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Le mouchoir rouge (suite, 4)

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Submitted by Thomas Efthymiou on

[i] On peut se demander s'il avait éprouvé une douleur plus poignante le jour où la fidélité de la mère lui parut douteuse. Quand chacun fut parti et qu'il se trouva seul dans le salon avec
madame Palazzi, il lui dit :

-Par quelle singulière idée, ma chère, admettez-vous dans votre salon ce Gérasime Delfini?
-On me l'a présenté il y a quinze jours, répondit la comtesse en rougissant légèrement, ce qui lui arrivait toutes les fois qu'elle supposait Jérôme Lanza un peu fâché. Il est le neveu de madame Barretta, qui a des parents à Zante, et il est venu passer un mois ici. Je n'en sais pas plus long sur son compte. Je crois seulement, mais je n'en suis pas sûre, que Sophie l'a rencontré quelquefois chez ma soeur.

A ces paroles prononcées avec la nonchalance qui lui était particulière en tout temps, mais qui arrivait à son apogée dans les moments où elle avait envie d'aller se coucher, le vieux sigisbée éprouva un tel mouvement d'impatience, qu'enfonçant les deux mains dans les poches de son pantalon, il se promena quelque temps à grands pas, faisant une méditation sur ce texte sévère : Brutta bestia !
Quand il fut un peu calmé, il prit une chaise, l'approcha du fauteuil dans lequel était plongée
Caroline, et, non sans un certain luxe de gesticulation nerveuse, échangea avec elle ces paroles ailées :

-Vous ne savez donc pas que votre Delfini est le parent, disons tout, le fils de votre non! De ce misérable je veux dire de M. Tsalla?
-Comment donc? Comment donc? Que voulez-vous dire?
-Je veux dire ce que je dis, et je ne parle pas au hasard. Vous n'avez pas fait attention que ce monsieur fait les yeux doux à Sophie?
-Il n'est pas le seul, murmura apathiquement la comtesse.
-Et vous ne voyez pas que cette petite sotte de Sophie... mais non! Je ne veux pas le croire! Je ne veux pas y penser! Ce serait trop affreux ! Être trahi deux fois dans sa vie dans une affection pareille! Et par qui, grands dieux ! Ne répondez pas, ne répondez pas, ma chère âme; prenez que je n'ai rien dit! Je ne vous accuse pas, je ne l'accuse pas; je ne sais rien, je ne crois rien, je ne me doute de rien ! Êtes-vous contente?
-Pas trop, répliqua la comtesse un peu secouée à la fin par cette véhémence acrimonieuse. Je ne sais pas ce que vous voulez dire; vous roulez des yeux à faire peur, vous vous donnez du poing dans la tête et sur les genoux. Enfin, qu'est-ce que vous voulez? Est-ce que je pouvais me douter que M. Delfini vous dé- plairait?
-Me déplaire ! Mon Dieu ! Elle appelle cela me déplaire! Ah! Les femmes! Les femmes! Qui est-ce qui a donc dit que les femmes Je ne sais pas qui l'a dit, mais c'est vrai! Et cet homme-là, avec ses yeux de charbon et cette ressemblance atroce, car tout d'abord elle m'a saisi, elle m'a poignardé, j'ai failli tomber à la renverse et m'évanouir, je vous le jure ! Eh bien, cet homme là, il ne vous remue pas les entrailles, il ne vous fait pas horreur? Qu'est-ce que vous avez donc dans les veines? Du lait bouilli? Quoi?
-Enfin, que demandez-vous? Qu’ordonnez- vous? Si vous vous expliquiez du moins, on pourrait vous complaire, mon amour.
-Je ne veux plus rencontrer ce fantôme-là chez vous, et il faut, dès demain matin, que vous défendiez à votre fille de lui parler jamais.
-Allons, méchant, dit la comtesse en se mettant sur ses pieds et en prenant son bougeoir, on-fera ce que vous commandez.

Jérôme, un peu plus calme, lui baisa la main s'en retourna chez lui. Il était midi environ quand Sophie entra chez sa mère pour s'informer de ses nouvelles, et la trouva prenant son café et fumant une cigarette. Elle paraissait un peu plus soucieuse que d'ordinaire, ou du moins plus pensive; car je suis obligé d'avouer que la divine Sophie avait de celle qui l'avait mise au monde une opinion assez peu flatteuse au point de vue de l'esprit. Elle se demandait donc ce qui pouvait se passer d'inusité dans cette tête, quand la tête parla.

-Je voudrais te dire une chose, Sophie, mon enfant.
-Dites, ma mère.
-Mais je vais te contrarier.
-Je ne sais pas ce que vous entendez par là:
-Est-ce que Gérasime te fait la cour?

Sophie regarda sa mère fixement et ne crut pas devoir l'honorer de sa confiance.

-Pas plus qu'à une autre, je pense, répondit-elle.
-C'est que ton parrain ne veut plus qu'il vienne ici, et je lui ai écrit tout à l'heure que nous partions pour Corfou et qu'il ne prît pas la peine de se présenter; comme il saura que nous ne sommes pas parties, il comprendra, et tu ne le verras plus.

-Je ne trouve pas cela très-poli ; qu'a-t-il fait de mal ?
-Il n'a rien fait de mal, et je le crois un garçon honnête et de mérite. Mais, entre nous, il déplaît à ton parrain. Il est d'une famille qui s'est montrée fort ingrate pour notre excellent Lanza ; le comte souffre à voir ces gens-là chez nous, et nous ne devons pas le contrarier. II est parfait pour ton père ; tu sais combien il nous a rendu de services, et tu dois hériter de lui. Je te prie donc, si tu as quelque penchant pour Gérasime, de n'y plus penser, parce que cela ne servirait à rien.

Sophie prit sa tapisserie, qui représentait au naturel un épagneul vert couché sur un coussin rouge, au milieu d'un fond blanc, et ne répondit pas un mot. Caroline fut, au fond, ravie de voir que les choses eussent passé si aisément

Je ne sais si la journée parut longue ou courte à la jeune demoiselle: mais le soir, à la nuit tombante, elle se montra à demi dans l'embrasure d'une fenêtre étroite donnant sur une de ces ruelles tortueuses dont j'ai déjà parlé. Par hasard, sans doute, Gérasime vint à passer, et tout à coup, ce qui ne pouvait pas être un hasard, un petit paquet tomba brusquement au milieu de la chambre. Sophie courut le ramasser. C'était du papier cerclé d'une ficelle, sous lequel il y avait une lettre, et une pierre pour donner plus de consistance au tout. Sophie s'enferma bien vite, et lut ce qui suit :

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