne leur accordais pas beaucoup d'importance à l'époque. Mon ex-mari a commencé par m'obliger à arrêter mon travail, parce que même cela n'était pas souhaitable. Il était aussi otage des siens, il devait en permanence faire plaisir à sa mère. Pendant quelques mois nous sommes restés à Athènes, le temps de ‘faire les papiers' et d'organiser notre installation à Jeddah. Si je devais donner à un moment ou un autre mon opinion, cela ne comptait pas, il n'y avait jamais de réponse. Et une fois à Jedahh, je n'existais plus, pas seulement je n'avais jamais droit à une explication, au contraire les coups pleuvaient, on me tirait par les cheveux, on me menaçait avec des couteaux…
i-GR : Comment sa famille, votre belle-famille, réagissait à cela ?
A. S. : Mais c'étaient eux les pires ! C'étaient six garçons, six frères, soumis à un régime matriarcal. C'est leur mère qui commande à tout et ils lui doivent une obéissance aveugle. Tout cet environnement me voyait comme une insoumise. Le fait qu'eux perdaient raison en me battant, c'était – disaient-ils – à cause de moi. C'était encore de ma faute !
i-GR : Et votre mère à vous, à Athènes ?
A. S. : Elle ne savait pas grande chose, mon accès au téléphone était contrôlé. Mes conversations avec ma mère ont fini par être sommaires. Codées en un seul mot. Oui. Non. Autrement je devais rendre compte de ce qui j'ai dit, pourquoi j'ai dit ceci et cela.
i-GR : Jusqu'au jour où elle vient vous rendre visite…
A. S. : J'étais enceinte, au cinquième mois. Elle est venue me voir à Jeddah. Un matin où mon ex-époux s'était absenté, elle me prend par la main et elle me dit : ‘ma fille, on y va…' Nous avons couru dans le désert, nous nous sommes cachées dans les rues jusqu'à atteindre les locaux de l'Ambassade de Grèce où nous avons demandé de l'aide. Après des interventions diplomatiques et une fois que lui se soit déchargé de la res ponsabilité de ma grossesse, j'ai pu partir et rentrer en Grèce.
i-GR : Est-ce que l'écriture du livre vous a aidé à dépasser cette expérience, disons, à surmonter son poids ?
A. S. : Ce fut une expérience tragique. Comme une descente aux enfers. Je n'arrivais pas à croire que des telles choses pourraient avoir lieu en vérité. Malgré toutes les concessions que j'ai fait, à leurs yeux [de la belle-famille arabe], je restais de toute façon une femme d'une autre religion, une étrangère, une non désirée. C'était un poids que je traînais en permanence sur moi. Il fallait que je sorte de là. L'écriture du livre a duré 8 ans ; je n'arrivais pas à dépasser ce que j'avais vécu, à sortir de l'histoire… à mettre un point final. Jusqu'en 2003. Là, j'ai réuni toutes mes forces, en l'espace de trois mois j'ai relu le tout, je l'ai mis dans un ordre, et maintenant je peux dire que je me suis libérée de ce poids. La déposition a été faite.
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Propos recueillis par AE à Paris