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Probleme greque,ou grosse tromperie?

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Submitted by Marco on
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vendredi 19 février 2010
Grèce : le bal des hypocrites
Angela Merkel est furieuse : « il est scandaleux que les banques, qui nous ont déjà amenés au bord
du précipice, aient également participé à la falsification des statistiques budgétaires de la Grèce », s’est emportée la chancelière allemande, le 17 février. En France, Christine Lagarde s’est interrogée, hier, plus mesurée : ce « maquillage des comptes » était-il légal ? La Grèce aurait-elle une nouvelle fois été prise la main dans le sac du mensonge, elle qui a dissimulé à plusieurs reprises l’étendu réelle de son déficit public ? En fait, pas vraiment : les partenaires d’Athènes font semblant de découvrir des opérations de créativité comptable auxquelles ils ont eux même recours. On assiste, dans cette affaire, à un festival d’hypocrisie de toute beauté.

Le point de départ de cette nouvelle « affaire grecque » est un article du New York Times paru dans son édition du dimanche 14 février. L’article explique comment la banque d’affaires Goldman Sachs, encore elle, a monté en 2001-2002, pour le compte de la Grèce, une opération de "cross currency swap" destinée à diminuer artificiellement d’un milliard d’euros le montant de dette publique.

Accrochez-vous. La Grèce émet un emprunt de dix milliards de dollars (ça aurait pu être du yen ou du franc suisse) en plusieurs tranches d’une durée de 15 à 20 ans, emprunt que Goldman Sachs a été chargée de changer en dollars avec les euros fournis par la Grèce. Elle le changera à nouveau au moment du remboursement en euros. Le problème est que le change ne s’est pas fait au taux du marché, mais à un taux artificiel, ce qui a en fait permis à Goldman Sachs de prêter de l’argent à la Grèce sans que cela n’apparaisse dans les statistiques. Par exemple, si l’euro est à 1,35 dollar, la Grèce doit obtenir 7,4 milliards d’euros pour 10 milliards de dollars levés. Mais si Goldman Sachs applique un taux plus favorable au moment de la conversion, la Grèce pourra obtenir par exemple 8,4 milliards d’euros. En réalité, c’est donc Goldman Sachs qui lui prête un milliard d’euros en toute discrétion (l’emprunt étant enregistré à la valeur du marché) et bien sûr contre rémunération (en l’occurrence autour de 300 millions d’euros). Goldman Sachs s’est évidemment couvert contre le risque, grâce à des CDS (credit default swap) auprès d’un établissement allemand, Deutsche Pfandbriefe Bank (Depfa) à hauteur d’un milliard d’euros sur 20 ans. La Grèce a eu plusieurs fois recours à d’autres types de comptabilité inventive, par exemple en nantissant les taxes d’atterrissage ou les revenus de la loterie nationale, ce qui permet de classer ces revenus dans la catégorie vente et non emprunt (cela s'appelle titrisation)…

Choquant ? Oui et non. Ces opérations n’avaient en tout cas pas grand-chose de secret. Ainsi, le 1er juillet 2003, Nick Dunbar, expliquait dans la revue « Risk Magazine », les détails du swap grec, information reprise plus tard par Mark Brown et Alex Chambers dans Euromoney dans un article daté du 1er septembre 2005. Ce dernier article ne s’arrête pas au cas grec, mais explique par le menu les astuces comptables des différents pays européens, y compris la vertueuse Allemagne, pour diminuer artificiellement déficit et dette. Le titre de l’article dit tout : « How Europe’s governements have enronized their debts »…

L’Italie est sans doute la championne toutes catégories des dissimulations (avec l’aide de Goldman Sachs et d’autres champions de la finance américaine) et j’attends avec intérêt le premier contrôle sur place d’Eurostat, l’agence statistique européenne, qui révèlera l’étendue réelle des dégâts (n’avez-vous pas noté qu’étrangement la dette italienne n’a quasiment pas bougée depuis le début de la crise ?)… Ainsi, pour qualifier son pays pour l’euro, Romano Prodi, alors premier ministre, a inventé en 1996 « l’eurotaxe » : un prélèvement fiscal de 0,6 % du PIB… remboursable si l’Italie se qualifiait pour l’euro.

Mais la France n’a pas été en reste : à l’été 1996, le gouvernement d’Alain Juppé a
décidé de ponctionner France Telecom de 37,5 milliards de francs, soit 0,5 % du PIB, afin de faire baisser le déficit et de ramener la France dans les clous maastrichiens. Comment justifier une telle opération ? C’est tout simple : en prenant en charge les retraites (à venir, tout est là) des agents de France Telecom puisque celle-ci va abandonner son statut d’administration et devenir une entreprise publique. Elle n’a donc plus de raison de garder la « soulte » de 37,5 milliards de francs destinée à payer lesdites retraites… L’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne se sont, à l’époque, élevés contre une telle opération. Rien n’y a fait : le commissaire français chargé des affaires monétaires, Yves-Thibault de Silguy, fera pression sur Eurostat (lui aussi dirigé par un Français, Yves Franchet) pour qu’il valide l’opération (en 2003, la Belgique en profitera pour faire de même). L’Allemagne elle-même, en 1997, tentera de faire main basse sur les réserves d’or de la Bundesbank afin d’assurer la qualification de son pays… En vain, pour le coup.

Le plus intéressant est qu’Eurostat a validé la plupart de ces tours de passe-passe budgétaires. D’ailleurs, le fameux swap de 2001-2002 a permis de réduire le montant de la dette grecque tout à fait légalement. Mais, depuis, les règles ont changé et se sont durcies : « depuis 2004, on ne peut plus réduire ainsi son déficit et sa dette », explique un porte-parole de la Commission. « Avant, cela allait à l’encontre de l’esprit du traité, même si cela n’allait pas à l’encontre de sa lettre ». Bref, Goldman Sachs n’aurait fait que mettre son savoir-faire à la disposition d’un pays qui cherchait à réduire l’affichage de sa dette…

L’indignation du chœur des vertueux fait sourire les économistes un rien sérieux : « habiller sa comptabilité, c’est un classique à la fois pour les États et pour les entreprises », juge l’un d’eux. Cela a été le cas dans les années 90 lorsque les États européens cherchaient à se qualifier, c’est toujours le cas aujourd’hui. Ainsi, la « bad bank » irlandaise, dans laquelle sont cantonnés les actifs pourris des banques, la Nama, qui n’est qu’à 49 % publique, n’est pas comptabilisée dans la dette alors que cela devrait être le cas en bonne logique comptable. De même, on se demande pourquoi la Société de financement de l’économie française (SFEF), qui a apporté la garantie de l’État aux banques au moment de la crise, n’est pas tombée dans la sphère de Maastricht. Là aussi, Eurostat a su pudiquement regarder ailleurs. On pourrait aussi citer la Cassa Depositi e Prestiti (CDD), la banque du trésor italien, possédée à 70 % par l’État, qui emprunte pour son compte, ou encore l’Allemande KfW dont les opérations échappent aussi à Maastricht.

Bref, tous les États ont quelque chose à cacher et chacun le sait. Ce n’est pas un hasard si la grande majorité des pays ont refusé en 2005, après que la Grèce a avoué avoir divisé par deux son déficit entre 2001 et 2004, une proposition de la Commission donnant des pouvoirs d’investigation à Eurostat. « Actuellement, Eurostat peut seulement poser des questions aux États et se contenter de leurs réponses, en comptant sur leur bonne foi », soupire un porte-parole de la Commission. Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, a « présenté ses excuses devant le monde entier », lundi dernier, pour ne s’être pas battu davantage pour renforcer les pouvoirs d’Eurostat. L’exécutif européen vient de représenter cette proposition au Conseil des ministres : mais déjà, certaines capitales parlent d’atteinte à la souveraineté…

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