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De qui a peur Monsieur Annan ?

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By iNFO-GRECE,

Drôle de question ! Le patron de la Nation des Nations, l'arbitre de la Communauté internationale, de quoi pourrait-il avoir peur ? Et pourtant, si nous posons cette question, c'est que nous ne pouvons comprendre autrement l'embargo imposé depuis neuf mois par le Secrétaire Général des Nations Unies à l'information autour des négociations sur l'avenir de Chypre. Du moins, tant que nous nous plaçons dans le cadre des démocraties occidentales fondées sur la transparence de l'action des Etats et sur la publicité des débats.


Cinquante trois rencontres entre le Président de la République de Chypre Monsieur Glafkos Cléridès et le chef chypriote-turc M. Raouf Denktash depuis la reprise des discussions en janvier dernier, et motus ! Les deux hommes sont interdits de déclaration à la Presse. La prochaine rencontre entre les deux hommes qui doit avoir lieu vendredi 6 septembre à Paris en présence de Monsieur Annan lui-même, se déroulera sous le même régime. Aucune déclaration autorisée, ni par les deux acteurs de la rencontre, ni par les membres des gouvernements respectifs. L'information est bien sous embargo. Si encore nous savons les objets des discussions, rien ne filtre sur les arguments des deux parties.

Qui est censé protéger cet embargo ? Essayons d'examiner les différentes hypothèses :

Un embargo sur l'information pourrait chercher à empêcher à une tierce partie d'intervenir dans le processus des négociations. La seule tierce partie présente à Chypre est la Grande Bretagne, Etat garant avec la Grèce et la Turquie de l'indépendance de Chypre et disposant sur l'île d'une impressionnante base militaire. On imagine mal qu'elle puisse rester à l'écart de ce qui s'y trame. De même, on imagine mal que l'Etat grec reste hors du champ de l'information et encore moins l'Etat turc, tuteur de fait de l'autorité autoproclamé de la communauté chypriote-turque qu'elle "protège" par une armée de 35.000 soldats installés sur l'île.

Non, l'embargo de Monsieur Annan vise la presse, c'est à dire l'information de l'opinion publique. De quelle opinion publique M. Annan a-t-il peur ? Et surtout, pourquoi avoir peur de l'opinion publique ? M. Annan oublie-t-il que dans les démocraties modernes, c'est l'opinion publique, telle qu'elle s'exprime par ses représentants aux Parlements, qui fonde l'Autorité des Etats ? Est-il permis que les Chypriotes ignorent ce qui se négocie sur leur avenir ? Sur l'avenir de leur pays ? Comment va-t-on les demander le jour venu de valider les décisions de leurs représentants ? Serait-ce l'opinion publique grecque ? L'opinion publique turque ? Cette dernière est bien mal placée pour s'exprimer dans le cadre des libertés dont elle dispose ! Elle en serait informée, qu'elle n'aurait pas les moyens politiques d'agir sur la conduite du pouvoir turc. Sans dire qu'en Turquie la question chypriote est avant tout une question militaire, loin de préoccuper la population dans sa vie quotidienne. Il n'a jamais existé en Turquie une conscience historique d'un pays-frère qui serait Chypre.

Il ne reste que l'opinion de la communauté internationale, le peuple chypriote et le peuple grec qui sont bien les victimes de l'embargo. Rien qui puisse éclairer l'opinion publique, laissée au merci de la rumeur. Or, il n'y a rien de plus dangereux en démocratie qu'une opinion publique mal informée. Mais au-dessus de tout, c'est aussi une question de principe. N'est-ce pas l'opinion publique qui par ses manifestations, ses interpellations, ses débats, par sa constitution en espace publique, qui doit éclairer les décisions du pouvoir ? Cet embargo nous ramène des siècles en arrière, aux temps des princes éclairés. Non, Monsieur Annan, nos démocraties ont depuis pris le risque d'une opinion publique informée ; c'est auprès d'elle qu'elles rendent compte, c'est auprès de ses représentants élus qu'elles puisent leur légitimité.

Un certain pragmatisme visant à l'efficacité des pourparlers est tout à fait compréhensible, mais il ne peut se faire au détriment de l'essentiel. Il en va de l'autorité des négociateurs et, de là partant, de l'autorité de ceux qui ont placé ces pourparlers sous leurs auspices. La restauration du droit à l'information de l'opinion publique et de l'autorité des ses mandataires est d'autant plus urgente que les Etats-membres des Nations Unies, entre la confidentialité d'un Conseil de Sécurité restreint et l'influence montante des lobbies et des organisations non-gouvernementales de toutes sortes au sein de l'organisme dont vous avez la charge, ont de plus en plus du mal à se faire entendre. Cela fait 28 ans que les résolutions de l'ONU concernant le retrait de l'armée turque de l'île de Chypre et les garanties de l'unité de l'île n'ont pas été appliquées. C'est peut-être le seul fait, Monsieur Annan, qui se passe de discussion !

iNFO-GRECE

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