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La mort de Socrate, de Lamartine, suite (3)

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Soumis par efthymiouthomas le

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Son regard élevé loin de nous semblait lire;
Sa bouche, où reposait son gracieux sourire,
Toute prête à parler, s'entr'ouvrait à demi;
Son oreille écoutait son invisible ami;
Ses cheveux, effleurés du souffle de l'automne,
Dessinaient sur sa tête une pâle couronne,
Et, de l'air matinal par moments agités,
Répandaient sur son front des reflets argentés;
Mais, à travers ce front où son âme est tracée,
On voyait rayonner sa sublime pensée,
Comme, à travers l'albâtre ou l'airain transparents,
La lampe, sur l'autel jetant ses feux mourants,
Par son éclat voilé se trahissant encore,
D'un reflet lumineux les frappe et les colore !
Comme l'oeil sur les mers suit la voile qui part,
Sur ce front solennel attachant leur regard,
A ses yeux suspendus, ne respirant qu'à peine,
Ses amis attentifs retenaient leur haleine;
Leurs yeux le contemplaient pour la dernière fois !
Ils allaient pour jamais emporter cette voix !
Comme la vague s'ouvre au souffle errant d'Éole,
Leur âme impatiente attendait sa parole.
Enfin du ciel sur eux son regard s'abaissa,
Et lui, comme autrefois, sourit et commença

« Quoi ! vous pleurez, amis ! vous pleurez quand mon âme,
Semblable au pur encens que la prêtresse enflamme,
Affranchie à jamais du vil poids de son corps,
Va s'envoler aux dieux, et, dans de saints transports,
Saluant ce jour pur, qu'elle entrevit peut-être,
Chercher la vérité, la voir et la connaître !
Pourquoi donc vivons-nous, si ce n'est pour mourir ?
Pourquoi pour la justice ai-je aimé de souffrir ?
Pourquoi dans cette mort qu'on appelle la vie,
Contre ses vils penchants luttant, quoique asservie.
Mon âme avec mes sens a-t-elle combattu ?
Sans la mort, mes amis, que serait la vertu ?...
C'est le prix du combat, la céleste couronne,
Qu'aux bornes de la course un saint juge nous donne;
La voix de Jupiter qui nous rappelle à lui !
Amis, bénissons-la ! Je l'entends aujourd'hui :
Je pouvais, de mes jours disputant quelque reste,
Me faire répéter deux fois l'ordre céleste.
Me préservent les dieux d'en prolonger le cours !
En esclave attentif, ils m'appellent, j'y cours!
Et vous, si vous m'aimez, comme aux plus belles fêtes,
Amis, faites couler des parfums sur vos têtes.
Suspendez une offrande aux murs de la prison !
Et, le front couronné d'un verdoyant feston,
Ainsi qu'un jeune époux qu'une foule empressée,
Semant de chastes fleurs le seuil du gynécée,
Vers le lit nuptial conduit après le bain,
Dans les bras de la mort menez-moi par la main!...

Qu'est-ce donc que mourir? Briser ce nœud infâme,
Cet adultère hymen de la terre avec l'âme,
D'un vil poids, à la tombe, enfin se décharger !
Mourir n'est pas mourir, mes amis, c'est changer !
Tant qu'il vit, accablé sous le corps qui l'enchaîne,
L'homme vers le vrai bien languissamment se traîne,
Et, par ses vils besoins dans sa course arrêté,
Suit d'un pas chancelant, ou perd la vérité.
Mais celui qui, touchant au terme qu'il implore,
Voit du jour éternel étinceler l'aurore,
Comme un rayon du soir remontant dans les cieux,
Exilé de leur sein, remonte au sein des dieux;
Et buvant à longs traits le nectar qui l'enivre,
Du jour de son trépas il commence de vivre ! »
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