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Et, si c'était nous…

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By iNFO-GRECE,

Quels paradoxes ! Celui qui a fait barrage à la progression du Front National, se fait traiter de danger pour la France ; les zélotes autoproclamés de la République, flirter avec les apôtres du trotskisme. Ceux que les médias ont fabriqués, s'en plaindre d'être les mal aimés des… médias ; ceux qui ont fait les médias, s'en méfier comme de la peste. Et, si c'était elle… et voilà que la machine s'emballe. Et, si c'était lui… voilà qu'on fait demi-tour ! Et si c'était nous ?

Nous, non, pas les Grecs ; dit sur un site grec d'expression française, cela pourrait prêter à malentendu, alors dissipons l'ambiguïté. Disons, nous, nous qui avons l'esprit grec ; nous, vous, éduqués au culte de la démocratie, élevés à l'hymne à la liberté et grandis à l'horizon du voyage… Nous, vous, les enfants d'Ulysse et de Cavafy. Oui, si c'était nous les gagnants de ces élections françaises… Mais faut-il user de la forme interrogative, puisque nous les avons déjà gagné !

La campagne présidentielle qui s'achève, c'est notre victoire. Vive, intelligente, avec les coups bas de circonstance, avec les écarts de langage qui l'accompagnent, mais démocratique avant tout. D'accord, tous les débatteurs n'étaient pas du même niveau, tous les candidats n'ont pas respecté toutes les règles, écrites ou implicites, mais qu'importe. La forme y était. Car, la démocratie est d'abord une question de forme plus que de fond.

Je vous vois déjà vous redresser… pas d'accord… comment ça ? Je m'en explique. Prenons, par exemple, la Turquie. C'est une république, qui plus est - important aux yeux de beaucoup de Français - laïque. Cela a l'air très intéressant, mais trouvez-vous que la forme démocratique y est ? Bien sûr que non. Peut-être avez-vous eu à participer à des assemblées estudiantines ? Des choses passionnantes s'y discutent. Mais lorsque arrive l'heure des délibérations trouvez-vous que le processus démocratique est respecté ? Il y a beaucoup de doutes. On peut d'ailleurs nourrir les mêmes doutes pour les réunions syndicales ou pour les assemblées d'actionnaires des grandes entreprises. Une famille peut détenir moins de 10% des droits mais contrôler l'issue du débat. Donc, le fond ne peut s'exprimer correctement que si la forme y est. Sinon, le fond se perd, les belles idées ne sont plus qu'un à-valoir.

Certes, cela va à l'encontre d'un certain idéalisme, mais rarement le fond, les idées - eussent-elles puisé dans le meilleur des intentions - n'ont donné lieu à des formes durables de démocratie et de liberté. Pas besoin d'évoquer l'exemple soviétique, restons avec les nôtres. Platon, l'inspirateur de nos démocraties occidentales, n'a envisagé qu'une république de sages bien autoritaire. Aristote, lui, bien plus dogmatique par certains égards, dessinait des contours d'une démocratie beaucoup plus ouverte. Car, si la qualité des seules idées suffisait pour accoucher d'un système démocratique, il n'y aurait point besoin de… système !

Un système, avec ce qu'il sous-entend d'institutions et de processus, est là justement parce que les idées ont besoin d'un cadre pour s'exprimer ; besoin d'une forme pour prendre corps. Parce que si l'homme est capable d'accoucher d'idées parfaites, lui-même reste imparfait. Parce qu'il y a besoin d'un cadre pour que l'animal devienne politique. Parce que c'est dans leur confrontation avec le cadre, avec ses limites, que les idées se définissent et qu'elles s'avèrent justes ou non. Et si les idées dans les présentes élections laissent à désirer, le cadre, lui, a fait ses preuves qu'il pouvait garantir l'expression démocratique.

De ce point de vue, on peut dire qu'on a déjà gagné. On a gagné parce que les candidats qui s'affrontent ces jours-ci en France pour la fonction la plus élevée du pouvoir ont pu s'exprimer librement, et, on a gagné parce que nous avons pu les juger librement. On a gagné parce que nous avons voté massivement et que nous serons encore nombreux à nous rendre aux urnes pour le second tour. On a gagné parce que nous pouvons nous exprimer en toute liberté sans craindre que demain sera un jour noir.

Pas plus que la démocratie française n'a été ébranlée par l'arrivée de Mitterrand en 1981 au pouvoir, pas plus qu'elle n'a été mise en danger au cours des longues périodes de cohabitation, pas plus elle ne craint de l'accession de Sarkozy demain à la présidence. La diabolisation de l'ennemi fait partie du jeu et des stratégies électorales. Demain, elle sera oubliée et le train-train quotidien reprendra le dessus. Espérons seulement que, dans cette routine, les promesse du candidat - qui qu'il soit élu - ne seront pas toutes oubliées aussi.

Mais, nous, nous avons déjà gagné. Nous avons gagné nos institutions et leur démocratie. Réjouissons-nous d'en partager l'esprit avec tous les peuples de l'Europe. Cet esprit né il y a un peu plus de deux millénaires sous le soleil grec aux pieds d'un rocher appelé Acropole.

i-GR/AE

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