Skip to main content

Lamort de Socrate, de Lamartine, suite et fin.

Profile picture for user efthymiouthomas
Submitted by efthymiouthomas on

[i][center] « Oracles, taisez-vous! Tombez, voix du Portique!
Fuyez, vaines lueurs de la sagesse antique !
Nuages colorés d'une fausse clarté,
Évanouissez-vous devant la vérité !
D'un hymen ineffable elle est prête d'éclore;
Attendez... Un, deux, trois... quatre siècles encore,
Et ses rayons divins qui partent des déserts
D'un éclat immortel rempliront l'univers !
Et vous, ombres de Dieu qui nous voilez sa face,
Fantômes imposteurs qu'on adore à sa place,
Dieux de chair et de sang, dieux vivants, dieux mortels,
Vices déifiés sur d'immondes autels,
Mercure aux ailes d'or, déesse de Cythère,
Qu'adorent impunis le vol et l'adultère ;
Vous tous, grands et petits, race de Jupiter,
Qui peuplez, qui souillez les eaux, la terre et l'air,
Encore un peu de temps, et votre auguste foule,
Roulant avec l'erreur de l'Olympe qui croule,
Fera place au Dieu saint, unique, universel,
Le seul Dieu que j'adore et qui n'a point d'autel !...

« Quels secrets dévoilés! Quelle vaste harmonie !...

Mais qui donc étais-tu, mystérieux génie ?
Toi qui, voilant toujours ton visage à mes yeux,
M'as conduit par la voix jusqu'aux portes des cieux ?
Toi qui, m'accompagnant comme un oiseau fidèle,
Caresse encor mon front du doux vent de ton aile,
Es-tu quelque Apollon de ce divin séjour,
Ou quelque beau Mercure envoyé par l'Amour ?
Tiens-tu l'arc, ou la lyre, ou l'heureux caducée ?
Ou n'es-tu, réponds-moi, qu'une simple pensée ?
Ah ! Viens, qui que tu sois, esprit, mortel ou dieu !
Avant de recevoir mon éternel adieu,
Laisse-moi découvrir, laisse-moi reconnaître
Cet ami qui m'aima même avant que de naître !
Que je puisse, en touchant au terme du chemin,
Rendre grâce à mon guide et pleurer sur sa main !
Sors du voile éclatant qui te dérobe encore !
Approche !... Mais que vois-je ? Ô Verbe que j'adore !
Rayon coéternel, est-ce vous que je vois ?...
Voilez-vous, ou je meurs une seconde fois !

« Heureux ceux qui naîtront dans la sainte contrée
Que baise avec respect la vague d'Érythrée !
Ils verront les premiers, sur leur pur horizon,
Se lever au matin l'astre de la raison.
Amis, vers l'orient tournez votre paupière :
La vérité viendra d'où nous vient la lumière !
Mais qui l'apportera ?... C'est toi, Verbe conçu !
Toi, qu'à travers les temps mes yeux ont aperçu;
Toi, dont par l'avenir la splendeur réfléchie
Vient m'éclairer d'avance au sommet de la vie
Tu viens ! Tu vis ! Tu meurs d'un trépas mérité !
Car la mort est le prix de toute vérité.
Mais ta voix expirante en ce monde entendue
Comme la mienne, au moins, ne sera pas perdue.
La voix qui vient du ciel n'y remontera pas;
L'univers assoupi t'écoute et fait un pas !
L'énigme du destin se révèle à la terre !
Quoi ! J’avais soupçonné ce sublime mystère !
Nombre mystérieux ! Profonde trinité !
Triangle composé d'une triple unité !
Les formes, les couleurs, les sons, les nombres même,
Tout me cachait mon Dieu ! Tout était son emblème !
Mais les voiles enfin pour moi sont révolus;
Écoutez !... » Il parlait : nous ne l'entendions plus!

Cependant dans son sein son haleine oppresséε,
Trop faible pour prêter des sons à sa pensée,
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! venait mourir,
Puis semblait tout à coup palpiter et courir :
Comme, prêt à s'abattre aux rives paternelles,
D'un cygne qui se pose on voit battre les ailes;
Entre les bras d'un songe il semblait endormi.
L'intrépide Cébès penché sur notre ami,
Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore,
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore :
« Dors-tu ? lui disait-il ; la mort, est-ce un sommeil ? »
Il recueillit sa force, et dit : « C'est un réveil !
— Ton oeil est-il voilé par des ombres funèbres ?
— Non ; je vois un jour pur poindre dans les ténèbres.
— N'entends-tu pas des cris, des gémissements ? — Non !
J'entends des astres d'or qui murmurent un nom !
— Que sens-tu ? — Ce que sent la jeune chrysalide
Quand, livrant à la terre une dépouille aride,
Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux,
Le souffle du matin la roule dans les cieux.
— Ne nous trompais-tu pas ? Réponds : l'âme était-elle...
— Croyez-en ce sourire, elle était immortelle...
— De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir ?
— J'attends, comme la nef, un souffle pour partir !
— D'où viendra-t-il ? — Du ciel ! — Encore une parole !
— Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole ! »

Il dit, ferma les yeux pour la dernière fois,
Et resta quelque temps sans haleine et sans voix.
Un faux rayon de vie errant par intervalle
D'une pourpre mourante éclairait son front pâle.
Ainsi, dans un soir pur de l'arrière-saison,
Quand déjà le soleil a quitté l'horizon,
Un rayon oublié des ombres se dégage,
Et colore en passant les flancs d'or d'un nuage.
Enfin plus librement il semble respirer,
Et, laissant sur ses traits son doux sourire errer :
« Aux dieux libérateurs, dit-il, qu'on sacrifie!
Ils m'ont guéri ! — De quoi ? dit Cébès. — De la vie !... »
Puis un léger soupir de ses lèvres coula,
Aussi doux que le vol d'une abeille d'Hybla !
Était-ce... Je ne sais ; mais, pleins d'un saint dictame,
Nous sentîmes en nous comme une seconde âme !...

Comme un lis sur les eaux et que la rame incline,
Sa tête mollement penchait sur sa poitrine;
Ses longs cils, que la mort n'a fermés qu'à demi,
Retombant en repos sur son oeil endormi,
Semblaient comme autrefois, sous leur ombre abaissé
Recueillir le silence, ou voiler la pensée !
La parole surprise en son dernier essor
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! errait encor,
Et ses traits, où la vie a perdu son empire,
Étaient comme frappés d'un éternel sourire!...
Sa main, qui conservait son geste habituel,
De son doigt étendu montrait encor le ciel;
Et quand le doux regard de la naissante aurore,
Dissipant par degrés les ombres qu'il colore,
Comme un phare allumé sur un sommet lointain,
Vint dorer son front mort des ombres du matin,
On eût dit que Vénus, d'un deuil divin suivie,
Venait pleurer encor sur son amant sans vie;
Que la triste Phébé de son pâle rayon
Caressait, dans la nuit, le sein d'Endymion;
Ou que du haut du ciel l'âme heureuse du sage
Revenait contempler le céleste rivage,
Et, visitant de loin le corps qu'elle a quitté,
Réfléchissait sur lui l'éclat de sa beauté,
Comme un astre bercé dans un ciel sans nuage
Aime à voir dans les flots briller sa chaste image,

On n'entendait autour ni plainte, ni soupir !...
C'est ainsi qu'il mourut, si c'était là mourir!

(Alphonse de Lamartine)
[/center][/i]

0
0
No votes have been submitted yet.