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Ali pacha, par A de Beauchamp, (1822) suite 3.

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Soumis par efthymiouthomas le

[i] Tout présageait des jours de paix aux chrétiens, lorsqu'un orage, formé dans l'Orient, vint fondre sur la moderne Épire. Les Turcs, descendus du Caucase, maîtres de l'Asie-Mineure et de la Thrace, allaient se précipiter sur la Grèce, qui était divisée par le schisme et amollie par le luxe. Le nom des Turcs retentit bientôt dans l'Albanie. On était au XIVe siècle. Les Génois occupaient Chío, les Vénitiens les Cyclades et la Morée, tandis qu'une partie de l'Épire était gouvernée par le Crâle ou roi de Servie, prince nommé Étienne, qui s'était emparé de Janina, ville du moyen âge, devenue depuis le chef-lieu et la capitale de l'Albanie.

Ce ne fut qu'au printemps de 1380 qu'on vit arriver les premiers Turcs qui eussent encore osé s'aventurer au-delà du Pinde. Ils avaient déjà envahi la Grèce et les terres de la Macédoine. Poursuivant le cours des victoires de ses ancêtres, le sultan Bajazet Ildérim (la Foudre) avait franchi les montagnes et les fleuves ; il était maître de la Haute-Albanie, et il se préparait à passer le Pinde avec le gros de son armée, lorsque le bruit des armes de Tamerlan, qui ravageait l'Asie-Mineure, le ramena dans l'Orient, où il perdit dans les plaines d'Ancyre (en 1401) le trône et la liberté. Cet événement fameux dans l'histoire ne fit qu'ajourner la conquête de l'Épire par les Mahométans.

Amurath, neuvième monarque de la dynastie des Ottomans, étant monté sur le trône en 1422, reprit aussitôt les plans de ses prédécesseurs contre la Grèce et le Bas-Empire. En vain les Épirotes lui disputèrent d'abord avec avantage l'entrée des défilés du Pinde. Épouvanté par une sommation que ce prince leur adressa de son camp devant Thessalonique, ils résolurent de se soumettre. Une capitulation ayant été réglée avec le sultan, les Turcs prirent le 9 octobre 1431, possession de Janina : c'était déjà une ville florissante.

Cependant le vainqueur des Albanais, aigri par plusieurs révoltes partielles, et enflammé par l'esprit de prosélytisme, commanda aux vaincus d'embrasser la religion du prophète. Ses officiers et ses soldats, à son exemple, furent intolérants et oppresseurs. Mais si les habitants des plaines se montraient disposés à obéir, les Mirdites, restés inébranlables, faisaient tête à l'orage, voulant rester fidèle à l'unité de l'Église. Les orthodoxes qui purent gagner les montagnes se replièrent vers les cantons de la Chimère, de Souli, de Parga, et ceux que les rochers ne purent défendre, passèrent dans le Péloponnèse, toujours harcelés et poursuivis par les Turcs. Il n'avait fallu rien moins que le courage des Mirdites pour arrêter les hordes musulmanes au pied de leurs montagnes ; partout ailleurs des tribus entières et plusieurs villes enveloppées par le débordement de ces guerriers fanatiques n'avaient eu que le choix entre l'esclavage, la mort, ou la honte d'abjurer leur religion. Plusieurs choisirent ce parti, et l'apostasie eut été générale sans l' appartition de Georges Castriot, le héros de l'Épire chrétienne. Il était connu dans la Haute-Albanie sous le nom de Scanderberg ou bey Alexandre, et tenant le titre de bey du sultan même, à la cour duquel il avait été élevé comme otage, de même que jadis les Romains formaient les fils des rois tributaires de leur empire. Instruit de la détresse de ses compatriotes, il brise ses fers et vole à leur secours. Au nom du nouvel Alexandre, se réveillent des souvenirs pleins de gloire, qui enflamment tous les chrétiens de la Haute-Albanie ; ils courent tous aux armes, guidés par leur nouveau chef, et disputent avec courage la possession de l'Épire aux Musulmans. Le rocher de Croïa, place d'armes de Scanderberg, devint le terme des ravages et des succès d'Amurath. Dans cette guerre d'un genre nouveau, les Ottomans furent battus toutes les fois qu'ils attaquèrent. Leur armée fut renouvelée sans cesse, quoique leur ennemi ne fit que se défendre. La lutte se prolongea sous de règne, sous un Amurath et sous Mahomet II. D'abord, de plus vastes desseins occupèrent le belliqueux Mahomet. Il oublia un moment Scanderberg au fond de ses montagnes. Ce héros chrétien n'était à ses yeux qu'un rebelle isolé, qu'il pouvait sans danger différer de punir; cependant il ne perdait pas de vue. Tout en combattant, en écrasant des ennemis qu'il jugeait plus redoutables, il entretenait une armée, sinon pour détruire Scanderberg, du moins pour le contenir dans son territoire montueux. Toute la gloire fut pour le prince albanais, dans cette guerre célèbre, que le fier Mahomet fut contraint le premier de suspendre. En 1465, il envoya un ambassadeur à son ennemi, avec de riches présents, et proposa la paix, ou plutôt une trêve, qui fut acceptée.

Les historiens de Scanderberg donnent aux possessions de ce prince plus d'étendue, que n'en avait le territoire des anciens rois de Macédoine. Mais on sait aujourd'hui qu'il ne possédait, à proprement parler, que Croïa, Lissa, Dyrrachium et la partie du Musaché qui s'étend le long de la rive droite de l'Ipsus. Il occupait ni Janina, ville déjà conquise par les Turcs, ni le château de Bérat, dont Amurath s'était rendu maître, en 1440. Le prétendu royaume de Scanderberg se réduisait donc au modeste territoire de Croïa ; l'illustration de ce prince tenant plus à ses vertus guerrières qu'à l'étendue du pays qu'il possédait à titre de monarque. En sa qualité de soldats de J.-C. (titre dont il se faisait gloire), il était chef d'une ligue de seigneurs latins, qui tenaient, sous divers titres de ducs, de comtes et de barons, les principales contrées de la Haute-Albanie.

Sa paix avec Mahomet II fut de courte durée, Scanderberg était devenu aussi l'allié du Pape, des Vénitiens et du roi de Naples. Les princes chrétiens s'armaient contre les Ottomans ; et Mahomet, dans la crainte que le commandement des forces des croisés ne fut donné à son habile adversaire, lui offrit de renouveler le traité de paix. Scanderberg s'y refusa, sur une lettre du pape Pie II, annonçant qu'une armée chrétienne débarquerait bientôt en Épire. Il entra en campagne, et pilla le territoire ottoman ; mais il ne fut pas soutenu.

Les alarmes de Mahomet s'étant éloignées pour jamais avec les croisés, toute sa fureur et toute sa puissance retombèrent sur Scanderberg et sur l'Albanie . Il envoya une nouvelle armée ; elle essuya trois défaites qui coûtèrent la vie à trente mille Turcs. Mahomet vint en personne avec deux cent mille hommes. Le danger était pressant. Scanderberg ne s'enferme dans aucune de ses places. Retiré avec un camp volant d'Albanais dans ces montagnes qui étaient ses forteresses naturelles, il harcelait, attaquait détruisait l'armée ennemie. Mahomet ne s'attacha pas non plus à prendre Croïa ; mais traversant l'Albanie d'une frontière à l'autre ; la ravageant, passant les assiégés au fil de l'épée, au mépris des capitulations, emmenant tout ce qu'il n'exterminait pas, il força son valeureux antagoniste, encore plus affaibli que vaincu, de lui céder le terrain qu'il ne pouvait plus défendre. Scanderberg s'étant retiré à Lissa, ville vénitienne, y mourut de maladie, après avoir lutté avec gloire pendant vingt-quatre ans contre les forces d'Amurath et de Mahomet. Tous ses efforts n'avaient fait que suspendre le cours de la fortune des Ottomans. Maîtres sans retour de la Macédoine et de l'Épire, ils s'y établirent peu à peu leur despotisme accablant, qui serait sans limite s'il n'avait pour frein les principes religieux. (à suivre) [/i]

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