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Oui aux Turcs, non à la Turquie : assumons l'exception d'une avancée à reculons.

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By iNFO-GRECE,

L'Etat turc n'a pas respecté son propre peuple et ses droits civiques durant près d'un siècle de son histoire moderne. L'Etat turc n'a pas respecté ses engagements concernant les droits de l'homme envers le Conseil de l'Europe dont il est membre depuis près de cinquante ans. Bien qu'il ne faille pas préjuger des chances d'un pays d'évoluer, l'arrogance affichée tout au long de cette année dans la salle d'attente de l'UE ne présume en rien une intégration pacifique de la Turquie dans l'espace européen. Et pourtant, il faut dire oui à son adhésion.


Il faut défendre l'adhésion turque, non pas que les Turcs la méritent – le mérite a une connotation morale et dans cette affaire la froideur des calculs bruxellois est suffisante pour geler toute velléité morale – mais parce que l'Europe doit assumer ses erreurs. Les erreurs de décisions passées, les erreurs d'évaluation, ses pratiques de lobbying, des vues courtes avançant sous couvert des grandes idées, etc. Aujourd'hui, il est bien tard de faire machine arrière et l'Union Européenne est condamnée d'aller de l'avant même si cela aboutit à un mur. Le choc à ce mur peut être plus bénéfique que la marche vers un arrière qui n'existe plus. L'adhésion de la Turquie sera le premier élargissement négatif de l'UE, mais il faudra le faire parce que toute alternative a déjà été irrémé/diablement éliminée.

Une adhésion paradoxale me diriez-vous ? Oui, exactement paradoxale. Cette logique paradoxale que nous trouvons quotidiennement nichée dans l'exercice du politique aujourd'hui. Le paradoxe a cette vertu, qui en l'absence de toute doxa, permet de masquer la contradiction et de dépasser son déni pour en faire un nouvel espace de « liberté » composé par l'adition des deux contraires. C'est comme dans cette affaire du sexe des anges : l'homme naît comme un ange ; puisque les anges n'ont pas de sexe et que l'homme en a un, plutôt que de résoudre la contradiction en assumant son sexe, ne pas en choisir vous rend miraculeusement plus riche, vous donne des nouvelles possibilités infinies. Voilà à quoi ressemble le mariage actuel de l'Europe et de la Turquie. Mais y croit qui veut.

Y croire comme de cette gauche européenne qui brandissait hier à Strasbourg joyeusement les pancartes du « oui » à la Turquie. Fierté d'afficher publiquement le secret de son vote, telle une gay pride qui étale dans la rue son intimité sexuelle. Fierté à la hauteur du mépris de l'opinion publique des peuples de l'Union d'où elle tire sa raison d'être. Mais l'occasion était trop belle de faire le pied de nez à cette droite conservatrice qui s'oppose à l'entrée de la Turquie dans l'Union au nom de valeurs aussi désuètes que l'identité, la culture et pis encore la religion.

Que la gauche européenne laïcarde affiche un tel enthousiasme à accueillir dans les bancs du Parlement européen une quasi-dictature militaire de droite flanquée d'un gouvernement qui ne cache point son inspiration religieuse, nul paradoxe ; l'histoire nous a montré que quant il fallait faire voir au capitalisme la contradiction interne qui le ronge, le socialisme s'accommodait fort bien à la sauce nazionaliste. Puis, il est bien connu que quand il y a trop de paradoxes, il n'y a plus de paradoxe.

Il n'empêche que cette gauche a raison. Raison d'avoir tort. La Turquie doit faire partie de l'UE parce qu'il y a plus de mauvaises raisons que des bonnes. Paradoxe pour paradoxe. Ce n'est ni pour éviter les chocs des civilisations – dernière illumination bushienne de Chirac, ni pour faire la paix sur le modèle franco-allemand ou la concorde franco-anglaise avec l'ancien occupant ottoman de la moitié de l'Europe, puis l'allié de tous les fascismes.

De quelles bonnes raisons nous parle-t-on ?

De la préservation de la laïcité en Turquie ? Un, ce n'est pas la mission de l'Union Européenne que de s'ingérer des affaires intérieures d'un pays qui de plus n'est pas membre de la famille. Deux, les missions civilisatrices et de propagande des valeurs "universelles", se sont rarement soldées par un succès : croisés, colonialisme, intervention américaine en Irak ; bien le contraire, le plus souvent elles étaient le prétexte de missions plus bassement matérielles et mercantiles. De plus, qui a décrété que la laïcité était en danger en Turquie ? D'un côté, les militaires veillent ; de l'autre, les Turcs vont à la mosquée comme ici on va à la messe le dimanche. Si les Turcs devaient basculer dans le fanatisme islamique panarabe, cela ferait longtemps qu'ils l'auraient déjà fait.

De la démocratisation du régime et de la promotion des droits de l'homme ? Ce peut-être le seul combat qui vaille. C'est pourquoi nous titrons ce papier OUI aux Turcs, NON à la Turquie. Il faudra encore s'en sortir avec la ruse de nos Anatolites spécialistes du marchandage et du bakchich. Tant que l'Europe sera disposée à payer grassement pour améliorer la condition des droits de l'homme en Turquie, soyons assurés qu'il restera des droits non respectés et de pans de démocratie non appliqués. Non, on n'opposera pas le cynique "le peuple mérite le régime qu'il a" pour ne rien faire et le laisser sans aide, mais ne soyons pas naïfs que le peuple est en soi bon et soumis à la tyrannie. Car si effectivement on peut dire que le peuple mérite son régime, c'est tout aussi valable de dire que le régime mérite son peuple dans la mesure où un régime élabore l'image que le peuple a de l'Autre, donc de Soi. Regardez l'arrogance affichée par leur Premier ministre. C'est exactement la même arrogance que l'on constate en interrogeant les pêcheurs du Bosphore. Ecoutez leurs militaires vous parler de Chypre, de l'Arméniens, des Kurdes. On entend la même chose chez le petit peuple. Normal, depuis des décennies ils sont nourris des manuels scolaires rédigés au mot près par le régime. Ils boivent les paroles de leurs maîtres comme du petit lait. Et ce n'est pas la vigueur d'un débat démocratique inexistant qui leur fournira des alternatives.

Avoir un voisin turc démocratique est meilleur pour la sécurité de l'Europe qu'un pays islamiste ? Mais justement, en faisant entrer la Turquie dans l'Europe, nous repoussons les frontières de l'UE jusqu'aux pays les plus islamistes que l'on connaisse aujourd'hui : l'Irak, l'Iran, et que dire de la dictature Syrienne ? Ce seront nos nouveaux voisins !

De quelles autres bonnes raisons ? Du marché économique ? Le coût de l'harmonisation que chaque européen devra payer pendant des décennies ne sera jamais récupéré et si encore ce le sera le cas un jour ce ne le sera que dans les comptes de quelques multinationales. Du repeuplement de l'Europe en manque de progénitures ? Il a tant de pauvres, des jaunes, des noirs, des tziganes, des européens de l'Est qui frappent tous les jours aux portes de l'Europe qui non seulement ne demandent pas à être payés pour être européens, mais, au contraire, s'endettent toute leur vie pour décrocher le ticket d'une entrée illégale auprès des passeurs mafieux. Laissons-les entrer, légalisons-les, et le problème démographique est réglé.

Arrêtons là avec ces fausses bonnes raisons, cache sexe de calculs non avouables : pour les "économistes" les 80 millions de consommateurs Turcs qui devront s'équiper de réfrigérateurs, de téléphones portables, de voitures, de téléviseurs, etc. ; de l'autre côté, des centaines des milliers de voix des travailleurs turcs pour la gauche allemande qui pourront voter aux élections locales et européennes si la Turquie rejoigne l'UE.

Faisons l'économie de toutes les mauvaises raisons qui ont largement été développées par les commentateurs de tous bords ces derniers mois, comme si la question de l'adhésion turque venait de leur être posée, alors que le processus de l'adhésion turque avançait dans l'indifférence depuis plus de vingt ans. Aujourd'hui, il serait effectivement malhonnête de leur fermer la porte au nez.

Arrêtons-nous juste un instant au seul avantage que tirera l'Europe de l'adhésion de la Turquie dans l'Union Européenne. C'est la raison même qui pousse les gouvernements grecs, de droite comme de gauche, à soutenir "la perspective européenne de la Turquie". Diluer le poids régional de la Turquie dans l'ensemble européen. Une Turquie certes pauvre mais militairement puissante sera toujours un danger pour la région. Même à côté d'une Europe plus puissante. Que le pouvoir turc soit autocratique, ottoman, laïque, militaire, islamique ou démocratique, depuis que les Turcs sont arrivés sur le plateau micrasiatique, la Turquie a toujours été un belligérant dans la région, toujours en conflit avec ses voisins, toujours avec des visées expansionnistes. Le seul moyen de les dompter est qu'ils soient intégrés dans l'Union Européenne. Resteraient-ils dehors que, depuis l'éclatement de l'Union soviétique, le risque d'une HyperTurquie à la tête des républiques turcophones de la région est bien réel. Cette autre perspective – et alternative à la perspective européenne - a fait rêver plus d'un Turc et de stratège… américain. Autant qu'elle a donné d'insomnies et des sueurs froides aux politiques grecs.

Voilà, l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne ne fait pas rêver beaucoup d'Européens, mais il faut la faire quand même. C'est le prix de notre tardif réveil. Dans la vie il faut faire des chose en avançant, malheureusement parfois nous sommes obligés d'avancer à reculons. Le plus important est d'avancer dans la bonne direction. Comme on dit tout n'est pas rose. L'Europe a éliminé seule les alternatives à la question turque, maintenant nous nous trouvons sans choix. Et contrairement à l'Europe où le mâitre mot est le concensus et l'entente, la Turquie va jusqu'au bout de sa logique et de la promotion de ses propres intérêts, quitte à ne rien... obtenir. Il faut l'assumer et faire avec, mais sans concessions à nos valeurs et notre éthique si bien qu'il y en ait une.

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