Skip to main content

L'archipel en feu, suite et fin du chapitre III, "Grecs contre Turcs"

Profile picture for user efthymiouthomas
Submitted by efthymiouthomas on

[i] III Grecs contre Turcs (suite et fin du chapitre).

Cependant, sept mois avant l'époque à laquelle débute cette histoire, les Turcs avaient été obligés de se réfugier dans quelques-unes des places fortes de la Grèce septentrionale. Au mois de février 1827, les Grecs avaient reconquis leur indépendance depuis le golfe d'Ambracie jusqu'aux confins de l'Attique. Le pavillon turc ne flottait plus qu'à Missolonghi, à Vonitsa, à Naupacte. Le 31 mars, sous l'influence de lord Cochrane, les Grecs du Nord et les Grecs du Péloponnèse, renonçant à leurs luttes intestines, allaient réunir les représentants de la nation en une assemblée unique à Trézène, et concentrer les pouvoirs en une seule main, celle d'un étranger, un diplomate russe, grec de naissance, Capo d'Istria, originaire de Corfou.
Mais Athènes était aux mains des Turcs. Sa citadelle avait capitulé, le 5 juin. La Grèce du Nord fut alors contrainte de faire sa complète soumission. Le 6 juillet, il est vrai, la France, l'Angleterre, la Russie et l'Autriche signaient une convention qui, tout en admettant la suzeraineté de la Porte, reconnaissait l'existence d'une nation grecque. En outre, par un article secret, les puissances signataires s'engageaient à s'unir contre le sultan, s'il refusait d'accepter un arrangement pacifique.
Tels sont les faits généraux de cette sanglante guerre, que le lecteur doit se remettre en mémoire, car ils se rattachent très directement à ce qui va suivre.
Voici maintenant quels sont les faits particuliers auxquels sont plus directement liés les personnages déjà connus et ceux à connaître de cette dramatique histoire.
Parmi les premiers, il faut d'abord citer Andronika, la veuve du patriote Starkos.
Cette lutte, pour conquérir l'indépendance de leur pays, n'avait pas seulement enfanté des héros, mais aussi d'héroïques femmes, dont le nom est glorieusement mêlé aux événements de cette époque.
Ainsi voit-on apparaître le nom de Bobolina, née dans une petite île, à l'entrée du golfe de Nauplie. En 1812, son mari est fait prisonnier, emmené à Constantinople, empalé par ordre du sultan. Le premier cri de la guerre de l'indépendance est jeté. Bobolina, en 1821, sur ses propres ressources, arme trois navires, et, ainsi que le raconte M. H. Belle, d'après le récit d'un vieux Klephte, après avoir arboré son pavillon, qui porte ces mots des femmes spartiates: «Ou dessus ou dessous», elle fait la course jusqu'au littoral de l'Asie Mineure, capturant et brûlant les navires turcs avec l'intrépidité d'un Tsamados ou d'un Canaris; puis, après avoir généreusement abandonné la propriété de ses navires au nouveau gouvernement, elle assiste au siège de Tripolitza, organise autour de Nauplie un blocus qui dure quatorze mois, et oblige enfin la citadelle à se rendre. Cette femme, dont toute la vie est une légende, devait finir par tomber sous le poignard de son frère pour une simple affaire de famille.
Une autre grande figure doit être placée au même rang que cette vaillante Hydriote. Toujours mêmes faits amenant mêmes conséquences. Un ordre du sultan fait étrangler à Constantinople le père de Modena Mavroeinis, femme dont la beauté égalait la naissance. Modena se jette aussitôt dans l'insurrection, appelle à la révolte les habitants de Mycone, arme des bâtiments qu'elle monte, organise des compagnies de guérillas qu'elle dirige, arrête l'armée de Sémil-Pacha au fond des étroites gorges du Pélion, et marque brillamment jusqu'à la fin de la guerre, en harcelant les Turcs dans les défilés des montagnes de la Phthiotide.
Il faut encore nommer Kaïdos, détruisant par la mine les murs de Vilia, et se battant avec un courage indomptable au monastère Sainte-Vénérande; Moskos, sa mère, luttant aux côtés de son époux, et écrasant les Turcs sous des quartiers de roche; Despo, qui pour ne pas tomber aux mains des musulmans, se fit sauter avec ses filles, ses belles-filles et ses petits-fils. Et les femmes souliotes, et celles qui protégèrent le nouveau gouvernement, installé à Salamine, en lui prenant la flottille qu'elles commandaient, et cette Constance Zacharias, qui, après avoir donné le signal du soulèvement dans les plaines de Laconie, se jeta sur Léondari à la tête de cinq cents paysans, et tant d'autres, enfin, dont le sang généreux ne fut point épargné dans cette guerre, pendant laquelle on put voir de quoi étaient capables les descendantes des Hellènes!
Ainsi avait fait la veuve de Starkos. Ainsi, sous le seul nom d'Andronika -- n'ayant plus voulu de celui que déshonorait son fils - se laissa-t-elle emporter dans le mouvement par un irrésistible instinct de représailles autant que par amour de l'indépendance. Comme Bobolina, veuve d'un époux supplicié pour avoir tenté de défendre son pays, comme Modena, comme Zacharias, si elle ne put à ses frais armer des navires ou lever des compagnies de volontaires, du moins paya-t-elle de sa personne au milieu des grands drames de cette insurrection.
Dès 1821, Andronika se joignit à ceux des Maniotes que Colocotroni, condamné à mort et réfugié dans les îles Ioniennes, appela à lui, lorsque, le 18 janvier de cette année, il débarqua à Scardamoula. Elle fut de cette première bataille rangée, livrée en Thessalie lorsque Colocotroni attaqua les habitants de Phanari, et ceux de Caritène, réunis aux Turcs sur les bords de la Rhouphia. Elle fut aussi de cette bataille de Valtetsio, du 17 mai, qui amena la déroute de l'armée de Moustapha-bey. Plus particulièrement encore, elle se distingua à ce siège de Tripolitza, où les Spartiates traitaient les Turcs de «lâches Persans», où les Turcs traitaient les Grecs de «faibles lièvres de Laconie»! Mais, cette fois, les lièvres eurent le dessus. Le 5 octobre, la capitale du Péloponnèse, n'ayant pu être débloquée par la flotte turque, dut capituler, et, malgré la convention, fut mise à feu et à sang, pendant trois jours -- ce qui coûta la vie, au dedans comme au dehors, à dix mille Ottomans de tout âge et de tout sexe.
L'année suivante, le 4 mars, ce fut pendant un combat naval qu'Andronika, embarquée sous les ordres de l'amiral Miaoulis, vit les vaisseaux turcs s'enfuir, après une lutte de cinq heures, et chercher un refuge au port de Zante. Mais, sur un de ces vaisseaux, elle avait reconnu son fils, qui pilotait l'escadre ottomane à travers le golfe de Patras!... Ce jour-là, sous le coup de cette honte, elle s'élança au plus fort de la mêlée pour y chercher la mort... La mort ne voulut pas d'elle.
Et pourtant, Nicolas Starkos devait aller plus loin encore dans cette voie criminelle! Quelques semaines plus tard, ne se joignait-il pas à Kari-Ali qui bombardait la ville de Scio dans l'île de ce nom? N'avait-il pas sa part de ces épouvantables massacres, où périrent vingt-trois mille chrétiens, sans compter quarante-sept mille qui furent vendus comme esclaves sur les marchés de Smyrne? Et l'un des bâtiments qui transporta une partie de ces malheureux aux côtes barbaresques, n'était-il pas commandé par le fils même d'Andronika -- un Grec qui vendait ses frères!
Pendant la période suivante, dans laquelle les Hellènes allaient avoir à résister aux armées combinées des Turcs et des Égyptiens, Andronika ne cessa pas un instant d'imiter ces héroïques femmes, dont les noms ont été cités plus haut.
Lamentable époque, surtout pour la Morée. Ibrahim venait d'y lancer ses farouches Arabes, plus féroces que les Ottomans. Andronika était de ces quatre mille combattants que Colocotroni, nommé commandant en chef des troupes du Péloponnèse, avait seulement pu réunir autour de lui. Mais Ibrahim, après avoir débarqué onze mille hommes sur la côte messénienne, s'était d'abord occupé de débloquer Coron et Patras; puis, il s'était emparé de Navarin, dont la citadelle devait lui assurer une base d'opérations, et le port lui donner un abri sûr pour sa flotte. Ensuite ce fut Argos qu'il incendia, Tripolitza dont il prit possession - ce qui lui permit, jusqu'à l'hiver, d'exercer ses ravages à travers les provinces avoisinantes. Plus particulièrement, la Messénie subit ces horribles dévastations. Aussi Andronika dut-elle souvent fuir jusqu'au fond du Magne pour ne pas tomber entre les mains des Arabes. Cependant, elle ne songeait pas à prendre du repos. Peut-on reposer sur une terre opprimée? On la retrouve dans les campagnes de 1825 et de 1826, au combat des défilés de Verga, après lequel Ibrahim recula sur Polyaravos, où les Maniotes du Nord parvinrent à le repousser encore. Puis, elle se joignit aux réguliers du colonel Fabvier, pendant la bataille de Chaidari, au mois de juillet 1826. Là, grièvement blessée, elle ne dut qu'au courage d'un jeune Français, engagé sous le drapeau des Philhellènes, d'échapper aux impitoyables soldats de Kioutagi.
Pendant plusieurs mois, la vie d'Andronika fut en péril. Sa constitution robuste la sauva; mais l'année 1826 se termina, sans qu'elle eût retrouvé assez de force pour reprendre part à la lutte.
Ce fut dans ces circonstances qu'au mois d'août 1827, elle revint dans les provinces du Magne. Elle voulait revoir sa maison de Vitylo. Un singulier hasard y ramenait son fils le même jour... On sait le résultat de la rencontre d'Andronika avec Nicolas Starkos, et comment ce fut une suprême malédiction qu'elle lui jeta du seuil de la maison paternelle.
Et maintenant, n'ayant plus rien qui la retînt au sol natal, Andronika allait continuer à combattre tant que la Grèce n'aurait pas recouvré son indépendance.
Les choses en étaient donc à ce point, le 10 mars 1827, au moment où la veuve de Starkos reprenait les routes du Magne pour rejoindre les Grecs du Péloponnèse, qui, pied à pied, disputaient leur territoire aux soldats d'Ibrahim. [/i]

0
0
No votes have been submitted yet.