Echec sur toute la ligne, malgré la sensation médiatique qui a suivi l'annonce jeudi matin d'une proposition de dernière heure de la Turquie pour éviter les sanctions qui l'attendent au Conseil européen du 14-15 décembre pour refus d'application de l'extension du Protocole d'Union douanière aux dix nouveaux pays-membres. Quelques heures plus tard personne n'était dupe de la manœuvre de diversion et vendredi la réponse de l'UE tombait particulièrement sévère. Il n'empêche que pendant 48 heures les chancelleries européennes avaient donné… dans le panneau.
La confusion la plus totale régnait dans les cercles diplomatiques européens jeudi matin après qu'un télégramme de Reuters faisait état d'une proposition de la Turquie d'ouvrir partiellement un de ses ports au commerce européen en provenance de la République de Chypre. Depuis quinze jours la présidence finlandaise avait épuisé toutes les marges de discussion avec les Turcs pour que ceux-ci appliquent sans conditions l'extension du protocole d'Union douanière aux dix nouveaux pays membres de l'UE, dont Chypre, préalable à la poursuite des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'UE. Début Novembre, le rapport de la Commission constatait l'intransigeance de la Turquie sur la question et proposait de geler 8 chapitres sur les 35 que contiennent les négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'UE, et de ne clore aucun des chapitres ouverts tant que la Turquie ne se conforme pas à ses obligations.
Lundi 27 novembre, la Finlande qui assure la présidence semestrielle de l'UE, annonçait l'échec des pourparlers pour amener la Turquie à la raison mais accordait un dernier délai jusqu au mercredi 6 décembre à la Turquie pour faire une dernière proposition. Jeudi matin 7 décembre la Turquie diffuse une vague information comme quoi elle se pliait partiellement aux injonctions européennes.
La Finlande soucieuse de finir sa présidence sur une bonne note et les chancelleries des différents Etats-membres de l'UE voulant éviter que le Sommet européen des chefs d'Etat et de gouvernement le 14-15 décembre ne soit monopolisé une nouvelle fois par la question turque, y voient aussitôt une opportunité de rouvrir le dialogue et éviter une prise de sanctions à l'égard de la Turquie qui ferait mauvaise impression.
Personne ne connaît encore le contenu exacte de la proposition turque, la Turquie refuse de commenter les informations qui font le tour du monde, mais la présidence finlandaise confirme l'existence d'une proposition turque sur son site Internet où elle écrit que "la Turquie a informé la présidence de son intention d'ouvrir provisoirement un de ses plus grands ports aux navires chypriotes".
Le même communiqué précise encore que "l'initiative de la Turquie constitue un très grand pas vers l'application du Protocole d'Ankara (extension de l'Union douanière aux 10 nouveaux Etats membres), mais des précisions sont toutefois requises. Si la Turquie est prête à faire un tel geste sans condition préalable, cette initiative positive influencera les délibérations du Conseil concernant la poursuite de la procédure d'adhésion de la Turquie".
A Bruxelles, le porte-parole de la Commission, sans même connaître le contenu de la proposition turque, s'empresse d'afficher sa satisfaction annonçant que "si la proposition turque est confirmée, la Commission considère qu'une telle initiative est un pas important pour la pleine application du Protocole d'Ankara (extension de l'Union douanière, ndlr)".
Le ministre fédéral des Affaires étrangères de l'Allemagne, Frank-Walter Steinmeier, estime aussi que les propositions turques forment un "élément positif", tandis que son homologue des Pays-Bas, Ben Bot, estime, lui, que "avec cette proposition la Turquie montre qu'elle veut avancer".
Selon certaines estimations, la Turquie aurait organisé des vagues fuites avant de préciser le contenu de sa proposition afin de tester les réactions des milieux diplomatiques.
Mais très vite, les diplomates vont déchanter. A Athènes le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Georgios Koumoutsakos, fait état d'"imprécisions et non de positions ou propositions officielles, sur lesquelles la partie grecque pourrait se prononcer".
Au fur et à mesure des information qui circulent, les contours des intentions turques se précisent : la Turquie aurait l'intention d'ouvrir un de ses ports aux navires chypriotes en échange de l'ouverture de l'aéroport de Tymbou dans les territoires occupés de Chypre ainsi que de l'ouverture du port d'Amochostos/Famagouste au commerce direct avec la soi-disant république turque autoproclamée du Nord de Chypre.
A Larnaca, le ministère chypriote des Affaires étrangères fait état d'un document où la proposions turque ne serait valable qu'à titre provisoire sur un an.
"Au cours des dernières 48h, nous nous trouvons face à un flux de propositions, d'idées pouvant être soumises. Les informations ne sont pas claires, et il n'existe aucune prise de position officielle, et surtout, il n'existe aucun texte de proposition complète sur lequel le ministère doit se prononcer", indique-t-on par contre au ministère grec des Affaires étrangères.
Ce n'est que vendredi matin que le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a appelé son homologue grec, Costas Caramanlis, pour lui soumettre ses propositions. Ce dernier a rejeté la proposition turque rappelant la position grecque qu'il a résumée dans un communiqué diffusé suite à cet entretien et selon lequel "la Grèce soutient l'orientation européenne de la Turquie, mais le pays voisin doit remplir ses engagements pris face à l'UE".
De son côté, le ministère grec des Affaires étrangères commente ainsi la proposition de la Turquie : "La Turquie a présenté aujourd'hui à la présidence finlandaise une proposition rédigée de sorte à permettre de nombreuses et différentes lectures et interprétations. Parallèlement, diverses informations nébuleuses et contradictoires ont été publiées sur cette propositions dans le but évident de faire sensation et de créer un climat bien précis", et rappelle que "la Turquie, conformément aux résultats du Conseil européen de décembre 2004, s'est engagée à appliquer sans condition le Protocole d'Ankara à tous les pays-membres de l'UE sans exception".
"La même chose est réaffirmée et spécifiée dans la déclaration de l'UE en date du 21 septembre 2005, selon laquelle l'UE et ses pays-membres attendent l'application entière et inconditionnelle du Protocole additionnel, ainsi que la levée de tous les obstacles dans le libre transport de marchandises, y compris les restrictions appliquées dans les moyens de transport. La Turquie doit appliquer pleinement le Protocole dans ses relations avec tous les Etats-membres", précise le porte-parole M. Koumoutsakos pour qui "l'UE évaluera l'ensemble de l'application du Protocole en 2006, alors que la Commission européenne a déjà soumis les recommandations connues pour toute une série de sanctions, et ces recommandations sont une base de négociation".
Le Président de la République de Chypre, Tassos Papadopoulos, réagit de son côté depuis Pékin où il est en visite officielle : "Chacun peut comprendre aisément ce que cherche la Turquie avec cette proposition", dit-il avant d'analyser que "la Turquie propose une conformation partielle à ses obligation envers l'UE avec des la monnaie d'échange payée par Chypre ! Ce n'est pas Chypre qui jugée le 15 décembre [date du Sommet européen, ndlr]. C'est le respect des obligations de la Turquie et non l'évolution de la question chypriote", conclu le président Papadopoulos.
Vendredi après-midi c'était au tour de… l'armée turque de réagir en rejettent la proposition du gouvernement turc. "Cette ouverture signifie un repli des positions officielles de l'Etat [turc]", déclarait au quotidien turc Hurriet le chef des forces armées turques, le général Yasar Buyukanit tout en se disant "surpris" que le gouvernement n'ai pas consulté s'armée.
Papandreou demande le retrait des forces d'occupation à Chypre
Le président du PASOK (socialistes, opposition), Georgios Papandréou, a réagit aux nouvelles depuis Porto, où il assistait au Congrès du Parti socialiste européen (PSE), soulignant aussi que "la Turquie doit remplir ses obligations face à l'UE".
Se référant plus particulièrement à Chypre, M. Papandréou a souligné que la Turquie continue à être une force d'occupation non seulement de la partie Nord de Chypre, mais aussi une force d'occupation d'un territoire de l'UE. "Cela est inacceptable", a-t-il dit.
"Personne au monde ne peut croire que Chypre constitue une menace militaire pour la Turquie", a affirmé M. Papandréou, en appelant au retrait des forces turques d'occupation et en réitérant sa proposition pour une démilitarisation de l'île, "ce qui donnera un essor au dialogue pour la recherche d'un règlement définitif et viable de la question chypriote".
Pour sa part, le président de Synaspismos (gauche radicale), Alecos Alavanos, commentant à son tour jeudi la proposition turque, a affirmé que la question de l'application du Protocole d'Union douanière par la Turquie ne peut faire l'objet d'un marchandage.
"Nous savons tous très bien au sein de l'UE que l'obligation de la Turquie d'appliquer l'Union douanière signifie d'ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions de la République chypriote, sans associations à d'autres questions, sans autres préalables. C'est une obligation a part entière, et cela est mentionne dans le rapport de la Commission. Je pense que la question ne peut faire l'objet de marchandages", a souligné M. Alavanos.
Bruxelles se réveille
La commission des représentants permanents des pays-membres de l'UE (COREPER) se réuni enfin jeudi après-midi à Bruxelles. La Grèce et Chypre rejettent la proposition de la Turquie et critiquent sévèrement la présidence finlandaise d'avoir accordé tant d'importance à une proposition qui "ne contient rien de nouveau par rapport à d'autres propositions antérieures qui avaient été déjà discutées et rejetées".
Les représentants de la Grèce et de Chypre soulignent que la proposition de la Turquie ne peut être acceptée dans la mesure où Ankara crée un lien entre ses obligations d'application du Protocole d'Union douanière avec la résolution du problème chypriote.
Athènes rappelle aussi que le Protocole d'union douanière concerne l'ensemble du territoire (turque) et non un seul port ou aéroport, alors que Chypre laissait entendre qu'elle pourrait durcir sa position si certains représentants de l'UE continuaient à donner du crédit à la proposition turque.
Les discussions au niveau du COREPER se sont poursuivies vendredi sans qu'il y ait une quelconque conclusion. De plus, les propositions turques n'étant pas parvenues sous forme écrite, la France, l'Allemagne, la Hollande, la Grèce et Chypre, ont protesté que le représentant de la présidence finlandaise rédige un texte écrit en guise de conclusion. "Nous ne pouvons discuter sur un sujet aussi important sur la base de déclarations orales", ont-ils dit.
Ainsi, la discussion a été reportée à lundi au niveau des ministres des Affaires étrangères des pays membres qui doivent se réunir au sein du conseil des Affaires générales. Toutefois, le premier ministre finlandais et président du Conseil de l'UE, Matti Vanhanen, bien qu'estimant qu'il s'agisse d'un "signe positif" de la part de la Turquie, il a fini par concéder que "les propositions turque sont insuffisantes" et que "dans la phase actuelle, nous insistons aux respect par la Turquie de ses obligations".
i-GR/ANA-MPA