Ingénieur de travaux civils, Maria Ioannidou est à la tête du Service de conservation des monuments de l'Acropole, en charge des travaux de restauration, un chantier immense s'étalant sur une durée de plus de 20 ans ! Nous avons rencontré Mme Ioannidou à l'occasion de la fin d'une première phase de travaux, en pleine crise de la dette grecque.
Angélique Kourounis : Pour la première fois depuis les années 80, on peut voir le Parthénon et le Temple d'Athéna Niké sans les échafaudages qui le corsetaient. On peut également entrer par des Propylées libres de toutes entraves, quel est votre sentiment ?
M.I. : C'est une immense satisfaction, vous ne pouvez pas l'imaginer… Le Parthénon enfin libéré des échafaudages qui le défiguraient toutes ces années ! Mais, notre satisfaction est surtout due à l'excellent travail accompli. On a restauré l'une des sept merveilles du monde en la respectant et en respectant les impératifs historiques et techniques. C'est, croyez-moi, une véritable prouesse technique !
A.K. : Pourriez vous nous donner quelques chiffres clés de ces restaurations ?
M.I. : Nous avons démonté plus de 800 blocs de marbres. Et nous avons restauré et remplacé en tout et pour tout sur l'Acropole 1094 blocs. Pour cela nous avons utilises 530 mètres cubes de marbre nouveau pour toutes les restaurations. Le poids total de ces blocs s'élève à 2.655 tonnes. Nous avons utilisé du marbre du mont Pentélique, de la carrière de Dyonissos, un site très proche de la carrière antique, au flanc nord du mont Pentélique. La carrière antique du mont Pentélique est, elle, classée "monument" et donc protégée de toute exploitation.
A.K. : Combien ont coûté tous ces travaux?
M.I. : Ces immenses travaux ont coûte 32 millions d'euros à la communauté européenne et 10 millions d'euros à l'état grec. Cela représente le plus grand chantier de restauration en Europe et un des plus importants sur le plan mondial ; mais, aussi qualitativement parlant, le chantier le plus avancé en matière de méthodologie, de recherche, de nouvelle technologie, etc.
A.K. : Depuis maintenant plus de six mois la Grèce est soumise à des critiques virulentes, que les Grecs sont fainéants, dépensiers et j'en passe. Comment vous sentez vous étant en charge d'un projet où tout semble fonctionner comme il faut ?
M.I. : En tant que Grecs nous sommes cibles d'une multitude de critiques. Ce n'est pas une bonne chose. Après avoir accompli un chantier comme celui-ci, avec amour, enthousiasme, transparence totale du premier au dernier stade d'avancement, je pense que nous Grecs pouvons en être fiers. C'est un projet de grande qualité effectué de la meilleure manière. Et, contrairement à ce que peuvent laisser penser les critiques, les travaux se sont déroulés sur une durée de 9 ans et ont coûté 42 millions en tout. Pour un tel ouvrage ce n'est pas du tout un budget excessif.
A.K. : La crise financière que traverse la Grèce n'est pas un obstacle au financement des travaux ?
M.I. : Non. Nous avons reçu l'assurance que nous serons financés pour autant que l'on continue le travail de la même façon. On en a encore pour 10 ans, vous savez !
A.K. : La restauration n'est-elle, donc, pas définitivement terminée ?
M.I. : Ah non ! On remonte les échafaudages, dans un mois ou deux, pour travailler sur la partie ouest du Parthénon. Six métopes seront démontées et transférées au nouveau musée de l'Acropole, c'est la seule façon de les protéger de la pollution.
A.K. : Sur quoi a porté précisément la présente phase ?
M.I. : Outre le Temple d'Athéna Niké, sur la face ouest, 14 blocs n'avaient pas été emportés par Lord Elgin. Ces blocs sont restés en place jusqu'en '92-'93 quand nous les avons démontés. Nous avons effectué différents essais pour déterminer la façon idéale pour les nettoyer pour finalement adopter une méthode par laser. Une méthode novatrice, différente de celle couramment employée, qui utilise à la fois deux longueurs d'ondes différentes. La méthode est tout à fait sure car elle préserve les différentes strates de la surface des pierres et balaye, sans les faire disparaître, tous les détails infimes comme les restes de couleurs aussi bien que les traces d'outils antiques. La patine noire de la pollution est nettoyée sans abîmer le marbre. Ces parties ont donc subi ce traitement et ont été ensuite intégrés au nouveau musée de l'Acropole.
A.K. : Les experts mondiaux, reconnaissent-ils le savoir faire grec ?
M.I. : Tout a fait ! Même récemment, au sommet de la critique médiatique qu'a subi la Grèce, trois archéologues sont venu d'Allemagne chez nous et nous ont confirmé que les méthodes appliquées à la restauration de l'Acropole étaient leurs méthodes de référence, par exemple pour la restauration de la basilique de Cologne.
A.K. : Quant vous regardez le travail accompli, ne pensez-vous pas qu'il manque toutefois quelques morceaux ?
M.I. : Vous faites référence aux frises enlevés par Lord Elgin, je suppose. Nous ne ressentons pas ces morceaux comme perdus. Ils sont exposés au British Muséum, ils ne sont pas perdus. En tant que restaurateurs nous estimons que c'est le cas d'une multitude de monuments. Ici en Grèce, nous devons faire beaucoup de travaux pour beaucoup de monuments. Si jamais nous ne recevrions pas en retour ces frises je ne ressentirais pas ça comme quelque chose de terrible. L'Angleterre est tout de même un pays européen et même si je souhaite que ces frises soient restitués à la Grèce, le fait qu'ils soient exposés aux British Muséum n'est pas quelque chose qui me désole.
A.K. : Pourtant, la Grèce a construit l'un des plus beaux musées d'Europe pour, notamment, pouvoir accueillir les marbres du Parthénon retenus au British muséum. L'absence d'un lieu d'exposition approprié était un des arguments britanniques du refus de la restitution. Or, le dossier semble toujours bloqué. Qu'est-ce qui pourrai faire bouger la situation ?
M.I. : Nous savons très bien que ni le British Muséum ni le gouvernement britannique ne veulent retourner les marbres. Je ne suis donc pas bien optimiste avec toute cette histoire. Déjà parce qu'ils craignent que cela va créer un précédent pour d'autres trésors qui se trouvent actuellement en possession du British Muséum ou n'importe où ailleurs dans le monde entier. Notre demande a ouvert les yeux à bien d'autres pays. C'est tout le danger. Mais, ce n'est pas une raison d'abandonner notre demande ; on doit poursuivre notre action par voie politique et diplomatique.
Propos recueillis par
Angélique Kourounis
Athènes