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Les fêtes du carnaval à Chios

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Traditions millénaires
Orgies dionysiaques la veille du Carême.

par Maud Vidal-Naquet
photos de Laurent Fabre

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Au village d'Aghios Georgios, on pleure le Makaronas

La veille du carême, toute la Grèce est en fête. Il y a le grand carnaval de Patras, à la brésilienne avec ses paillettes, sa parade longue de 5 km et ses dizaines de milliers de visiteurs. Et puis il y a des fêtes plus petites en campagne, plus populaires et spontanées comme à Chios, où nous vous y amenons, une île où les traditions sont restées très fortes et propres à chaque village. L'exode rural fait disparaître petit à petit ces traditions et parfois il ne reste que le souvenir à évoquer autour des ripailles, ailleurs, des associations culturelles tentent de sauvegarder et de ranimer ce qui peut encore l'être. Leur authenticité est une garantie que ce que vous verrez ici ne sera pas la même chose que chez le voisin.

Ici lors des Apokriès – les fêtes du carnaval –, on se moque encore des pirates et des Turcs qui avaient envahi l'île, il y a de cela assez longtemps pour que la mémoire s'embrouille ! Mais peu importe, surtout quand on cherche une occasion pour transformer le Kathara devthera – le lundi pur religieux – en orgies dionysiaques avant de commencer le Carême. De plus, à 40 jours de la Pâque orthodoxe, le temps se fait volontiers printanier pour agrémenter notre voyage.

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Au village d'Olympi, la danse de la femme de l'agha

La défaite des pirates et la Monstra de Thymiana

Tout commence à Thymiana, le vendredi soir, par la première fête de la Mostra. Les habitants du village fêtent avec fierté leur victoire sur les pirates. A quand remontent ces faits ? Le vieil et respecté instituteur du village, Kyriakos Proakis, la situe au tournant du 16e et 17e siècle, lorsque les pirates d'Afrique du nord semaient la terreur en Méditerranée. Ile riche grâce à la production du mastic et de la soie, Chios était particulièrement exposées au raid. « Les pirates sont arrivés de nuit et ont débarqué sur la plage de Méga Limiona. Depuis sa tour de gué, le vigile a donné le signal. Mais pour une fois, les habitants de Thymiana ont décidé de se battre et de repousser les attaquants, plutôt que de se réfugier dans leur village fortifié. A l'aide de bâtons et d'outils agricoles, ils se sont battus avec courage contre les pirates. Ce fut une grande victoire. Les pirates ont été pendus et leurs corps ont été exposés sur la place du village pendant trois jours. Leur victoire sur les pirates se devait d'être visible à tout le monde. C'est pour cela que cette fête s'appelle la Mostra. »

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Bataille de pirates à la Monstra de Thimiana

La fête se déroule en deux temps. Le vendredi soir est une fête entre les habitants du village. Tout le monde est déguisé, souvent travesti, mais ici aussi on n'échappe pas à l'institutionnalisation du carnaval, ainsi les plus beaux costumes sont récompensés par la mairie.

« Le vendredi c'est plus convivial » précise Kiki Haritou, présidente de l'association culturelle de Thyminia, « nous sommes entre nous. Nous riions beaucoup. Tandis que le dimanche, des milliers de personnes viennent de l'extérieur pour voir la Mostra. Nous sommes alors les acteurs de notre tradition. »

Le clou de ces deux fêtes est le combat entre les villageois et les pirates, dans une danse appelée Talimi. Armés de bout de bois, les jeunes hommes déguisés s'interpellent et s'affrontent deux par deux, dans un combat stylisé et rythmé par les coup ou les grattements des bâtons sur le sol. Le vendredi, les garçons se travestissent en infirmières sexy, style coco girls des années 20, tandis que le dimanche, pour le public, ils ont revêtu leurs plus beaux habits de pirates et de palikares. Le dimanche, c'est carnaval. Tous les enfants se déguisent.

Mariage à la grecque... et l'enterrement de Makaronas

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Une satyre digne d'Aristophane en pleine rue de Kardamyla.

Un peu plus au nord, à Kardamyla, autre village de l'île, si l'ambiance festive reste la même, le scénario se déroule différemment. Ici carnaval rime avec parodie satirique du mariage traditionnel grec.

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Tous les acteurs de ce huis clos villageois y sont : une nifi (la fiancée) idiote, un brin lubrique et laide à souhait - en fait un homme maquillé à outrance, portant dentelles et froufrous, un gambros (le mari) mené par le bout du nez par sa mère, dissimulant mal sa féminité sous un gros nez à moustache, la proxénitria (l'entremetteuse) empressée de faire des affaires et des voisins avides de kouskous (cancans) à colporter au village.

En général, à la fin de la pièce, l'ensemble du village se rend au festin. Sur la place du petit village de Viki, des hommes servent du riz pilaf à la chèvre. La veille, ils étaient sept à cuisiner dans de grands chaudrons de cuivre derrière l'église du village. « Nous sommes le seul village à être équipé pour cuisiner d'aussi grandes quantité de nourriture. Là nous avons tué cinq chèvres,et ce n'est rien ; pour la fête du 15 août, nous en tuons le triple ! » prévient Panayotis Karakozis, le président de Viki. Et de raconter, leur fête du carnaval, le Makaronas, qui malheureusement s'est arrêté il y a une vingtaine d'années, fautes de villageois (ils ne sont plus que 70 habitants aujourd'hui).

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Sur la place du village, les habitants se retrouvent pour s'amuser des faces du carnaval et partager repas et boissons en abondance.

« Le dimanche soir et durant toute la nuit, tous les hommes boivent et se soûlent. Vers 4h du matin, les cloches se mettent à sonner le tocsin, comme lorsqu'un homme meurt. »

« Baaaam, baaaaaamn baaaaam », imite-t-il.

« Et là nous nous mettons tous à pleurer comme des enfants. C'est le début du carême. Alors nous faisons le tour des maisons pour ramasser les dernières morceaux de viandes et de fromages et nous cuisinons une dernière fois. Autour de l'immense feu, nous dansons, nous chantons, et nous racontons des choses atroces, inimaginables, souvent autour de la sexualité. Les femmes sont interdites. Elles ne doivent pas entendre de telles obscénités. Le plus petit d'entre nous a le visage grimé de noir, il représente tout le mal, c'est le makaronas. Après lui avoir fait subir les pires outrages, on l'enterre symboliquement. C'est le lundi pur. »

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Souffre douleur et victime des humiliation de toute sorte, le Makaronas meurt… sexuellement comblé.

La fête du makaronas se pratique encore dans quelques villages du nord de l'île. Cette année, elle a eu lieu à Agios Georgios et Dievha. D'un village à l'autre c'est la compétition de qui inventera les chansons les plus paillardes. Tout est permis, aucun propos ni gestes ne semblent déplacés. Des hommes complètement éméchés en délire. Cette fête ne ressemble à aucune autre. Fête païenne, descendant tout droit des rites dionysiaques.

Le jugement d'agha

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Tout le monde ou presque passe devant le tribunal d'Agas. Quant on est une femme, il y a intérêt d'avoir bien préparé son apologie...

Dans les mastihohora (les villages producteurs de mastic), le clou des festivités du lundi pur est une parodie du tribunal turc. C'est la fête de l'Agas. Cette tradition remonte à l'époque de l'Empire ottoman, lorsque ces riches villages, protégés par la mère du sultan, avaient le droit une fois par an de se moquer de leurs occupants. L'Agas (agha), le seigneur et juge turc, était alors tourné en dérision. Cette fête est très prisée : les villages d'Olymbi et de Mesta étaient noirs de monde.

Après avoir relu le châtiment de l'Agas, il faut goûter au souma, l'eau de vie locale.

Décoré de tapis et de kilim, le tribunal se dresse sur la place. Tout le monde ou presque y passe. Lorsque l'Agas interpelle quelqu'un, deux palikares (braves gars) vont le chercher et le ramènent manu militari au juge. « Toi qu'as-tu fait ? » dit l'Agas menaçant. Et les accusations de tomber : « Il paraît que tu es fou, que tu manges l'herbe de tes chèvres, que tu fais choses pas très orthodoxes avec plusieurs femmes à la fois… ». Le malheureux bredouille, se défend comme il peu, ou fait rire le public en en rajoutant. Après quelques coups de gourdin (en plastic creux), le condamné donne 5, 10 ou 20 € qui vont remplir la caisse de l'association culturelle du village. Une cagnotte qui sert à transmettre et faire vivre les traditions du village tout au long de l'année. Dans l'immédiat, elle sert à régaler tout le monde de thalassina (fruits de mer comme le tarama, le poulpe au vin, les crevettes), d'ospria (légumes secs comme la salade de poids chiches), et surtout de souma, cette eau-de-vie locale préparée à base de figues et qui monte vite à la tête.

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A Mesta, à Olymbi, à Thymiana, et les autres villages de l'île la fête du carnaval se termine au fur et à mesure que la soirée approche, que le lundi pur se consomme et que l'alcool décante dans les esprits. A partir de demain mardi, les Chiotes vont pouvoir observer les 40 jours de jeûne (sarakosti), avant de faire de plus belle la fête pour Pâque qui marquera aussi le début de la saison touristique.

Quarante jours qui seront aussi mis à profit pour préparer l'arrivée des touristes. C'est le temps des travaux et des projets pour revêtir Chios de ses plus beaux atours. Les chambres à louer sont rafraîchies, comme dans le superbe manoir Perléas dans le verdoyant Kampos. A la maison d'hôtes de Spilia, tout en haut du village de Kardamyla, Kiki et Dimitri veulent construire une grande cuisine pour proposer à leurs hôtes des dîners mais surtout pour donner des cours de cuisine traditionnelle.

Aujourd'hui encore, ce sont surtout les Grecs qui profitent des charmes de Chios. Même si la plage de galets noirs de Mavra Volia figure sur toutes les cartes postales, peu d'étrangers savent que sur tout son pourtour, l'île est échancrée de superbes baies, comme à Nagos, Elinta ou encore Didima. L'île compte aussi l'un des trois plus beaux monastères de Grèce, Néa Moni, qui rivalise par la finesse de ses mosaïques avec les monastères d'Osios Loukas en Béotie et de Daphni en Attique. Mais plus qu'ailleurs en Grèce, c'est la beauté des villages traditionnels qui marque à Chios. Des villages encore vivants où la filoxenia est toujours de mise.

par Maud Vidal-Naquet
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