Toute la classe politique grecque est ravie d'être repartie en campagne. Les politiciens ont la politique dans leur sang et ce dernier, bouillonnant, seule une campagne permet de le réveiller. Les élections c'est comme une cure à l'ozone. Les seuls à s'ennuyer finalement ce sont les Grecs, le peuple. Ouvriers, agriculteurs ou entrepreneurs, ils bataillent dur pour gagner leur pain quotidien et la distraction électorale qu'on leur propose, tombe au mauvais moment. Car, plus que jamais, pour s'en sortir, ils savent qu'ils doivent compter sur eux-mêmes.
Ni Caramanlis, ni Papandreou n'est en mesure de porter leurs espoirs. Les Grecs ont compris qu'il n'y a pas de programme politique à choisir dans ces élections. Le dernier message du leader socialiste, Giorgos Papandreou, ce jeudi soir était justement celui-là. "Le dilemme de ces élections se résume à voter pour un gouvernement PASOK ou un gouvernement ND". Même le seigneur de La Palice aurait du mal à inventer mieux. Vous parlez d'un dilemme ! A droite, son concurrent Costas Caramanlis fait encore mieux. "C'est moi ou moi !", a-t-il expliqué aux Grecs menaçant qu'au cas où il n'aurait pas la majorité absolue, il pourrait convoquer des nouvelles élections. Comme si les gens n'avaient pas autre chose à faire qu'à départager, d'élection en élection, l'appétit du pouvoir de Caramanlis et de Papandreou. Car le pouvoir est la principale motivation qui fait courir les deux hommes; le premier par pur narcissisme, le second pour honorer la dette familiale. S'il en était autrement, si le moteur était autre, il aurait au moins généré un brin de réflexion politique.
Caramanlis prétend que l'œuvre déjà accomplie l'affranchi de tout programme. Nous continuons… Mais quelle œuvre ? Les promesses faites aux agriculteurs ? Demandez-leur leur avis. Le quotidien des Grecs amélioré ? Certes, mais à coup de crédits. La Banque de Grèce ne cesse d'alerter sur le rythme effréné de l'endettement des ménages. 90 milliards en mai dernier, en augmentation de 23,7% sur un an !
Le niveau d'endettement des ménages grecs se rapproche de la moyenne européenne, voire des économies avancées de l'UE, sauf que l'économie grecque n'a rien de comparable et le secteur bancaire grec n'est pas préparé pour supporter le risque lié au crédit. Les grandes banques européennes, et notamment françaises, l'ont bien compris et en ont profité pour des acquisitions à bon compte.
Caramanlis, aussi, l'a bien compris et en a fait sa politique du commerce extérieur : nous vous aidons à investir en Grèce, aidez-nous à exporter nos produits, dit-il aux chefs d'Etat étrangers. Ce n'est pas que l'investissement étranger ne soit pas bénéfique au pays, mais lorsque les investisseurs grecs vendent leurs parts aux étrangers, ce sont tous les revenus du capital qui filent à l'étranger. Si la Grèce doit compter sur les seuls revenus du travail, il ne faudra pas se plaindre des faibles recettes fiscales. Sarkozy, en France, en savait quelque chose en établissant son "bouclier fiscal". Pendant ce temps, Caramanlis contemple une balance du Commerce extérieur qui n'en finit pas de pencher du mauvais côté. Et, pour satisfaire aux impératifs Bruxellois d'un déficit en dessous de 3% du PIB, on a trouvé la parade : la répression de la tricherie fiscale. Une recette qui permet de vider les poches des ménages et les caisses des entreprises afin de remplir celles de l'Etat, et quand ceci ne suffit pas on trouve le reste dans les privatisations.
Le Portugal avait connu une situation similaire en 2001. Le régime d'austérité à base de hausses de tva, de recouvrement fiscal accéléré, de péages, en fait tout ce qui pouvait remplir les caisses sans produire davantage avait fini par plonger le pays dans la récession. Même si nous pouvons reconnaître au gouvernement sortant un effort certain pour limiter les dépenses publiques, la belle croissance affichée par la Grèce est liée à la seule consommation intérieure, sauf que celle-ci se fait à crédit. Les saisies de voitures et d'immeubles pour impayés ont commencé depuis un moment. Une économie animée par la consommation, sans que la production et l'investissement ne suivent, ne peut se porter bien que le temps d'une... législature. Finalement, Caramanlis aura été l'homme qui a mis les Grecs à genoux pour redresser les comptes publics.
Et que dit Papandreou ? Pas un mot sur la productivité. Son leitmotiv, la redistribution des richesses. On connaît la chanson autant que lui. La seule différence, une foi inébranlable qu'il peut gagner les élections. En dépit des sondages, le miracle pourrait bien se produire, pour lui. Sauf que le parti socialiste grec est loin d'être prêt à gouverner. Depuis 4 ans, il prépare la… succession de Caramanlis. Incantation après incantation, mais Papandreou ne décolle pas dans les sondages. Les jeunes cadres sont pris dans les querelles internes, tandis que les "éléphants" grecs se portent à merveille. Indétrônables, même dans l'opposition. On se croirait au temps de Papandreou-le-père. Programme économique réduit à un slogan. Programme social : on ne touche à rien - le temps n'est pas à la conquête de nouveaux droits mais à la conservation des acquis. Politique extérieure : il était une fois… j'étais ministre des Affaires étrangères et tout allait bien. La messe est dite. En silence. Voire en complice. Aucun des grands scandales qui ont agité les quatre dernières années n'a été résolu. Les mystérieuses écoutes téléphoniques des leaders politiques y compris des ministres (!) durant les JO d'Athènes ? on n'en parle plus ; les super plus-values réalisées en secret sur des obligations d'Etat faisant un Athènes-Londres-Berlin aller-retour en 24 heures ? Affaire close. Les responsabilités dans les derniers incendies ? La polémique qui s'était engagé a succombé à la fièvre électorale. Ce devait être le thème de la campagne, c'est déjà oublié ou plutôt refoulé : toute prise de position engage sur l'avenir et ce n'est pas le propos.
En fait, un programme électoral -ou, on peut encore rêver, un programme de gouvernement - sont hors sujet dans ces élections. Le véritable choix qui est proposé aux Grecs n'est pas un programme contre un autre, mais une personnalité contre une autre, une famille contre une autre. Caramanlis contre Papandreou et vice-versa. Mais, là on serait encore dans la politique. Le problème est que les deux hommes ne s'opposent qu'en apparence.
L'un a déjà épuisé le capital de l'homonymie et de la parenté avec son illustre oncle. Il ne viendrait à personne de comparer l'intelligence et la stature du fondateur du parti Constantin Caramanlis au lendemain de la chute de la junte militaire avec celles de l'actuel leader des conservateurs. Papandreou, lui, garde encore de l'aura d'Andreas Papandreou, son père, mais à 55 ans, le fils n'a pas encore croisé son destin. Malgré un marketing politique qui le met toujours en scène près des gens, il est davantage fait pour les conversations de salon que pour les meetings publics. Le terrain des poignées de main et des bains de foule lui a été ravi par Caramanlis qui, côté salon, mieux vaut plancher sur le commentaire d'une rencontre sportive que sur le thème politique. Mais l'un comme l'autre doit l'emporter dimanche, faute de quoi son leadership sur son camp sera mis en cause par les dauphins, tradition grecque oblige. On est impitoyable avec les perdants.
Finalement, Caramanlis et Papandreou ne se rencontrent point dans cette compétition. En l'absence de discours politique, ils ne s'opposent pas tellement l'un contre l'autre, mais chacun s'oppose à soi, à son propre fantôme, ombre de la famille. Un fantôme qui les poursuit jusqu'aux marches du pouvoir. A ce théâtre d'ombres, quel rôle ont choisi de jouer les électeurs ? Lever de rideau dimanche soir.