Il y a dix ans, sortait sur les écrans « Canine » de Yorgos Lanthimos , un ovni dans le paysage cinématographique. Trois jeunes au sortir de l’adolescence continuent de grandir dans le huis clos d’une confortable villa familiale, complétement isolés du monde extérieur. Ils ne connaissent du monde que ce que leurs parents leur racontent. Situation absurde autant que surréaliste qui au fil des minutes qui passent finit par nous devenir si familière. Prix « Un Certain Regard » au Festival de Cannes l’année de sa sortie, le film avait aussi été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger.
Depuis, Yorgos Lanthimos n’a cessé de récolter des prix prestigieux, mais la semaine prochaine, c’est avec 10 nominations, dont celle du meilleur film et du meilleur réalisateur, qu’il retourne à la cérémonie des Oscars. Son dernier film « La Favorite » nous plonge une nouvelle fois dans un enclos confortable, celui de la reine Anne de Grande Bretagne. Alors que la France et l’Angleterre sont en guerre, c’est une autre guerre, celle à laquelle se livrent les deux favorites de la reine, que Lanthimos nous invite à suivre, dans les coulisses du palais. Un petit monde clos, loin de la ligne du front, qui semble encore plus petit et clos quand la caméra le filme au fish-eye, comme si elle tentait de tout contenir en une seule image.
A contre-courant de l’air du temps, ici, les femmes ne sont pas victimes ; ce sont elles qui gouvernent les hommes et pilotent leurs armées. Redoutables prédatrices du pouvoir, elles usent de toute leur capacité de séduction ou de manipulation pour s’en approcher et se l’approprier. Et si jalousie il y a, on aura du mal de la mettre sur le compte de l’amour, puisqu’il n’y a ici que relations sexuelles.
Magnifiquement interprété par Olivia Colman, Rachel Weisz et Emma Stone, « La favorite » confirme le talent et l’originalité du regard de Yorgos Lanthimos. On vous l’avait dit, dès « Canine », Lanthimos, un regard pas comme les autres.
De film en film le réalisateur grec s’est constitué un véritable lexique d’allégories. Le spectateur attentif ne manquera pas de relever les clins d’œil à ses précédents films. Le huis clos espace privilégié où se déroulent tous ses films : une villa pour Canine, un gymnase pour Alps, un hôtel pour The lobster, un château pour La favorite. Le lapin du jardin de Canine a, depuis, fait de nombreux petits qui ont pris place dans le salon de la reine. Mais, dans le jardin d’une villa ou dans le salon du palais, le lapin est toujours en danger, se faire transpercer d’une paire de ciseaux dans Canine ou se faire écraser sous le talon d'une chaussure féminine dans La favorite. On retrouvera aussi la scène de la baignoire tout comme les scènes d’automutilation. Enfin dans la cour, on adore la course des homards, titre d'un précédent film de Lanthimos (The lobster, prix du Jury à Cannes 2015). Et partout, ces personnages en marge de leur monde, dans une réalité parallèle, si absurde, si folle, si ordinaire.
A.E./i-GR