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La mort de Socrare, de Lamartine, suite (7).

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En détournant les yeux, le serviteur des Onze
Lui tendait le poison dans la coupe de bronze;
Socrate la reçut d'un front toujours serein,
Et, comme un don sacré l'élevant dans sa main,
Sans suspendre un moment sa phrase commencée,
Avant de la vider acheva sa pensée.

Sur les flancs arrondis du vase au large bord,
Qui jamais de son sein ne versait que la mort,
L'artiste avait fondu sous un souffle de flamme
L'histoire de Psyché, ce symbole de l'âme;
Et, symbole plus doux de l'immortalité,
Un léger papillon en ivoire sculpté,
Plongeant sa trompe avide en ces ondes mortelles,
Formait l'anse du vase en déployant ses ailes :
Psyché, par ses parents dévouée à l'Amour,
Quittant avant l'aurore un superbe séjour,
D'une pompe funèbre allait environnée
Tenter comme la mort ce divin hyménée ;
Puis, seule, assise, en pleurs, le front sur ses genoux,
Dans un désert affreux attendait son époux;
Mais, sensible à ses maux, le volage Zéphire,
Comme un désir divin que le ciel nous inspire,
Essuyant d'un soupir les larmes de ses yeux,
Dormante sur son sein l'enlevait dans les cieux!
On voyait son beau front penché sur son épaule
Livrer ses longs cheveux aux doux baisers d'Éole,
Et Zéphyr, succombant sous son charmant fardeau,
Lui former de ses bras un amoureux berceau,
Effleurer ses longs cils de sa brûlante haleine,
Et, jaloux de l'Amour, la lui rendre avec peine.

Ici, le tendre Amour sur des roses couché
Pressait entre ses bras la tremblante Psyché,
Qui, d'un secret effroi ne pouvant se défendre,
Recevait ses baisers sans oser les lui rendre;
Car le céleste époux, trompant son tendre amour,
Toujours du lit sacré fuyait avec le jour.

Plus loin, par le désir en secret éveillée,
Et du voile nocturne à demi dépouillée,
Sa lampe d'une main et de l'autre un poignard,
Psyché, risquant l'amour, hélas! Contre un regard,
De son époux qui dort tremblant d'être entendue,
Se penchait vers le lit, sur un pied suspendue,
Reconnaissait l'Amour, jetait un cri soudain,
Et l'on voyait trembler la lampe dans sa main.

Mais de l'huile brûlante une goutte épanchée.
S'échappant par malheur de la lampe penchée
Tombait sur le sein nu de l'amant endormi ;
L'Amour impatient, s'éveillant à demi,
Contemplait tour à tour ce poignard, cette goutte.
Et fuyait indigné vers la céleste voûte !
Emblème menaçant des désirs indiscrets
Qui profanent les dieux, pour les voir de trop près !

La vierge cette fois errante sur la terre
Pleurait son jeune amant, et non plus sa misère :
Mais l'Amour à la fin, de ses larmes touché,
Pardonnait à sa faute, et l'heureuse Psyché,
Par son céleste époux dans l'Olympe ravie,
Sur les lèvres du dieu buvant des flots de vie,
S'avançait dans le ciel avec timidité ;
Et l'on voyait Vénus sourire à sa beauté !
Ainsi par la vertu l'âme divinisée
Revient, égale aux dieux, régner dans l'Elysée !

Mais Socrate élevant la coupe dans ses mains :
« Offrons ! Offrons d'abord aux maîtres des humains
De l'immortalité cette heureuse prémice ! »
Il dit; et vers la terre inclinant le calice,
Comme pour épargner un nectar précieux,
En versa seulement deux gouttes pour les dieux,
Et, de sa lèvre avide approchant le breuvage,
Le vida lentement sans changer de visage,
Comme un convive avant de sortir d'un festin
Qui dans sa coupe d'or verse un reste de vin,
Et, pour mieux savourer le dernier jus qu'il goûte.
L'incline lentement et le boit goutte à goutte.
Puis, sur son lit de mort doucement étendu,
Il reprit aussitôt son discours suspendu :

« Espérons dans les dieux, et croyons-en notre âme
De l'amour dans nos cœurs alimentons la flamme !
L'amour est le lien des dieux et des mortels ;
La crainte ou la douleur profanent leurs autels.
Quand vient l'heureux signal de notre délivrance,
Amis, prenons vers eux le vol de l'espérance!
Point de funèbre adieu ! Point de cris ! Point de pleurs !
On couronne ici-bas la victime de fleurs ;
Que de joie et d'amour notre âme couronnée
S'avance au-devant d'eux comme à son hyménée!
Ce sont là les festons, les parfums précieux,
Les voix, les instruments, les chants mélodieux,
Dont l'âme convoquée à ce banquet suprême
Avant d'aller aux dieux, doit s'enchanter soi-même!

« Relevez donc ces fronts que l'effroi fait pâlir!
Ne me demandez plus s'il faut m'ensevelir;
Sur ce corps qui fut moi quelle huile on doit répandre;
Dans quel lieu, dans quelle urne il faut garder ma cendre.
Qu'importe à vous, à moi, que ce vil vêtement
De la flamme, ou des vers, devienne l'aliment?
Qu'une froide poussière, à moi jadis unie,
Soit balayée aux flots ou bien aux gémonies?
Ce corps vil, composé des éléments divers,
Ne sera pas plus moi qu'une vague des mers,
Qu'une feuille des bois que l'aquilon promène,
Qu'un atome flottant qui fut argile humaine,
Que le feu du bûcher dans les airs exhalé,
Ou le sable mouvant de vos chemins foulé !

« Mais je laisse en partant à cette terre ingrate
Un plus noble débris de ce que fut Socrate :
Mon génie à Platon! À vous tous mes vertus
Mon âme aux justes dieux! Ma vie à Mélitus,
Comme au chien dévorant qui sur le seuil aboie,
Eu quittant le festin, on jette aussi sa proie!... »

Tel qu'un triste soupir de la rame et des flots
Se mêle sur les mers aux chants des matelots,
Pendant cet entretien une funèbre plainte
Accompagnait sa voix sur le seuil de l'enceinte;
Hélas ! C’était Myrto demandant son époux,
Que l'heure des adieux ramenait parmi nous!
L'égarement troublait sa démarche incertaine,
Et, suspendus aux plis de sa robe qui traîne,
Deux enfants, les pieds nus, marchant à ses côtés,
Suivaient en chancelant ses pas précipités.
Avec ses longs cheveux elle essuyait ses larmes ;
Mais leur trace profonde avait flétri ses charmes ;
Et la mort sur ses traits répandait sa pâleur :
On eût dit qu'en passant l'impuissante douleur,
Ne pouvant de Socrate atteindre la grande âme,
Avait respecté l'homme et profané la femme !
De terreur et d'amour saisie à son aspect,
Elle pleurait sur lui dans un tendre respect.
Telle, aux fêtes du dieu pleuré par Cythérée,
Sur le corps d'Adonis la bacchante éplorée,
Partageant de Vénus les divines douleurs,
Réchauffe tendrement le marbre de ses pleurs,
De sa bouche muette avec respect l'effleure,
Et paraît adorer le beau dieu qu'elle pleure!

Socrate, en recevant ses enfants dans ses bras,
Baisa sa joue humide et lui parla tout bas :
Nous vîmes une larme, et ce fut la dernière,
Sous ses cils abaissés rouler dans sa paupière.
Puis d'un bras défaillant offrant ses fils aux dieux :
« Je fus leur père ici, vous l'êtes dans les cieux !
Je meurs, mais vous vivez ! Veillez sur leur enfance!
Je les lègue, ô dieux bons, à votre providence!... »

Mais déjà le poison dans ses veines versé
Enchaînait dans son cours le flot du sang glacé :
On voyait vers le coeur, comme une onde tarie,
Remonter pas à pas la chaleur et la vie,
Et ses membres roidis, sans force et sans couleur,
Du marbre de Paros imitaient la pâleur.
En vain Phédon, penché sur ses pieds qu'il embrasse,
Sous sa brûlante haleine en réchauffait la glace;
Son front, ses mains, ses pieds se glaçaient sous nos doigts !
Il ne nous restait plus que son âme et sa voix !
Semblable au bloc divin d'où sortit Galatée
Quand une âme immortelle à l'Olympe empruntée,
Descendant dans le marbre à la voix d'un amant,
Fait palpiter son coeur d'un premier sentiment,
Et qu'ouvrant sa paupière au jour qui vient d'éclore,
Elle n'est plus un marbre, et n'est pas femme encore!

Était-ce de la mort la pâle majesté,
Ou le premier rayon de l'immortalité?
Mais son front rayonnant d'une beauté sublime
Brillait comme l'aurore aux sommets de Didyme,
Et nos yeux, qui cherchaient à saisir son adieu,
Se détournaient de crainte et croyaient voir un dieu !
Quelquefois l'oeil au ciel il rêvait en silence;
Puis, déroulant les flots de sa sainte éloquence,
Comme un homme enivré du doux jus du raisin,
Brisant cent fois le fil de ses discours sans fin,
Ou comme Orphée errant dans les demeures sombres,
En mots entrecoupés il parlait à des ombres :

« Courbez-vous, disait-il, cyprès d'Académus !
Courbez-vous, et pleurez, vous ne le verrez plus!
Que la vague, en frappant le marbre du Pirée,
Jette avec son écume une voix éplorée!
Les dieux l'ont rappelé! Ne le savez-vous pas?...
Mais ses amis en deuil, où portent-ils leurs pas?
Voilà Platon, Cébès, ses enfants et sa femme!
Voilà son cher Phédon, cet enfant de son âme !
Ils vont d'un pas furtif, aux lueurs de Phébé,
Pleurer sur un cercueil aux regards dérobé,
Et, penchés sur mon urne, ils paraissent attendre
Que la voix qu'ils aimaient sorte encor de ma cendre.
Oui, je vais vous parler, amis, comme autrefois,
Quand penchés sur mon lit vous aspiriez ma voix!...
Mais que ce temps est loin! et qu'une courte absence
Entre eux et moi, grands dieux , a jeté de distance !
Vous qui cherchez si loin la trace de mes pas,
Levez les yeux, voyez!... Ils ne m'entendent pas!
Pourquoi ce deuil? Pourquoi ces pleurs dont tu t'inondes?
Épargne au moins, Myrto, tes longues tresses blondes,
Tourne vers moi tes yeux de larmes essuyés :
Myrto, Platon, Cébès, amis!... si vous saviez!...
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