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Andreas Voutsinas : les clairs-obscurs de l'Actor's Studio

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Rêves de Hollywood made in Paris
Athènes - New-York A/R, escale à Paris

par Cassandre Toscani

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Andreas Voutsinas © AE / i-GR

L'homme arbore une carte de visite des plus enviables. Elève puis collaborateur de Lee Strasberg à l'Actor's Studio ; coach de Marilyn Monroe, Jane Fonda, Brigitte Fossey, Jean Reno et de bien d'autres ; metteur en scène, acteur, professeur d'art dramatique, il a monté, en Grèce et en France, quelque 80 pièces de théâtre antique, contemporain et de boulevard. « The fucking Greek », comme l'appelait affectueusement Elia Kazan, intrigue par le mystère dont il s'entoure… Il manie avec aisance les mythes des icônes du cinéma mondial, qu'il a fréquentées, pour créer… son propre mythe. Photographies, dédicaces, affiches, des souvenirs à vous couper le souffle ! Mais, au bout du compte, il ne nous dira pas grand-chose ni de ses rencontres ni de son travail avec les comédiens. Après avoir quitté les Etats-Unis, il s'installe à Paris où il fonde son propre atelier. Le succès est immédiat… A 76 ans, Andreas Voutsinas continue à animer son stage de perfectionnement de l'acteur. C'est à cette occasion que Cassandre Toscani l'a rencontré. Entretien.

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La méthode Voutsinas

i-GR – A chaque printemps, vous assurez, à Paris, un stage d'entraînement et de perfectionnement de l'acteur…

Andreas Voutsinas – Ce stage existe depuis une petite décennie, mais je dispense des cours depuis les années 70 aussi bien à Salonique, au Théâtre national de la Grèce du Nord qu'à Paris, où j'ai créé avec des amis, l'association du Théâtre des cinquante. Mon objectif est de transmettre ce que la vie m'a inculqué et ce que j'ai appris en côtoyant Lee Strasberg. Toutefois, je ne conçois pas une transmission du savoir à sens unique. Le professeur omniscient et l'« élève » passif, prêt à l'imiter, sont un simulacre d'apprentissage. L'échange des connaissances est tellement plus enrichissant.

i-GR – Peut-on parler d'une méthode Voutsinas ?

A. V. – Donner et recevoir sont l’essence même de ma méthode. L’acteur ne doit pas nécessairement être excellent, il doit être capable de prendre le meilleur de l’auteur et du metteur en scène, pour ensuite, donner, à son tour, le meilleur de soi. Rien ne peut être obtenu sans son assentiment ; il ne se résume pas à être l’instrument du metteur en scène, mais marquer le rôle, petit ou grand, de son empreinte personnelle. Ce qui m’intéresse tout particulièrement est de décortiquer le cheminement choisi par l’acteur pour interpréter un rôle afin de mettre en évidence ses erreurs et de les lui faire corriger. Quand il trébuche, l’acteur ne doit pas ignorer l’obstacle ou s’y arrêter vainement, il doit savoir revenir sur ses pas, démonter un geste, reprendre une nuance dans le texte, et, enfin, examiner le tout attentivement. J’insiste sur le doute qui débouche sur un sentiment de peur, sensation capitale pour progresser dans la conscience de soi.

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Des images plein les murs… Andreas Voutsinas évoque ses souvenirs. © AE / i-GR

A l’Actor’s Studio avec Strasberg et Kazan

i-GR – Vous avez travaillé à l’Actor’s Studio, alors que Lee Strasberg en était le directeur.

A. V. – Entré dix ans après sa fondation, en 1957, j’y suis resté vingt-sept ans. L’Actor’s Studio était un creuset d’expérimentation, un lieu de liberté pour les acteurs professionnels qui n’existait nulle part ailleurs.

i-GR – Comment y êtes-vous entré ?

A. V. – J’avais fréquenté le conservatoire anglais. A New York, je suivais les cours privés de Lee Strasberg. Je me suis présenté à une audition. J’ai été retenu avec cinq autres comédiens sur les 5000 auditionnés. Quand j’ai entendu mon nom parmi les lauréats, je n’en croyais pas mes oreilles. J’étais abasourdi. Pendant trois heures, j’ai marché dans les rues de New York en me répétant inlassablement et, à voix haute, pour m’en persuader : « I am a member of the Actor’s Studio ». Je l’ai même chanté à pleins poumons. Tant pis pour les policiers et les passants qui me prenaient pour un fou. J’étais au septième ciel. J’étais membre de l’Actor’s Studio.

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Ebloui par James Dean…

i-GR – Quelle était la particularité de cette école d’art dramatique ?

A. V. – Sous l’impulsion de l’approche de Stanislavski, théoricien du théâtre de la première moitié du siècle, le jeu de l’acteur, débarrassé des codes surannés, des mimiques grotesques, des grimaces figées, acquérait une dimension nouvelle, plus profonde, plus authentique, et exprimait des émotions crédibles. A cette vision, Lee Strasberg, – qui dirigea l’Actor’s Studio de 1951 à sa mort, en 1982 – ajouta une idée révolutionnaire : si le succès comme l’échec sont collectifs, l’acteur a néanmoins droit à l’échec, comme moyen d’apprentissage et de perfectionnement. Démarche difficilement acceptable aux Etats-Unis où l’échec était inadmissible. Chaque acteur possédait sa propre méthode pour parvenir au résultat final. Il n’existait aucun sésame, aucune sacro-sainte méthode Strasberg. Son enseignement ne singeait pas la vie, comme disaient nos détracteurs, il l’observait. De cette observation naissait la créativité théâtrale, et l’aboutissement était concrétisé par la performance de l’acteur.

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« Je ne conçois pas une transmission du savoir à sens unique. »

i-GR – Qu’est-ce qui vous a frappé dans l’enseignement de Lee Strasberg ?

A. V. – Strasberg était un homme difficile et, parfois, mal compris parce qu’il laissait à l’acteur la possibilité de choisir. Il n’imposait jamais rien, contrairement à la démarche des conservatoires. L’acteur ne comprenait pas toujours ses remarques, il pouvait les considérer comme une sentence blessante. S’il s’arrêtait à la « douleur » provoquée par ses critiques, s’il n’essayait pas de comprendre le bien-fondé de celles-ci, il passait tout simplement à côté de la possibilité de s’améliorer. Strasberg voulait que l’acteur aille au-delà de ses limites. Certains le comprenaient, d’autres pas.

i-GR – Deux mots sur Elia Kazan, l’un des fondateurs d’Actor’s Studio et Grec…

A. V. – Il était le contraire de Strasberg, dur, égoïste, il se croyait supérieur aux femmes et n’hésitait pas à le leur montrer. Il était petit, pas très beau, mais quel charisme ! Quand Kazan prenait quelqu’un dans son équipe, l’heureux élu devait oublier jusqu’à son nom et ne faire qu’un avec lui. Bien que ce genre de symbiose ne m’ait jamais attiré, je l’aimais beaucoup.

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La lettre de sympathie que Jean Cocteau lui avait adressée.

C’était réciproque, même s’il prenait plaisir à m’appeler “the f...ing Greek !“ Notre passion pour le théâtre et le fait que nous étions immigrés nous avaient incontestablement rapprochés. Lui était grec jusqu’au bout des ongles. Inutile de dire que professionnellement, c’était un géant. Sa carrière d’acteur, de réalisateur et de metteur en scène parlent pour lui. Ce qui m’a frappé, c’était la levée de boucliers qui a sanctionné son comportement du temps du maccarthysme. Moi, je n’étais pas encore aux Etats-Unis à cette époque, mais, je le répète, je ne comprends pas pourquoi l’opinion s’était tant focalisée sur lui.

Andreas Voutsinas coach et compagnon des stars d’Hollywood

i-GR – Vous avez été le coach de Marilyn Monroe, qui a fréquenté l’Actor’s Studio alors qu’elle était déjà une star.

A. V. – Je ne l’ai pas vraiment coachée. Nous discutions, nous parlions longuement de ses rôles, nous les analysions. Elle écoutait mes suggestions. Elle était attentive à mes remarques, mais au bout du compte, elle n’en faisait qu’à sa tête. Il était illusoire de croire que l’on pouvait la contraindre à jouer autrement que comme elle l’avait décidé. Marilyn avait l’art de flirter avec l’objectif. Sa métamorphose devant la caméra était impressionnante.

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Voutsinas, comédien.

Anne Bancroft, en revanche, je l’ai vraiment coachée. Notre amitié a duré jusqu’à sa disparition en 2005. Nous étions très complice. Je l’ai rencontrée dans les années 50, bien avant qu’elle n’épouse Mel Brooks. C’était une grande comédienne, elle a tourné dans une bonne cinquantaine de films. En 1962, elle a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice pour Miracle en Alabama, d’Arthur Penn. Par la suite, elle a été nommée plusieurs fois notamment pour son rôle de Mrs Robinson dans Le Lauréat, de Mike Nichols. C’était une actrice hors pair et une amie précieuse. J’ai ressenti sa mort comme une injustice ; dans mon cœur, elle est toujours là.

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L'affiche de la comédie, « The Fun Couple », mise en scène par Andreas Voutsinas, en 1962, à New York.

i-GR – Et Jane Fonda ?

A. V. – Je l’ai connue aussi à l’Actor’s Studio une dizaine d’années plus tard. J’ai été son coach et son compagnon pendant sept ans. Quand je l’ai rencontrée, elle traversait une période d’incertitudes. Je lui ai fait comprendre qu’elle existait par elle-même, qu’elle n’était pas uniquement la fille d’Henri Fonda. Pour attirer l’attention sur elle, elle épousait les courants à la mode. Elle a milité contre la guerre du Vietnam, a renié son engagement, est revenu sur ses propos. Lorsqu’elle a eu son premier oscar, en 1972, pour son rôle de prostituée dans Klute, d’Alan J. Pakula, elle a pensé le refuser. Je l’en ai dissuadée ; son refus n’aurait pas eu l’impact escompté. Son auréole de star internationale était trop récente. Par contre, quand elle a reçu, cinq ans plus tard, un deuxième oscar pour son interprétation d’épouse de vétéran du Vietnam, dans Le Retour, de Hal Ashby. l’idée de le récuser ne l’a pas effleurée… A la fin de notre relation, elle a refusé mon amitié, de peur que je ne la mette devant ses choix, pas toujours pertinents, elle n’aimait pas la remise en question ni la critique.

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Avec Jane Fonda, sa compagne pendant sept ans.

i-GR – Vous avez fini par quitter l’Actor’s Studio…

A. V. – Mais je demeure membre à vie de cette vénérable institution ! Si je l’ai physiquement quittée, dirais-je, c’est que l’Actor’s Studio, qui avait façonné des centaines d’acteurs et des stars, comme Marlon Brando, James Dean ou Paul Newman, n’avait plus le monopole de l’enseignement inspiré de Stanislavski. Celui-ci se diffusait de plus en plus aux Etats-Unis et en Europe. Les temps avaient changé. Strasberg restait égal à lui-même. Ne voulant ni feindre ni entrer en conflit avec lui – je l’aimais trop pour agir de la sorte –, il ne me restait plus qu’à faire mes valises.

i-GR – Quel ultime souvenir vous vient à l’esprit pour clore ce chapitre ?

A. V. – Comme mon travail consistait à opérer une première sélection des candidats, je n’oublierai jamais le jour où j’ai fait passer une audition à trois comédiens inconnus qui sont devenus trois immenses acteurs : Robert De Niro, Al Pacino et Dustin Hoffman. Ce jour-là, j’ai eu un sacré flair. Je les adore tous les trois, mais j’ai un faible pour Dustin. Etonné, Elia Kazan m’a demandé de motiver mon choix, Je lui ai répondu qu’indépendamment de leur talent, ils ne correspondaient pas à l’image conventionnelle du comédien, que si je les avais vus dans la rue, jamais je ne les aurais pris pour des acteurs. En ce temps-là, un comédien devait être beau. J’en avais assez des belles gueules.

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Andreas Voutsinas dans son salon, à Levallois-Perret, périphérie de Paris. © AE / i-GR

Khartoum, Athènes, Londres, New York : les premiers pas

i-GR – Ce droit à la différence remonte sans doute à votre prime enfance, au Soudan ?

A. V. – Je suis né, un jour d’été 1932 à Khartoum, où vivait ma mère. J’y ai passé ma prime enfance. Seul blondinet du quartier, j’ai ressenti cette différence dans son essence même. Malgré les propos rassurants et évidents de ma nourrice, une femme de la tribu des Icks, qui me disait, sur un ton enjoué, que les autres enfants s’étaient exposés trop longtemps au soleil, je n’ai jamais pu me départir de cette sensation d’être un étranger en tous lieux. Le monde des adultes me terrorisait. Très vite, j’ai éprouvé le besoin vital d’édifier un univers rassurant, où mes compagnons de jeu étaient des poupées et, moi, le maître de cérémonie. Ma passion pour le théâtre était née.

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« Le travail au théâtre s’apparente au mythe de Sysiphe. »

i-GR – Cette passion va suivre son cours, à Athènes, où vous vous installez, avec votre mère…

A. V. – J’avais 4 ans. Ma mère parlait grec, français et anglais. Mais elle voulait que je maîtrise parfaitement ma langue maternelle ; nous avons donc quitté Khartoum pour nous établir à Athènes. Elle aimait beaucoup le théâtre, y allait souvent et m’emmenait toujours avec elle. J’ai assisté à des pièces montées par Karolos Koun, le grand metteur en scène grec, qui fonda, en 1942, le Théâtre d’Art, et fit jouer entre autres Ibsen, Shaw, Lorca, Brecht, Pirandello, Genet. Le Stanislavski grec, en quelque sorte. Un génie, qui ne supportait pas d’être contredit. Il dirigeait les comédiens d’une main de fer. Il a fait du Théâtre d’Art une institution où l’on ne pénètre, encore aujourd’hui, qu’avec un état d’esprit particulier. Comme du temps où j’étais enfant. Bien que je n’aie jamais fréquenté son école d’art dramatique, Koun m’a fait voir et sentir la différence entre ce que je regardais et l’émotion qui s’en dégageait. Il m’avait subjugué. Je voulais être acteur.

i-GR – Alors, votre mère vous envoie, à 18 ans, étudier en Angleterre...

A. V. – Le conservatoire de Londres était réputé pour son excellence, sa rigueur et sa discipline. J’ai reçu une bonne base. J’ai d’abord fréquenté, The Old Vic School, fondée par le metteur en scène et professeur d’art dramatique français, Michel Saint-Denis. J’ai été retenu parmi les 12 candidats sélectionnés sur les 1200 auditionnés. Comme je m’exprimais très mal dans la langue de Shakespeare – j’avais mémorisé phonétiquement le monologue de Richard II pour passer l’audition –, l’école m’a placé dans une classe formant à la mise en scène. J’y ai suivi ces cours durant un an. Puis, je me suis inscrit à la Webber-Douglas School of Singing and Dramatic Art.

i-GR – Au bout de trois ans, vous partez pour New York. Et l’aventure commence.

A. V. – Plutôt l’apprentissage de la vie. Jusque-là, j’avais vécu dans le cocon maternel. Ma mère m’a toujours soutenu, mais en me responsabilisant : « Si tu veux quelque chose, tu dois travailler dur pour l’obtenir, tu dois le mériter ». J’avais échappé aux affres de l’Occupation en Grèce. Et voilà que la faim me tenaillait à New York : il m’arrivait de ne pas manger plusieurs jours de suite. Je vivais dans une pièce à peine plus grande qu’un placard. Quand j’écartais les bras, je touchais les murs ! J’ai fait plein de petits boulots pour pouvoir suivre les cours privés de Lee Strasberg, qui n’avaient rien à faire avec l’Actor’s Studio dont l’enseignement était gratuit. Pour m’y rendre, je passais devant un cinéma qui jouait des films grecs et m’y arrêtais toujours pour voir les photos. J’étais entré aux Etats-Unis avec un visa de touriste. J’ai été très étonné de découvrir l’existence de la carte verte le jour où un employeur me l’a réclamée. Sensible à mon désarroi, il s’est occupé des démarches administratives, et m’a obtenu rapidement le fameux titre de séjour. Qu’il soit, une fois encore, béni des dieux. Car le jour même où je le reçois, je m’attarde, comme à l’accoutumée, devant ce fameux cinéma. Un homme s’arrête, fait mine de s’intéresser aux photos du film, se tourne vers moi et me demande « Quelle est votre nationalité ? » « Grec », lui répondis-je. « Puis-je voir votre Green Card ? » Dieu merci, la chance était avec moi.

Entouré mais solitaire : une carrière d’indépendant

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Du temps de l'Actor's Studio…

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Sa première mise en scène à Paris remonte à 1974.

i-GR – Vous avez réalisé quelque 80 mises en scène. Laquelle vous a le plus marqué ?

A. V. – Quatre-vingts, sans compter celles que j’ai réalisées durant les summer-stocks, ces petits festivals d’été dans les villes et villages des Etats-Unis. Nous montions très rapidement nos spectacles, les répétitions duraient à peine quelques jours, parfois on répétait le matin pour le soir même. En France et en Grèce, je monte des pièces de théâtre antique, contemporain, de boulevard ou de café-théâtre. Ma première mise en scène, à Paris, date de 1974 : Les jeux de la nuit, de Franck D. Gilroy, adaptée par Marcel Mithois, au théâtre Fontaine, avec Claude Brasseur, Tanya Lopert et Sady Rebbot. J’étais aux anges, impressionné de voir mon nom à l’affiche d’un théâtre parisien. Moment d’intense bonheur. Mais la mise en scène qui m’a le plus marqué est associée à un lieu mythique : Epidaure. J’y ai monté ma première pièce, Hélène, d’Euripide, en 1982. A la fin de la représentation, qui s’est déroulée devant un théâtre archicomble, les 14.000 spectateurs d’Epidaure étaient debout et scandaient mon nom. J’étais médusé, bouleversé au point de ne pas pouvoir me rendre sur la scène. Pour me donner du courage, j’ai pris ma petite chienne, Mika, dans les bras, que j’ai brandie, dans un instant de panique, comme un trophée… J’ai salué, plein de reconnaissance, ce public qui m’acclamait, « mon » public.

i-GR – Vous dites que le public vous adule… mais la critique vous descend en flammes.

A. V. – Pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle me considère comme un metteur en scène populaire. Je remplis les salles grâce à mon nom. La critique et les pseudo-intellectuels prennent un malin plaisir à jeter le doute sur tout succès populaire. En cela, la Grèce et la France se ressemblent. Ensuite, mon interprétation, ma façon de monter une pièce ne lui plaisent pas : les nouveautés que j’y introduis, comme, par exemple, le gros plan, – ce que j’ai fait pour Hélène – sont mal ressenties. Au lendemain de ma première représentation, la critique a crié au scandale, elle a décrété que je ridiculisais les Anciens et la Grèce entière. « Pour qui se prend donc ce Grec venu des Etats-Unis pour nous dire comment monter Euripide, et, qui plus est, à Epidaure ? » Qu’ils disent et écrivent ce qu’ils veulent. Je n’en ai que faire.

i-GR – A Salonique, vous enseignez aux jeunes gens du Théâtre national.

A. V. – J’enseigne, en effet, aux élèves de première et de deuxième année qui fréquentent les cours du Théâtre national de la Grèce du Nord, la scène et l’improvisation. Que ce soient des professionnels ou non, l’approche est toujours la même. Je ne demande pas à mes élèves d’imiter ce que je leur montre pour obtenir une bonne note. Non, je veux qu’ils utilisent à bon escient ce que je leur enseigne. Je leur répète sur tous les tons : « L’essentiel, ce n’est pas ce que je vous donne, mais ce que vous faites de ce que je vous donne. » Chacun de nous utilise ce qu’il reçoit de manière différente. L’important est de ne jamais cesser de s’améliorer, de se perfectionner. Le travail au théâtre s’apparente au mythe de Sysiphe : cela n’en finit pas…

i-GR – Vous donnez l’impression d’avoir tout sacrifié au théâtre.

A. V. – Tels les anciens Grecs accomplissant des sacrifices à leurs dieux, je lui ai donné en offrande ma vie d’homme et de père. En échange, il m’a appris à me battre, à affronter la vie de tous les jours, à me surpasser. Il n’est pas synonyme de vie facile, mais le sel même de l’existence. Je peux me passer du cinéma, je m’en ferais une raison. Mais sans théâtre, je ne peux vivre, et si je devais renoncer à son enseignement, j’en mourrais.

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L'émotion toujours présente...

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...dès qu'il s'approche des icônes-souvenirs.

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Ici, avec Melina Mercouri, à sa droite.

i-GR – A propos de cinéma, vous avez fait de brèves apparitions dans une vingtaine de films, mais jamais de grand rôle…

A. V. – Parce que l’occasion ne s’est pas présentée. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le travail accompli. On peut être mauvais dans le rôle du protagoniste et incomparable dans une figuration. Même un rôle muet peut être plus important qu’une longue tirade. J’ai adoré jouer dans Les Producteurs, Le Mystère des douze chaises, et La folle histoire du monde, de Mel Brooks ; dans La petite apocalypse, de Costa-Gavras, ou encore dans Le grand bleu, de Luc Besson.

i-GR – Vous avez également joué, en 1978, avec Melina Mercouri, dans son dernier film, Cri de femmes, de Jules Dassin.

A. V. – Ah Melina ! Incroyable, Melina ! J’avais 12 ans la première fois que je l’ai vue. Elle remontait la rue Stadiou, à Athènes. Sa silhouette m’avait irrésistiblement attiré. J’ai tenté de la suivre. Ma mère m’administra une gifle qui me brûle encore la joue. Melina avait l’art d’ensorceler tous ceux qui l’approchaient. Elle était les deux faces d’une même médaille : elle vous subjuguait par sa gentillesse, son immense sourire pour, l’instant d’après, sans raison apparente, se transformer en Erinye. J’appréciais la femme politique et l’artiste. Grâce à l’initiative de la Fondation qui porte son nom, on attribue, depuis 2007, le « Prix Melina Mercouri », symbolisé par une broche de l’inoubliable interprète de Jamais le dimanche. Cette récompense, décernée à une jeune comédienne, a la particularité de n’appartenir qu’une année à l’heureuse élue. L’année suivante, elle la remet à la nouvelle lauréate.

Fin de cycle à Paris

i-GR – Etes-vous sensible aux prix ? Aux décorations ?

A. V. – Jack Lang m’a remis, en 1986, les insignes de chevalier de l’ordre national du mérite, et, en 1992, ceux de Commandeur de l’ordre des arts et des lettres. J’estime que c’est une façon de reconnaître mon travail. Que cette reconnaissance vienne de la France me touche infiniment.

i-GR – Et vous êtes un collectionneur impénitent !

A. V. – Je collectionne les casquettes, j’en ai une soixantaine, le même modèle, en différentes couleurs, pour l’assortir à mes tenues. Aujourd’hui, je porte toujours les deux ou trois mêmes. J’ai aussi une passion effrénée pour les mains, quelles qu’en soient la matière, la dimension et la finalité : porte bagues, poignée de porte ou simple objet décoratif. Précieuses ou sans valeur. Il fut une époque où dès que j’en voyais une, je l’achetais. Sans doute un hommage à Lee Strasberg, qui caressait inlassablement les siennes, qu’il avait petites. En général, un objet seul ne me satisfait pas, il m’en faut plusieurs, voire toute la série. Ma maison est remplie d’objets, témoins de mes souvenirs ou de mon irrépressible besoin d’amasser.

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Des centaines de petits objets, des statuettes et une collection de mains qui n'en finit pas…

i-GR – Vous parlez de votre maison à Paris. Au fait, pourquoi avez-vous décidé de vous établir en France après avoir quitté les Etats-Unis ?

A. V. – Parce que je connaissais le milieu artistique parisien grâce à Jane Fonda que j’avais accompagnée dans les années 60. J’aime la vie à Paris. Je m’y sens chez moi. Je peux davantage transgresser les conventions : si je veux sortir en tenue négligée, sans être rasé, je ne lirai dans aucun regard de la désapprobation, comme à Athènes. A Paris, je peux vivre seul. J’aime la solitude. Je la recherche. En Grèce et aux Etats-Unis, elle est considérée comme une maladie honteuse. C’est toujours un plaisir de se partager entre Paris, Athènes et Salonique. Et puis, je souhaiterais être incinéré à Paris et que mes cendres soient éparpillées à Epidaure. Dormir en ce lieu magique pour l’éternité…

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Andreas Voutsinas devant les affiches de ses mises en scène.

i-GR – Nous n’y sommes pas encore ! Dites-nous plutôt quels comédiens français ont suivi votre stage, au fil des ans.

A. V. –Brigitte Fossey, qui, au début de sa carrière, voulait se défaire de l’image de la petite fille de Jeux interdits. Pour son retour au théâtre, en 1986, j’ai mis en scène Reviens Jimmy Dean, reviens. Fanny Ardant, pour qui j’ai monté, en 1983, Mademoiselle Julie, d’August Strindberg. Valérie Kaprisky, qui a joué aux côtés de Tanya Lopert, dans la pièce de Daniel Besnehard, Passagères, montée en 1992. Patrick Laval, Jean Reno et bien d’autres acteurs ont suivi mon atelier. J’ai travaillé avec Jean Marais, Jean-Louis Trintignant, Claude Brasseur, Anny Duperey, Pierre Vaneck, Fabrice Luchini, Pierre Arditi, Niels Arestrup. J’ai connu Cocteau, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere.

i-GR – Qui est, en définitive, Andreas Voutsinas ?

A. V. – A cette question, je répondrai en reprenant ce que Lee Strasberg avait coutume de dire à mon sujet : « Andreas Voutsinas, on ne peut le définir ; il est davantage que ce qu’il est. »

Levallois-Perret, printemps 2008

Entretien avec
Cassandre Toscani

Photos
Athanassios Evanghelou

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