Quel désastre pour le football helladite ! Ses dieux ont quitté l'Olympe pour prendre leurs quartiers sur l'île d'Aphrodite ! A la suite d'un Euro calamiteux, les équipes grecques reprenaient les campagnes européennes pleines d'espoir et de rêves, mais leurs frères chypriotes allaient se dresser sur sa route, avec à leur tête une équipe portant - quelle circonstance ! - le nom d'Anorthosis, le "redressement".
Le massacre fratricide commence par Omonoia - "concorde" la bien nommée, on n'a pas fini avec les jeux des mots ! - qui, à la mi-août, amène un premier message à l'AEK (0-1) en pleine Athènes, puis, quinze jours plus tard, recevant l'aigle bicéphale sur l'île martyrisé, l'élimine définitivement de la coupe UEFA (2-2).
Vient ensuite l'Anorthosis qui dresse d'abord l'Olympiakos puis le Panathinaïkos. Les dieux ont déserté l'Attique. Aphrodite/Venus les a attirés sur son île et, là, ils ne cessent de tresser les lauriers de l'équipe locale : premier club chypriote à accéder à la Ligue des Champions, le premier à y prendre un point (à Brême), le premier à y remporter une victoire (face aux verts), le premier à être leader de groupe (après deux journées).
Une poignée de supporters insulaires qui après s'être imposée aux géants de l'Hellade pourra désormais compter, dans sa conquête de l'Europe footballistique, sur le soutien de tous les Grecs, de Grèce, de Chypre ou de la Diaspora.
Représentant du football chypriote, l'Anorthosis aura donc dompté le football grec tout en le représentant au mieux en ce début de saison. David contre Goliath revisité, la saison européenne en cours est pour l'Anorthosis une véritable sensation au sein d'une Ligue des Champions comme toujours ultra-compétitive.
A la tête des joueurs, Temuri Ketsbaïa, l'entraîneur, ex-footballeur géorgien de l'AEK Athènes et de Newcastle Utd., il a su inculquer à ses joueurs un sens du sacrifice qui n'est pas sans rappeler la méthode Rehaggel à l'Euro 2004. Le groupe possède de sérieuses individualités, comme le champion d'Europe grec Traïanos Dellas (ex-AS Roma), ainsi que le brésilien Savio, triple vainqueur de la Ligue des Champions sous les couleurs du Real Madrid. Mais d'autres joueurs ont reçu la grâce du ballon rond comme les Helladites Froussos et Skopelitis, le bomber polonais Sosin ou le gardien albanais Beqaj. Mais la véritable force d'Anorthosis repose davantage sur un collectif rigoureux capable de remonter proprement et rapidement la balle dès sa récupération. Ainsi, on notera qu'avec 39% de possession de balle, les Chypriotes ont terrassé le Pana en inscrivant rien moins que trois buts.
Amochostos (appelée aussi Famagusta), fleuron du tourisme chypriote jusqu'en 1974, demeure inaccessible aux chypriotes-grecs depuis l'invasion turque
Famagousta ou Ammochostos, jadis un joyau de l'île, devenue ville-fantôme depuis son occupation par l'armée turque à laquelle l'ONU a interdit la colonisation.
Fondé en 1911 à Ammochostos/Famagouste, dans le Nord-Est de l'île, ville jadis florissante, l'Anorthosis a dû déménager à Larnaka, dans la partie libre, depuis l'invasion de l'île par l'armée turque en 1974 (Famagouste est toujours occupée). Longtemps dans l'ombre de l'Omonoia et de l'APOEL, les deux autres vedettes du championnat chypriote, l'Anorthosis dispose toutefois d'un palmarès conséquent qu'il a commencé à forger dès 1949, date de sa première victoire en coupe. Depuis, l'Anorthosis a remporté 13 championnats, 10 coupes et 6 super-coupes.
En 1998-1999, Olympiakos de Pirée croisait une première fois la route d'Anothosis sur le chemin des poules aux œufs d'Or, mais alors, l'Anorthosis n'était pas encore capable des exploits d'aujourd'hui. Vaincus 2-1 à l'OAKA, les Chypriotes prenaient l'eau chez eux face à l'inusable Siniça Gogic (4-2 pour les Helladites). C'était alors le début d'un parcours de rêve pour les hommes de Bajevic, Olympiakos atteignant les portes des demi-finales, éliminés dans le money time par la Juventus (2-1, 1-1) après avoir cru à la qualification jusqu'à la 85e minute.
Aussi, lorsque cet été, le parcours d'Olympiakos croisait une nouvelle fois celui de l'Anorthosis, les Piréotes y voyaient un signe du destin, d'autant que la campagne européenne précédente (élimination en 1/8e face à Chelsea) avait marqué positivement les esprits. Sauf que cette fois-ci, l'Anorthosis était prête à affronter le plus grand défi de son histoire. Le club de Ketsbaïa l'avait déjà prouvé en remportant de façon spectaculaire le championnat de Chypre 2008 avec la modique avance de 11 pts sur l'APOËL et surtout une invincibilité sur toute la durée de la saison : 20 victoires, 12 nuls, 0 défaite. Seul la défaite en finale de coupe de Chypre face à l'APOEL pouvait laisser croire que l'Anorthosis n'était pas invincible.
Ainsi, en ce début de saison 2008-2009, l'Anorthosis effectuait un recrutement de qualité avec pour objectif de devenir la première équipe chypriote à atteindre les poules de la Ligue des Champions. Cet objectif ambitieux passait par trois qualifications consécutives lors des tours préliminaires, le coefficient UEFA du championnat chypriote étant trop bas pour espérer sauter un tour. Ainsi, les hommes de Ketsbaïa devait tout d'abord sortir les arméniens du Pyunik Erevan (1-0, 2-0) puis le Rapid Vienne (3-0, 1-3).
Qualifiés pour la sixième fois de leur histoire pour le dernier tour préliminaire, les chypriotes avaient la bonne surprise de tomber sur Olympiakos, un bon club européen mais loin de la stature des Liverpool et autres Barcelone, potentiels adversaires. Mais les Grecs du continent étaient encore plus ravis que leurs frères insulaires.
Le match aller avait lieu à Chypre et dès la 5e minute, une intervention de Torosidis trompait la vigilance de son propre gardien Nikopolidis. L'histoire était en marche et les espoirs se solidifiaient quand un centre de la droite était repris de la tête par Sosin. 19 minutes de jeu et 2-0 pour l'Anorthosis. On avait peine à y croire. Mais la folie furieuse s'emparait du stade quand Mitroglou ratait le penalty accordé à l'Olympiakos et que sur l'ultime action du match, un tir de Laban contré par Papadopoulos donnait trois buts d'avance au petit poucet. Au match retour, de prudents chypriotes tenaient le choc dans l'enfer de Karaïskaki. Malgré un joli but de Belluschi (54e), l'Anorthosis obtenait une qualification historique, apte à servir ses ambitions (3-0, 0-1). Car, effectivement l'ambition de Ketsbaïa ne s'arrêtait pas là.
Décidé à demander des prouesses tactiques à ses hommes, comme en replaçant Dellas en milieu défensif malgré ses 34 ans, l'entraîneur géorgien visait clairement la qualification à l'UEFA via la troisième place du groupe. Auteur d'un nul inespéré à Brême lors de la première journée (0-0), Anorthosis vient de donner une nouvelle leçon au football grec, cette fois-ci au Panathinaïkos. De nouveau, les chypriotes ont mené 2-0 en moins de vingt minutes (un csc de Sarrieghi à la 11e, une tête de Dobrasinovic à la 15e) avant d'ajouter un troisième but en fin de match (par Taher de la tête suite à un corner de Savio). Seule différence avec le match contre Olympiakos, le Pana réussissait son penalty de la réduction du score par Salpiggidis (28e). Mais dans une formule où la qualification se joue aux points, c'est l'Anorthosis qui crée la surprise en prenant la tête de la poule après deux journées, ex-aeco avec l'Inter de Milan et avec respectivement 2 et 4 pts d'avance sur le Werder Brême et le Panathinaïkos.
Deux matches attendent désormais l'Anorthosis face à l'Inter Milan au cours du mois à venir. Deux matches qui décideront des destinées du petit poucet chypriote dans la compétition. Nul doute néanmoins que celui qui a été l'immense surprise de ce début de saison peut déjà revoir ses ambitions à la hausse et tenter de devenir le premier club chypriote à atteindre les 1/8e de finale de la Ligue des Champions. Pourrait-on alors continuer à parler de surprise après les deux mois que nous venons de vivre ? Rien n'est moins sûr…
En revanche ce qui est sûr, c'est le soutien de tous les Grecs, de l'Hellade, de Chypre et de la Diaspora, qui seront derrière Anorthosis qui porte désormais les couleurs de la Grèce sur les terrains de l'Europe. Il y a vingt et quelques siècles, c'était un frère venu du Nord, Philippe de Macédoine, qui unifiait par la force toutes les divisions grecques avant que son fils Alexandre n'entreprenne la conquête vers l'Est. Aujourd'hui sur d'autres terrains, heureusement moins sanglants, ce sont des frères du Sud qui s'imposent par leur jeu en meneurs de la conquête des pelouses de l'Europe !
i-GR/OV/AE