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Démantèlement du terrorisme : les apories du béotien

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Par iNFO-GRECE,

Dans un des nos premiers articles sur le récents évènements autour de la 17N, nous exprimions notre inquiétude sur la lenteur de l'arrivée des premiers chefs d'accusation qui ouvriraient la voie aux arrestations, après que le premier membre de l'organisation terroriste arrêté eu passé aux aveux et aux révélations. Nous disions exactement que les autres membres de cette redoutable organisation, intouchable depuis 20 ans malgré le nombre des meurtres revendiqués et d'autant d'actes de brigandage, n'allaient pas attendre l'arrivée de la police devant leur poste de télévision. On s'était bien trompés.


Force est de constater que, depuis, les arrestations se succèdent au rythme de 1-2 par jour. Avec une facilité étonnante. Comme si ces fameux terroristes attendaient cette heure ! L'heure où on viendrait les cueillir en train de bronzer dans leur villa ou affalés dans leur canapé. Aucune résistance, aucune tentative de fuite. La défaillance des hautes protections qu'on leur attribuait ne semble même pas les inquiéter. Les réseaux internationaux qu'on soupçonnait ne sont même pas sollicités. La camaraderie et la solidarité qu'on attendait entre membres de tels groupes qui cède à la dénonciation mutuelle, ne les révolte même pas. Non, ils défilent calmes, sages, passibles, stoïques… Comme s'ils jouaient la dernière pièce d'un rôle qu'ils avaient intégré depuis longtemps. Comme si tout cela avait été bien répété auparavant ! Comme les attentats qu'ils ont commis, qu'on apprend qu'ils étaient précédés d'une prova generale.

Bizarre quand même ! Les super-terroristes qui ont mobilisé les meilleurs experts internationaux, pistés pendant vingt ans par la CIA, la Scotland Yard, la DST, qui ont envenimé les relations diplomatiques de la Grèce avec les Etats-Unis, qui ont nourri le doute sur le parti socialiste grec et sur les anciens noyaux de la résistance contre la dictature, tombent comme des apprentis inexpérimentés dans un film que même les amateurs des plus nullardes des séries B n'iraient voir. Et pourtant, des millions des grecs, délaissant même les bains d'été, suivent impatiemment le dernier épisode devant leur poste de TV. Eh oui, les protagonistes défilent nus entre le commissariat et le juge : des messieurs tout-le-monde, ordinaires, gens du peuple, pas d'idéologie avant-gardiste, pas de slogans révolutionnaires, pas de fuyards, pas de têtes brûlées, pas de barbus marxistes, pas de chevelus guevaristes. Même les chefs historiques ont pale figure, des intellectuels de dernier rang, des universitaires douteux, des diplômés non-certifiés.

Où sont passés les ex-ministres, députés, intellectuels éminents et autres couvertures supposées? Le scénario est décevant, frustrant. Vingt ans de suspense pour arriver à cela. Bizzare ! ceux qui détenaient les listes des agents de la CIA en Méditerranée, qui connaissaient le parcours chronométré d'un car militaire bourré de soldats américains, qui savaient entrer dans une caserne et sortir avec une cargaison d'armes lourdes en une nuit, qui maniaient la symbolique de leur cible aussi bien que le choix calendaire des actions, qui tiraient sur des industriels grecs, sur des attachés militaires britanniques, sur des espions turcs, sur des bourreaux de la junte militaire de 67, sur des députés de la droite et parfois de gauche, sur des éditeurs de journaux, ils n'étaient que des petits cons comme n'importe qui ; même pas des dérangés de la cervelle ; même pas des soldats à la solde, même pas foutus pour s'enrichir ; certes, tous connus depuis longtemps de la police ! mais, pour des faits mineurs, pour avoir battu sa femme, pour un soupçon de participation dans une organisation "révolutionnaire", pour outrage à agent, bof ! pas de quoi fouetter un chat. Ordinaires, capables d'abattre un homme à froid, mais ordinaires, gens du droit commun, comme on dit ! Connu si longtemps qu'on se demande si des complicités ne s'étaient pas nouées.

Des petits gens comme cela, minables, maniables, manipulables, devaient intéresser bien de services secrets pour quelques missions par-ci par-là. Mais voilà l'issue qu'on nous présente ne fera pas de vagues. Consensus général. De la droite, de la gauche, gouvernementale ou non. Où sont passées les remontrances de la diplomatie américaine, les pressions plus amicales de l'Europe, les rapports secrets ou semi-secrets, les fuites orchestrées et les révélations incontrôlées d'anciens agents ? Au rang de la science-fiction ! Un agent en retraite est un agent disqualifié, discrédité dès qu'il n'est plus actif. Les tabloïdes populaires qui titrent sur la une avec leur art de l'exagération que les coupables sont connus ; voilà les démentis officiels qui pleuvent, qui dénoncent l'absence des preuves et crient à la manipulation de l'opinion ; peu importe si, dix jours après, la nature des arrestations donnent raison aux premiers. En revanche, les rapports des interrogatoires qui sont publiés in-extenso par la presse pro-gouvernementale et cela n'émeut personne. Des listes des noms de suspects qui circulent ? de la diffamation ! Les suspects qui sont décrits, sans être nommés, mais jusqu'au moindre détail y compris la taille de l'immeuble et le nom de la rue où papa a investi ? de l'information !

Après vingt ans de silence, les infos, les arrestations, les communiqués officiels, les effets d'annonces, vont du coût trop vite pour pouvoir les saisir, les recouper, pour savoir qui dit quoi tout simplement. "Un prof grec arrêté à Strasbourg", titre un tabloïd. Impossible de le vérifier au ministère français de l'Intérieur, personne n'est au courant. Trois jours plus tard, c'est un vrai-faux prof grec de Strasbourg qui est arrêté dans le Dodécanèse. "Nous vous y attendions depuis vingt ans", dit le contre-espionnage français quand les policiers grecs viennent enquêter à Paris, pense savoir un quotidien athénien réputé sérieux. Or la veille de l'arrestation de celui que la police grecque considère comme le chef de la 17N, né et résidant en France, la DST, surtout mobilisée sur le front du terrorisme islamique, ne suivait que vaguement les évolutions en Grèce. Cela pourrait expliquer la prudence et la retenue du Quai d'Orsay à commenter l'évolution de l'affaire 17N, après l'interpellation d'une enseignante française en tant que compagne du chef présumé. Une retenue qui contraste avec les panégyriques du Foreign Office et de la Maison Blanche, alors même que les références aux milieux de l'extrême gauche parisienne sont persistantes dans le dossier. Comment les services français seraient sur la piste de la 17N depuis des années, alors qu'il y a à peine un an, ils étaient encore au point d'interroger des simples homonymes du principal suspect repérés dans l'annuaire téléphonique ? Comment les services grecs traquaient depuis longtemps le même homme, alors qu'il y a à peine quelques mois ils étaient seulement en train de chercher son nom dans les listes de l'Etat-civil du Consulat de Grèce à Paris ? Ces contradictions ne sont possibles que si des dossiers antérieurs aient été enterrés, auquel cas il fallait bien repartir à zéro.

Et c'est bien à zéro que tout semble être reparti. Du moins dans la redéfinition des objectifs. Le pragmatisme semble aujourd'hui à l'œuvre. Qu'est-ce ce qui importe en fait ? La vérité ou la sécurité ? L'enjeu des jeux olympiques d'Athènes en 2004 milite en faveur d'une vérité négociée. Celle qui permettra de se débarrasser du risque d'une action de la 17N à moindre frais. Dans cinq mois, la Grèce aura aussi meilleure mine pour prendre la présidence tournante de l'Union Européenne. Les dossiers de Chypre, des relations avec la Turquie, sont plus vieux que celui de la 17N, mais les enjeux se renouvellent plus régulièrement que celui, arrêté, du terrorisme indigène. Qui donc aurait intérêt à fouiller dans les zones troubles de la 17N ? La gauche grecque n'a aucune envie de voir ses médailles brillantes de pilier de la résistance contre la dictature se ternir par des douteux cousinages idéologiques ; la droite, elle, bien contente de ne pas avoir à hériter d'une épine dont elle ne saurait penser les plaies qu'elle ouvrirait. La diplomatie américaine ou européenne, contentes elles aussi que cette histoire se termine, même sans gloriole, car les crimes de la 17N commençaient un à un à être prescrits par le temps. A l'inefficacité du jusqu'au-boutisme du départ, autant se contenter des bénéfices du démantèlement de l'appareil opérationnel de l'organisation, tant pis pour le reste ; il passera par pertes et profits.

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