Skip to main content

Quand la chèvre a mangé le chou, Annan devrait-il démissionner ?

Profile picture for user iNFO-GRECE
By iNFO-GRECE,

La diplomatie consiste souvent en l'art subtil de ménager le chou et la chèvre. Mais à force de s'adonner à ces subtilités, on risque de faire choux blanc, voire de se trouver dans les choux, surtout quand la chèvre a déjà brouté dans son butin, sans pour autant rassasier son appétit. Voilà à quoi risque de se résumer l'histoire contenue dans les 9000 pages que le Secrétaire général des Nation Unies doit remettre aujourd'hui à Buergenstock (Suisse) aux Chypriotes grecs, aux Chyproturcs, aux Grecs et aux Turcs, en guise de projet pour la création d'un nouvel Etat chypriote.


Qu'il est loin le temps où l'on faisait appel aux sages et aux philosophes pour imaginer les structures de l'Etat idéal ! Aujourd'hui, il faut pas moins de 9000 pages au Secrétaire des Nations Unies pour expliquer son projet de création d'un Nouvel Etat de Chypre, pirouette pour sortir de l'impasse de 20 ans de pourparlers sans résultats. On imagine aisément le nombre de fonctionnaires et d'experts qui ont dû plancher sur la question. Le résultat ne pourra être qu'à l'image du processus qui l'a généré, c'est-à-dire un échafaudage inexplicable et impraticable. Et sur ce, Kofi Annan a l'ambition de le proposer à un référendum direct à la population ! On aura vu rarement un tel mépris des populations concernées, et, du moins en ce qui concerne la partie greco-chypriote héritière de fait de la République actuelle de Chypre, de ses autorités politiques, légalement et démocratiquement élues, et internationalement reconnues.

En usant de son droit d'intervention en 1974, la Turquie faisait entrer son armée à Chypre et faisait échouer le coup d'Etat fermenté par la junte des colonels grecs. Abusant de la situation elle s'y installait et imposait de fait une division de l'île, jetant des centaines de milliers de chypriotes grecs hors de leurs foyers. Une aubaine pour les cadres militaires turcs qui se sont installé dans les villas restées vacantes et pour les dizaines de milliers de colons amenés des fins fonds de l'Anatolie. Ils laissaient leurs montagnes arides et enneigées pour s'accaparer les plaines fertiles d'une Chypre ensoleillée. Autant de voix faciles aussi dans les urnes pour les politiciens turcs et chyproturcs.

Qu'en a fait l'ONU pour cela ? Des résolutions restées lettres mortes. Certains y ont vu la mauvaise volonté américaine dans la mollesse onusienne. C'est aller un peu vite en besogne et oublier que dans la vénérable institution la représentation de dizaines de petits états du tiers monde, ne brillant pas forcement ni par leur excellence démocratique ni par leur sens de la justice, souvent sensibles aux lobbies musulmans, forment majorité. C'est aussi oublier que de telles institutions, et notamment leurs dirigeants, défendent leur propre raison d'être. Corollaire de cette situation est que la recherche du compromis l'importe sur la recherche de la justice. Parfois, compromis et justice peuvent coïncider. Dans le cas de Chypre, la recherche d'une solution juste est antinomique du compromis. D'où les impasses successives et l'échec de tant de médiations onusiennes. Cette fois, le Secrétaire général des Nations Unies semble décidé à aboutir, vaille que vaille, en coupant la poire en deux. Le hic est que les Turcs et Chyproturcs ont déjà mangé une part de la poire, sans attendre le feu vert de l'ONU.

Laissons les poires mûrir sur leurs arbres et les choux pousser dans leurs champs et regardons de plus près pourquoi le fameux plan Annan, déjà à sa quatrième mouture, est non seulement incompréhensible mais tout simplement la pauvre copie de technocrates n'ayant pas la moindre idée de ce qu'est la Politique. A un tel degré de nullité, inutile de rappeler que la constitution d'un Etat ne peut tenir sans idéaux et sans valeurs communes qui l'animent, et encore moins sans vision de l'histoire qui le fonde, mais on ne perd rien à le répéter. Faire miroiter aux Chyproturcs le paradis européen, comme les islamistes promettent des kilos de pilaf et des douzaines de vierges à leurs kamikazes, est certainement motivant, mais non, comme on pourrait l'espérer, pour consentir à rendre ce qu'ils ont obtenu par la force, mais au contraire, et comme on peut le craindre, pour en demander davantage.

Ce que Kofi Annan a été assez intelligent pour comprendre et prêt à leur s'accorder à leurs revendications, mais aussi assez bête pour compter que les populations grecques et chypriotes avaleraient sa potion magique pour se débarrasser à n'importe quel coût de l'épineux mal de tête que leur causent leurs voisins d'Asie.

Que propose-t-il alors ?

Si les présentes négociations venaient à échouer, il organiserait un référendum séparé dans les deux parties de Chypre le 20 avril. Comment expliquera-t-il ses 9000 pages aux populations ? En tout cas, s'il arrivait à emporter l'adhésion des deux populations (chypriote-grecque et chypriote-turque) à son référendum, la nouvelle "République Unie de Chypre" entrerait dans l'Union Européenne au 1er mai 2004. Si un des référendums était négatif, l'actuelle République de Chypre adhérerait à l'Union Européenne "en l'état" ; l'adhésion de la partie nord de l'île, occupée par l'armée turque serait "gelée".

Les lois locales prévalent sur les lois fédérales !

Le régime de la nouvelle République Unie de Chypre sera fédéral, mais il n'en portera que le nom puisqu'il s'approche davantage de la confédération. Les références au modèle helvétique ou belge ne servent ici qu'à camoufler le fait que le régime décrit dans le plan Annan n'a jamais été appliqué nulle part. Les deux Etats composant la nouvelle République seront égaux et les lois de l'Etat commun (fédéral) ne pourront se prévaloir sur les lois des Etats "composants" ! Il y aura trois gouvernements et quatre corps législatifs ! Drôle de République !

Chaque composante sera pleinement souveraine et la démocratie est rangée dans le placard à balais !

Chaque Etat aura sa Constitution et sera souverain sur l'ensemble des domaines, y compris celui de traités avec des pays tiers. Autant dire que la référence à la souveraineté de la République commune, Annan est le seul à savoir ce qu'elle recouvre.

En ce qui concerne la représentation auprès de l'Union Européenne, il y aura deux représentants (un Chyproturc et un Chypriote-grec) selon l'exemple belge.

Dans le nouvel Etat commun, le principe de la majorité sera soumis au principe des majorités particulières de chaque composante. Les lois devront être votés à la fois par le Parlement et par le Sénat. Le Parlement commun sera composé et figé sur une base raciale ou confessionnelle : 33 membre Chypriotes grecs, 12 Chyproturcs, un Latin (catholiques), 1 Maronite, 1 Arménien. Le Sénat sera composé à moitié-moitié de 24 Chypriotes grecs et de 24 Chyproturcs. Pour qu'un projet de loi arrive au Sénat, il ne suffira pas qu'il ait acquis la majorité au Parlement, il faudra encore qu'il soit voté par au moins six Chyproturcs, dans le cas des lois ordinaire, et par 10 Chyproturcs dans le cas de lois fondamentales ! Autrement dit, les Chyproturcs disposeront d'un véritable veto.

Le Conseil Présidentiel, d'où est issu le chef de l'Etat, est composé de 4 Chypriotes Grecs et de 2 Chyproturcs. Le Président du Conseil qui représente la République Unie de Chypre sera désigné pour 10 mois, sans pouvoirs particuliers. Il sera par alternance 2 fois Chypriote grec et une fois Chyproturc. Si le Président est grec, le vice-président sera turc et vice-versa. Le même souci d'"équité" et de blocage garanti des institutions est observé au niveau du ministère des Affaires étrangères où si le ministre est d'origine greque-chypriote, le ministre des Affaires européennes sera obligatoirement d'origine chyproturque.

Justement en cas de désaccord et de blocage, le problème est renvoyé devant une Cour Suprême composée de 3 Chypriotes-grecs, de 3 Chyproturcs et de 3 juges étrangers. Autrement dit ce seront les juges étrangers, ne disposant d'aucune légitimité démocratique qui détermineront l'issue des questions majeures de l'île.

Sur le plan militaire, l'île sera démilitarisé et une force de 6000 soldats Grecs stationnera dans l'Etat chypriote-grec et autant de turcs dans l'Etat chyproturc. L'ONU aura aussi sa force internationale.

Annan a même pensé à la composition de l'administration publique qui devra comporter au moins 1/3 de Chyproturcs et même 50% dans le cas de la police fédérale ! Sans doute que le Secrétaire des Nations Unies n'a jamais entendu parler de l'Union Européenne et du droit de ses citoyens d'être employés dans les administrations publiques indifféremment à leur nationalité !

Membres de l'Union Européenne, les Chypriotes-grecs ne disposeront pas du droit de libre circulation dans leur propre île !

Il y aura une nationalité chypriote commune, mais chaque Etat composant aura aussi sa propre nationalité, sans pour autant que cette dernière puisse se substituer à la nationalité commune. On n'a rien trouvé de mieux pour satisfaire l'exigence des Chyproturcs à empêcher l'installation libre et l'acquisition des biens par les chypriotes grecs, que de reconnaître une nationalité distincte aux Chyproturcs, demande permanente de leur chef Raouf Denktash de disposer de ses propres symboles de souveraineté. Quitte à transiger avec l'acquis communautaire qui veut que tout citoyen de l'Union Européenne puisse non seulement circuler dans l'ensemble des pays de l'Union, mais aussi de s'y installer. En dehors de quelques réfugiés admis à retourner dans la partie Nord, aucun Chypriote grec ne pourra séjourner dans l'Etat Chyproturc plus de trois jours !

Durant les six premières années l'installation des Chypriotes grecs sera interdite dans la l'Etat chyproturc, y compris pour les réfugiés chassés de leurs maisons en 1974. Seule exception, après les deux premières années de fonctionnement de la nouvelle République, les réfugiés âgés de plus de 65 ans, accompagnés de leur époux/se ou de leur frère/sœur ! Autrement dit, ils auront quand même le droit d'aller mourir dans leurs terres ! Bravo Annan !

Après 7 ans, les réfugiés pourront retourner dans la partie sous administration chyproturque à condition qu'ils ne dépassent pas le 7e de la population totale. De la 11e à la 15e année, cette limite est portée à 17% et au delà à 21%. Belle épuration ethnique signée Annan et cachetée ONU.

La majorité des colons turcs sera légalisée et obtiendra la nationalité chypriote. De ceux qui seront exclus de cette procédure, 15000 pourront rester en vertu du quota de 10% de la population grecque ou turque qui pourra demeurer dans l'Etat respectif. De toute façon, rien n'est prévu pour éloigner ceux qui n'auront plus le droit de rester et Annan évite soigneusement d'employer le mot "colon" dans son plan.

Les chypriotes grecs vont payer le coût de la reforme forcée de la République de Chypre

L'actuelle République de Chypre va subir le coût économique du plan Annan. La baisse du niveau de vie et l'état futur des finances publiques ne permettront tout simplement pas l'entrée de Chypre dans la zone euro, alors qu'elle rempli actuellement largement les critère en étant un des Etats les plus prospères de l'Union Européenne..

Reconnaissance de fait de l'Etat Turc de Chypre

A supposer que ce joli mécanisme, que l'on aurait du mal à enseigner dans une faculté, pas tant par sa complexité que par son inconsistance, à supposer donc que cela "ne marche pas", que se passe-t-il ? Certes le divorce est interdit, mais si la Turquie ne s'oppose pas, rien n'empêche la sécession de la composante chyproturcque. D'ici trois ans, 9% du territoire occupé par l'armée turque devra être rendu aux Chypriotes-grecs, mais si les Chyproturcs décident de quitter la République Unie, ils ne devront rien aux Chypriotes-grecs !

Selon les premières indications publiées ce matin au journal athénien Ethnos, la mouture que remet aujourd'hui Kofi Annan aux participants des rencontres de Buergenstock, comporte les aménagements suivants :

- Réduction du taux des Chypriotes-grecs qui pourront retourner dans la zone sous administration chyproturque de 21% à 12% de la population de l'Etat chyproturc.

- Possibilité d'acquisition d'une résidence non permanente dans l'Etat chyproturc et seulement après la période transitoire, achat du 1/3 de la résidence.

- La composition 24/24 du Sénat sera faite sur la base ethnique, ce qui exclue du droit d'être élu les Chypriotes-grecs résidant en zone chyproturcque.

En remettant le document aux deux parties, en début d'après-midi, Kofi Annan a dit au Président de la Républqiue de Chypre Tassos Papadopoulos : "votre exigenance fondamentale était que le plan soit fonctionnel et viable. Je pense que la révision que je vous présente contient des améliorations sur le sujet" ; s'adressant au dirigeant chyproturc Raouf Denktash, il a dit : "votre demande principale était le renforcement de la bizonalité. Le plan couvre le maintient de la sécurité et l'identité de l'Etat composant ainsi que la sécurité et la dignité des Chyproturcs. Vous avez aussi demandé à ce que la Turquie maintient une force militaire même après son adhésion à l'Union Européenne. Vous verrez que ces inquiétudes sont prises en compte" !

On doit certes du respect aux hiérarques des organisations internationales, sur les épaules desquels pèsent tant de responsabilités. Mais en l'occurrence du cas Annan, il y a un tel manque d'imagination, de culture et de référents politiques, et même, on peut craindre, d'information sur l'histoire Européenne et sur l'acquis communautaire, que la question n'est plus de savoir si son plan est juste ou fonctionnel. La question est de savoir comment il peut oser proposer copie aussi nulle. Il serait temps qu'il reconnaisse ses erreurs et qu'il s'en aille. Les hommes politiques de nos démocraties occidentales en tirent les conséquences pour bien moins que cela, on ne voit pas pourquoi les hauts fonctionnaires internationaux seraient exempts de cette obligation morale.

Il eut été seulement préférable que ceci soit dit par un homme politique, et pas seulement dans nos colonnes. En a-t-il d'assez courageux ? On l'a déjà signalé en introduction, par ces temps où le Politique recule face à la diplomatie des tons bas, et où la justice batte la retraite face au compromis, doutons-en !

iNFO-GRECE/AE

Be the first to rate this article