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La mort de Socrate, de Lamartine (2).

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Submitted by Thomas Efthymiou on

[i][center] Enfin de la prison les gonds bruyants roulèrent ;
A pas lents, l'oeil baissé, les amis s'écoulèrent.
Mais Socrate, jetant un regard sur les flots,
Et leur montrant du doigt la voile vers Délos
« Regardez sur les mers cette poupe fleurie;
C'est le vaisseau sacré, l'heureuse Théorie !
Saluons-la, dit-il : cette voile est la mort!
Mon âme, aussitôt qu'elle, entrera dans le port !
Et cependant parlez ! et que ce jour suprême
Dans nos doux entretiens s'écoule encor de même !
Ne jetons point aux vents les restes du festin ;
Des dons sacrés des dieux usons jusqu'à la fin :
L'heureux vaisseau qui touche au terme du voyage
Ne suspend pas sa course à l'aspect du rivage :
Mais, couronné de fleurs, et les voiles aux vents,
Dans le port qui l'appelle il entre avec les chants!

« Les poètes ont dit qu'avant sa dernière heure
En sons harmonieux le doux cygne se pleure ;
Amis, n'en croyez rien ; l'oiseau mélodieux
D'un plus sublime instinct fut doué par les dieux !
Du riant Eurotas près de quitter la rive,
L'âme, de ce beau corps à demi fugitive,
S'avançant pas à pas vers un monde enchanté,
Voit poindre le jour pur de l'immortalité,
Et, dans la douce extase où ce regard la noie,
Sur la terre en mourant elle exhale sa joie.
Vous qui près du tombeau venez pour m'écouter,
Je suis un cygne aussi : je meurs, je puis chanter !

Sous la voûte, à ces mots, des sanglots éclatèrent ;
D'un cercle plus étroit ses amis l'entourèrent :
« Puisque tu vas mourir, ami trop tôt quitté,
Parle-nous d'espérance et d'immortalité !
— Je le veux bien, dit-il : mais éloignons les femmes ;
Leurs soupirs étouffés amolliraient nos âmes ;
Or, il faut, dédaignant les terreurs du tombeau,
Entrer d'un pas hardi dans un monde nouveau !

« Vous le savez, amis ; souvent, dès ma jeunesse,
Un génie inconnu m'inspira la sagesse,
Et du monde futur me découvrit les lois.
Etait-ce quelque dieu caché dans une voix ?
Une ombre m'embrassant d'une amitié secrète ?
L'écho de l'avenir ? la muse du poëte ?
Je ne sais ; mais l'esprit qui me parlait tout bas,
Depuis que de ma fin je m'approche à grands pas,
En sons plus élevés me parle, me console ;
Je reconnais plus tôt sa divine parole,
Soit qu'un coeur affranchi du tumulte des sens
Avec plus de silence écoute ses accents ;
Soit que, comme l'oiseau, l'invisible génie
Redouble vers le soir sa touchante harmonie ;
Soit plutôt qu'oubliant le jour qui va finir,
Mon âme, suspendue aux bords de l'avenir,
Distingue mieux le son qui part d'un autre monde,
Comme le nautonier, le soir, errant sur l'onde,
A mesure qu'il vogue et s'approche du bord,
Distingue mieux la voix qui s'élève du port.
Cet invisible ami jamais ne m'abandonne,
Toujours de son accent mon oreille résonne
Et sa voix dans ma voix parle seule aujourd'hui ;
Amis, écoutez donc ! ce n'est plus moi, c'est lui !... »

Le front calme et serein, l'oeil rayonnant d'espoir,
Socrate à ses amis fit signe de s'asseoir ;
A ce signe muet soudain ils obéirent,
Et sur les bords du lit en silence ils s'assirent :
Symmias abaissait son manteau sur ses yeux ;
Criton d'un oeil pensif interrogeait les cieux ;
Cébès penchait à terre un front mélancolique ;
Anaxagore, armé d'un rire sardonique,
Semblait, du philosophe enviant l'heureux sort,
Rire de la fortune et défier la mort !
Et le dos appuyé sur la porte de bronze,
Les bras entrelacés, le serviteur des Onze,
De doute et de pitié tour à tour combattu,
Murmurait sourdement : « Que lui sert sa vertu ? »
Mais Phédon, regrettant l'ami plus que le sage,
Sous ses cheveux épars voilant son beau visage,
Plus près du lit funèbre aux pieds du maître assis.
Sur ses genoux pliés se penchait comme un fils,
Levait ses yeux voilés sur l'ami qu'il adore,
Rougissait de pleurer, et le pleurait encore !
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