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Vie d'Ali pacha, par A. de Beauchamp, 1822, (2) suite.

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[i] C'était à Passaron, chef-lieu des états de l'Épire, que les rois, à leur avènement au trône, après avoir sacrifié à Jupiter guerrier, juraient aux peuples de régner suivant les lois, et les peuples de leur côté juraient de défendre la royauté conformément aux lois.

Ainsi, le pays où l'on vit peut-être pour la première fois l'union du pouvoir monarchique et de la liberté, c'est l'Épire qui, après deux mille ans, est devenu en quelque sorte, la terre classique du despotisme.

Fils d'un père détrôné et massacré par ses sujets, Pyrrhus II, le célèbre Pyrrhus, y jeta le plus grand éclat. Non seulement il descendait d'Achille, mais tous les auteurs sont d'accord qu'Olympias, mère d'Alexandre, était de sa race et sa proche parente. Aussi, prenant Alexandre pour modèle, voulut-il succéder à sa gloire. Dépouillé de son royaume, il le recouvra les armes à la main. On le vit ensuite livrer bataille à Panthacus, qu'il renversa dans un combat singulier. Les Épirotes excités par la victoire de leur roi et plein d'admiration pour son courage, rompirent la phalange macédonienne. Pyrrhus, proclamé roi de Macédoine, perdit ce royaume avec la même rapidité qu'il avait conquis ; car le désir de ce qu'il n'avait pas l'empêchait de s'assurer la possession de ce qu'il avait. Il cherchait toujours à réparer ses pertes par de nouvelles entreprises. Les Tarentins l'appelant à leur secours il passe en Italie, défait les Romains et s'avance presque jusqu'aux portes de Rome ; mais jugeant bientôt qu'il pouvait battre ces fiers républicains mais non les vaincre, il courut à une autre guerre. Il mit à la voile de Butrotum, lieu de sa résidence, pour aller conquérir en vingt jours Corcyre et la Sicile. Engagé dans une suite de guerres interminables et emporté par un courage bouillonnant, il périt à l'attaque d'Argos, blessé d'abord par la main d'une femme est achevé par un soldat. Pyrrhus fut un des plus grands capitaines de l'Antiquité, et mérita qu'Annibal lui assigna, parmi les grands généraux, la seconde place après Alexandre ; il eut d'ailleurs l'esprit élevé et le cœur généreux. Point cruel dans ses châtiments ni dans ses vengeances, il ne trempa jamais les mains dans le sang de ses sujets. Après lui, vinrent deux ou trois règnes faibles. Les Épirotes, las d'être gouvernés par des rois sans caractère, se constituèrent en différentes républiques ou anarchies. Ils devinrent bientôt la proie de la dynastie macédonienne, et restèrent soumis au roi de Macédoine jusqu'à la défaite de Persée. Les distincts, qui avaient présidé à la fondation de ce royaume sous Caranus, marquaient alors le terme de sa destruction. Vainqueur de Persée, le consul Paul- Émile se vengea cruellement de l'invasion de Pyrrhus. Ce fut de Passaron, principale ville de l'Épire, où il avait porté son quartier général après la conquête, que partirent les ordres cruels. Un seul jour suffit pour exécuter le sac et la ruine de 70 villes et l'esclavage de 160 000 Épirotes ou Macédoniens. Ces malheureux furent transférés et vendus à Rome. Ainsi s'évanouit la splendeur de l'Épire et de la Macédoine, jusqu'alors si florissantes, dont le crime était de s'être opposé à l'ambition du peuple-roi qui ne voulait de gloire, de liberté et d'indépendance que pour lui seul.

Les nations épirotes, après ces scènes de désolation, furent gouvernées par des préfets romains. Deux fois l'empire du monde fut disputé dans l'étendue de l'ancienne domination de Pyrrhus et de Persée, sur terre dans les plaines de Pharsale, et sur mer dans le golfe d'Actium ou d'Arta. Là, Octave, vainqueur d'Antoine, fonda Nicopolis, ou ville de la Victoire, pour immortaliser la bataille d'Actium, qui l'avait rendu maître de l'univers romain. Nicopolis fut créée comme par enchantement par la puissance d'Auguste, sur le même rivage soumis jadis à la puissance de Pyrrhus, et non loin d'Ambracie, ville d'abord augmentée par les Corinthiens, et qui avait été une des principales du royaume de ce prince. Après y avoir transplanté les habitants des villes voisines, Auguste y fit élever des monuments, y établit un sénat, institua des jeux, accorda des privilèges nouveaux. En peu de temps, Nicopolis fut une des villes les plus florissantes de l'Épire, Auguste, pendant son règne, rangea dans les provinces sénatoriales, de même que la Macédoine et l'Illyrie. On y comprit l'Épire dans la province de Pannonie, sous Constantin le Grand. De même que le reste de la Grèce, elle fut favorisée par l'empereur Julien, qui répara plusieurs de ses villes. Ce fut à Nicopolis que Saint-Paul porta les semences de la foi chrétienne qu'il avait prêchée en Macédoine, d'où elle se propagea au-delà du Pinde. La religion de Constantin devint la religion des Épirotes soumis aux successeurs dégénérés de ce prince, qui avait transporté à Constantinople le trône des Césars avec la croix. Son empire touchait à son déclin. Rien de ce qu'avait souffert la malheureuse Épire, depuis le temps de Paul- Émile, ne peut se comparer aux dévastations qu'Alaric, chef des Goths, y commit quand il envahit la Grèce avec ses hordes du Nord. Attila lui fit aussi éprouver tous les fléaux de la guerre, vers le milieu du Ve siècle. L'Épire fut encore ravagée par une terrible invasion de Huns et de Bulgares, qui s'y établirent vers la fin du siècle neuvième. Chaque tempête guerrière qui agitait l'Europe, semblait y jeter une vague qui, en se retirant, y laissait une partie de son limon impur. On vit ici établir successivement diverses tribus esclavonnes, qui, se mêlant aux naturels du pays, contribuèrent à changer leurs mœurs et à corrompre leur langue. Mais une antique peuplade prédominait, et l'emportant sur toutes ces hordes, commençait à donner à l'Épire avec son nom une face politique nouvelle ; je veux parler des Albanais, peuple différent des Grecs, peuple féroce, robuste et guerrier, connu des anciens, sans qu'ils en aient assigné positivement l'origine. On les croit Asiatiques et enfants du Caucase. Établis en Épire de temps immémorial, ils y étaient demeurés confondus avec les Illyriens, tour à tour sujets ou ennemis des rois de Macédoine, suivant les vicissitudes des temps et de la fortune ; et du haut de leurs montagnes, ils assistèrent à la chute des empires. Le nom d'Albanie s'étendit sur la plus grande partie de l'Illyrie et de l'Épire, pendant les désordres auxquels donna lieu la faiblesse des empereurs d'Orient. Étrangers aux démarcations qui ont fait tour à tour de l'Épire des préfectures, des provinces consulaires ou sénatoriales, des thèmes, des éparchies, et plus tard des pachalicks, les Albanais se sont classés par les dialectes ou idiomes, dont la racine commune à leurs quatre grands de tribus ou familles, savoir : les Dgedges, les Mirdites, les Toskides et les Tziamides, d'où dérivent plusieurs autres branches collatérales.

Doués d'une organisation énergique, les Albanais, en se rapprochant des Grecs, et en se mêlant avec eux, ne s'étaient point laissés amollir par les arts. Ils étaient entrés lentement dans la vie sociale, en adoptant le paganisme ; mais quand le secret de l'éternité fut révélé aux Grecs, quand le dieu de l'Évangile fut annoncé aux nations de la terre, les peuplades encore à demi sauvages de l'Épire courbèrent leur front devant la croix. Après cette révolution, qui améliora les mœurs, les Mirdites prirent une direction à part. Soumis aux Césars du bas- empire, ils furent les plus fermes appuis du trône, aussi longtemps que le monarque respecta leur conscience ; mais quand le schisme vint troubler l'Église, quand une ambition fatale sépara Rome de Constantinople, les Albanais de l'Illyrie macédonienne s'attachèrent par sentiment à l'Occident, d'où la foi avait été portée à leurs ancêtres. Il restèrent ce qu'ils avaient été, et on les appela latins, à cause de l'Église à laquelle ils demeurèrent fidèles. Fiers d'avoir conservé leur religion, les Dgedges et les Mirdites, unis par les liens de la valeur et de la charité, déployaient la majesté du culte catholique dans les villes de la Haute-Albanie. (à suivre). [/i]

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